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Rencontre avec Antoine Bours, scénariste d'Ennemi Public et accompagnateur des séries à la RTBF.

Publié le 21/08/2020 par David Hainaut / Catégorie: Entrevue

« Savoir qu'Ennemi Public inspire de jeunes auteurs, c'est valorisant. »

 

Co-auteur des deux premières saisons d'Ennemi Public, Antoine Bours fait désormais partie de l'équipe d'accompagnateurs de séries à la RTBF, où ce diplômé de l'IAD transmet son savoir-faire aux nombreux scénaristes concernés par les prochains projets du Fonds Séries.

 

Par ailleurs professeur de cinéma à l'école Agnès Varda et directeur de collection pour des séries suisses, ce jeune quadragénaire écrit Dévolution, le premier long-métrage de Nicolas Boucart, présélectionné aux Oscars en 2019 avec son court-métrage Icare. Un personnage étonnant et multi-casquettes qui, depuis un bureau situé à deux pas de la … Bourse - cela ne s'invente pas - de Bruxelles, évoque justement son éclectisme.

Cinergie : Ce n'est qu'il y a quelques semaines, via le réseau social Linkedin, que vous avez « officialisé » votre nouvelle fonction d'accompagnateur de séries à la RTBF, entamée en novembre. Expliquez-nous...

Antoine Bours : En effet (sourire). En fait, étant aujourd'hui auteur avec le statut d'indépendant, plusieurs choses se sont passées pour moi, au même moment. D'une part, j'ai quitté – en excellents termes, je précise – l'équipe d'auteurs d'Ennemi Public après deux saisons, pour me consacrer à des projets scénaristiques plus personnels. D'autre part, la RTBF était à la recherche de nouveaux accompagnateurs de projets de séries belges, raison pour laquelle Sylvie Coquart-Morel, la responsable de la fiction, m'a sollicité. J'ai hésité avant d'endosser ce rôle un peu schizophrénique, puisqu'il implique de devoir juger le travail de mes pairs, mais on m'a convaincu de ma légitimité. Ma crainte était aussi que cela puisse créer des inimitiés auprès de certain(e)s dans le milieu, mais au final, c'est quelque chose d'inévitable, qui plus est dans notre petit pays. Mais voilà, je pense pouvoir apporter mon grain de sel et ce poste correspondant à un gros mi-temps, je garde l'opportunité de poursuivre d'autres choses en parallèle, ce qui est important pour moi.

 

C. : Plus concrètement, en quoi consiste ce rôle d'«accompagnateur» ?

A.B.: Il s'agit surtout de suivre l'aspect dramaturgique d'un projet, soit de saisir de quoi il parle et à travers quels personnages, pour mieux aborder la narration d'une série. Tout cela, en faisant concorder les envies des auteurs avec celles des (télé)spectateurs. Ce sont donc beaucoup de discussions, de lectures, de retours vers les auteurs, de prises de recul et de réunions. C'est un travail d'ajustement et d'écolage permanents. Ce processus réclame du temps, mais il est enrichissant pour tout le monde. N'oublions pas non plus le rôle du producteur, aussi là pour suivre auteurs et diffuseurs avec la même motivation : car selon moi, quand ces trois piliers se rejoignent, on peut être certains qu'un projet va aller jusqu'au bout.

 

C. : Quand vous dites «on», cela signifie que vous êtes plusieurs à suivre ces séries, donc...

A.B. : Oui, c'est nécessaire, car nous avons en charge une vingtaine de séries en développement, que nous ne sommes pas tous associés aux mêmes projets et qu'il peut y avoir des mouvements de l'un vers l'autre. Mes collègues accompagnateurs ont pour noms Florence Dubié, une psychologue, Katia Lanero Zamora, une écrivaine, Jeffrey Frohner, un auteur d'origine américaine vivant en France et Manon Verkaeren, une férue de séries issue de la RTBF elle-même. Des profils différents et complémentaires donc, et c'est vrai que je suis le seul provenant d'une série déjà diffusée. Mais je me sens en apprentissage total, qui complète bien mon travail d'enseignant à l'école Agnès Varda ou mon poste de directeur de collection en Suisse, où je m'occupe d'une série (Le Signal). En toute honnêteté, je peux vous assurer que l'équipe fiction de la RTBF, en marge d'une ligne éditoriale qu'elle se doit de respecter, fait ce travail avec l'envie de voir un maximum de séries de qualité aboutir sur les écrans, dans les mois et les années à venir...

