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Rencontre avec Fred Castadot, nouveau Président de l'Association des Scénaristes de l'Audiovisuel (ASA)

Publié le 06/09/2016 par David Hainaut / Catégorie: Entrevue

«Le scénario, un enjeu essentiel !»

Alors que l'Association des Scénaristes de l'Audiovisuel (l'ASA) fête tout juste son quart de siècle, l'organisme vient de se désigner un nouveau Président. Il s'agit de Fred Castadot, l'un des auteurs de la série Ennemi Public, qui succède à Laurent Denis, après un règne de huit ans.
L'occasion était idéale d'en savoir un peu plus sur le sens et l'utilité de ce groupement francophone, constitué d'environ 80 membres et lancé sous l'impulsion de Luc Jabon et de Jaco Van Dormael, dans la foulée de leurs deux succès d'alors :
Le Maître de Musique et Toto le Héros.
Rencontre avec celui qui, entre autres, est également scénariste de BD, professeur à l'école Agnès Varda (en histoire du cinéma d'art vidéo, ainsi que de scénario), et membre de la Commission de Sélection des Films.

C. : Vous venez, à 35 ans, d'être nommé président de l'Association des Scénaristes. Après en avoir été respectivement membre, trésorier et vice-président depuis douze ans. En quoi ce travail-là vous intéresse-t-il ?
Fred Castadot: C'est paradoxal. Scénariste est un métier solitaire, qui s'accomplit souvent dans l'ombre. Mais je suis convaincu qu'ensemble, on peut toujours être plus forts pour développer des projets, évoquer les problèmes et discuter de solutions. Contrairement à une idée reçue, nous ne sommes pas des gens en concurrence : chaque auteur a ses méthodes et son univers. Je pense donc que nous avons tous à gagner en nous entraidant.

C. : Pour un scénariste, quels sont les critères pour intégrer votre Association ?
F.C. : Ils sont… évolutifs ! Nous sommes d'ailleurs en train de les éclaircir car longtemps, la règle, un peu vague, était d'avoir écrit au moins un long-métrage ou trois courts-métrages. Comme association professionnelle, le critère de la rémunération est bien sûr primordial. Mais le paysage change, et par exemple, la télévision et le web, qui concernent de plus en plus de scénaristes, ne sont pas encore officiellement pris en compte ! Mais l'essentiel, pour nous, est que les scénaristes, et pas uniquement débutants, se responsabilisent en comprenant que faire partie d'une association constitue un acte important. Nos activités, régulières, sont relativement ouvertes, pour la plupart gratuites, afin que nos messages circulent au mieux. Notre objectif n'est pas constituer un petit cercle d'intégristes du scénario. Mais bien d'intéresser tout le monde à cet aspect-là du métier et ainsi se confronter à des avis extérieurs.

C. : En Belgique francophone, en ce moment, le métier semble évoluer...
F.C. : Complètement. Et ça, c'est bien sûr grâce aux nombreuses séries en développement qui, d'un coup, ont offert du travail à plus de 25 scénaristes ! On peut même parler de vraie révolution. Il y