 

C. : Et de quelles séries vous occupez-vous plus particulièrement, en ce moment ?

A.B. : Pour l'instant, je suis l'équipe de Fils de..., produite par AT Production et créée par Antoine Negrevergne, un auteur courageux et plein d'abnégation, qui est en ce moment au taquet. Sa série s’adresse à un public plus jeune et La Deux a déjà envie de l'avoir sur antenne. Je suis aussi Résonance, écrite par trois élèves de Fred Castadot (NDLR: autre co-scénariste d'Ennemi Public et président de l'ASA, l'Association de l'Audiovisuel), un polar psychologique prometteur, avec un côté très hitchcockien. Il y a Transports aussi, écrite par Nathalie André et de Françoise Ost, une saga familiale se déroulant dans le milieu routier. Et là, je viens de rejoindre l'équipe de Baraki, dont le tournage vient de débuter : on reçoit tous les jours les images qu'ils tournent et contrairement à ce que le titre indique peut-être, c'est surprenant, émouvant et proche d'un style anglo-saxon. Je suis impressionné par leurs débuts, et même impatient de voir le reste...

 

C. : Vu votre expérience dans Ennemi Public, vous avez conscience de l'importance de votre pouvoir de transmission ?

A.B. : Oui. C'est un aspect dont je parle souvent avec l'équipe de cette série, que je vois toujours, en particulier Fred Castadot qui représente quelque chose de fondamental dans notre cinéma. Souvent, je me tourne vers lui pour partager nos expériences ou écouter ses conseils. La RTBF souhaite continuer à voir se développer ce métier de scénariste, car il est capital, et de l'amener dans les meilleurs conditions financières. Il faut rappeler qu'en cinq ans, les choses ont beaucoup évolué dans notre métier, reconnu depuis peu de temps ici, car on a longtemps hérité de la culture franco-française, avec des réalisateurs eux-mêmes auteurs. Là, chacun se rend compte qu'en Belgique francophone, la cohabitation de ces deux métiers peut exister sans que personne ne prenne une part de gâteau – artistique, non financier - de l'autre. Elle est en fait bénéfique pour tout le monde. Il y aura toujours de la place pour des films écrits par des réalisateurs-auteurs, et d'un autre côté, des cinéastes heureux de venir chercher des scénaristes formés...

 

C. : C'est exactement ce qui se passe entre vous et Nicolas Boucart, pour l'écriture de son premier long, non ?

A.B. : Oui, et on apprend beaucoup l’un de l’autre. Là encore, tout est bien tombé car maintenant que j'ai intégré la mathématique de l'écriture, ce réalisateur arrive à point nommé avec son film. C'est une vraie rencontre avec un réalisateur visionnaire et de talent. Je sais que tout ce que j'écris sur papier pour lui, aussi dingue, démesuré et ambitieux soit son univers, se retrouvera à l'écran. La préparation d'un film prend énormément de temps aussi, mais on pense avoir cerné le sujet, qui a complètement basculé ces dernières semaines, étant donné que ce futur long-métrage aborde justement une histoire de… pandémie ! Le COVID a en fait redistribué les cartes et nous a débloqués !

 

C. : Cinéma ou série : la fiction, pour qu'elle soit de qualité, réclame beaucoup de temps, alors qu'on vit dans un monde d'immédiateté. Comment gère-t-on cette ambivalence, finalement ?

A.B. : (Sourire) Là, je répondrais en dehors de ma fonction d'accompagnateur. Je pense que ce « temps » est bien sûr indispensable. Vous savez, ce film dont je m'occupe et qui sera produit par les Liégeois de Tarantula, est un projet pour lequel nous avons eu deux années d'atermoiements. Et là, en moins de deux mois, on vient de cibler notre version définitive, qui n'aurait jamais pu naître sans les hésitations qui ont précédé ! Je reste convaincu qu'un auteur doit longuement réfléchir pour faire mûrir un projet. Après, il y a aussi des génies qui fonctionnent à l'instinct, et qui font beaucoup en peu de temps. Il n'y a pas d'approche meilleure qu'une autre, mais moi, comme auteur, j'aime être sur plusieurs projets à la fois. N'importe quel auteur vous dira qu'au cours d'une carrière, un projet se fait pour dix qui restent dans les tiroirs. La phase de l'écriture est aussi compliquée que cruciale pour tout le monde, et chacun doit accepter que des projets puissent s'arrêter. La RTBF a conscience de l'importance de ces enjeux. Elle n'est peut-être pas encore aux quatre séries promises par an, mais n'oublions pas que la naissance du Fonds Séries a influencé d'autres choses autour de nous, comme les webséries et même les podcasts, qui sont d'autres manières d'élaborer de la fiction et révélateurs de talents. Qu'en plus de Baraki qui se tourne, Pandore, La Patrouille et Fils de sont d'autres séries qui vont entrer en tournage, en quelques mois à peine. Et qu'à l'automne, la diffusion d'Invisibles démarrera...

 

C. : Pour en revenir à Ennemi Public : au-delà de son importance historique, à l'échelle belge, on peut dire que cette série a changé votre vie ?

A.B. : Complètement. Jamais nous n'avions imaginé ce succès, encore moins son rayonnement international. On a vécu une parenthèse enchantée, en arrivant au bon endroit au bon moment. On a certes beaucoup bossé mais il s'est passé quelque chose d'unique, alors qu'on se posait beaucoup de questions, un peu comme l'équipe de La Trêve. On se demandait même si la RTBF allait valider un projet inspiré de l'Affaire Dutroux. Or nous, ce qui nous voulions, c'était faire la série qui nous intéressait. Dire que tout cela a été historique, je vous le laisse (sourire), mais ça a bien sûr changé notre vie et notre travail. On a encore quelques chantiers devant nous, mais un savoir-faire inédit s'est développé, jusqu'à toucher les nouvelles générations qui arrivent dans nos écoles (IAD, INRACI, INSAS...). Et c'est tout de même extrêmement valorisant de s'entendre dire que des élèves ont été influencés par notre parcours...

 

C. : Et dire qu'il y a quelques années, après des débuts hésitants dans la profession, vous vous demandiez si c'était bien raisonnable de continuer...

A.B. : Ah, j'ai dit ça, moi ? (rire) Je ne démens pas mais après, on reste dans des métiers difficiles, qui plus est face un avenir post-Covid incertain pour tout le monde. Là, touchons du bois, les tournages reprennent, mais si de nouvelles vagues surgissaient et nous renvoyaient chez nous, on commencerait à se demander pour qui et pour quoi on écrit. Cela dit, je suis heureux d'être scénariste et créateur, de voir d'autres séries de qualité se mettre en place, de continuer à défendre ce lien entre auteur et réalisateur, de défendre un statut d'artiste (…). Et je suis sûr que notre cinéma a encore beaucoup à offrir, contrairement à ce que certains prétendent. On sait qu'on se trouve à un moment où la diffusion en salles est en question et que la diffusion sur plateforme peut avoir quelque chose de rassurant. Mais si la création se poursuit, il faudra bien chercher les supports où ils sont. Et c'est un ardent défenseur du cinéma en salles qui vous le dit, et qui prie même pour qu'il perdure...

 

C. : L'arrivée de Netflix en Belgique, avec ses 7 millions de budget pour Into The Night, cela vous inspire quoi ?

A.B. : Moi, je vois cela comme une saine concurrence, qui n'est qu'un guichet supplémentaire dans notre paysage. Ce genre d'opérateur ne proposera jamais le même genre de contenus qu'une chaîne télé. C'est même excitant de voir quelques têtes connues de projets RTBF arriver dans leur série. Moi qui accompagne les séries à la RTBF, j'ai aussi d'autres projets en parallèle, dont une pièce de théâtre et un de série d'horreur (Mr. Ray) sur l'univers de l'écrivain Jean Ray que je situerais dans la lignée de la 4e dimension, et que je ne déposerai évidemment pas auprès du comité de la chaîne publique. Il est de toute façon trop coûteux pour la RTBF et très genré, donc il n'aurait pas sa place. C'est clairement un projet destiné aux plateformes. On cherche d'ailleurs des partenaires...

 

C. : Dernière chose : pour de nouveaux auteurs qui se lancent dans le métier, que leur conseillez-vous ?

A.B. : Pour qui que ce soit, de surtout pouvoir se dire que tout retour sur son scénario est bon à prendre, même si cela peut atteindre l'ego ou le moral, j'en sais quelque chose ! Que toute critique venant d'un lecteur ou même d'un spectateur, cache en général un manque. Un bon auteur doit toujours savoir prendre le recul nécessaire pour accepter cela. Car l'aboutissement d’un scénario demande une réécriture permanente, quitte à parfois abandonner un projet pour s'attarder sur un deuxième ou un troisième, pour ensuite revenir au premier. D'accepter aussi, cette douleur d'un projet qui s'arrête, comme je l'ai vécu avec une série (NDLR: Eden) après Ennemi Public, même si, ne l'oublions pas, on reste aujourd'hui rémunéré dans chaque cas, ce qui est là encore novateur. Et idéalement travailler à plusieurs pour construire des pôles, qui sont nécessaires voire salutaires. L'émulation dans le secteur continuera aussi à se créer de cette façon, deux têtes valant toujours mieux qu'une. Ce n'est pas pour rien qu'Ennemi Public s'est écrit dans une résidence commune...

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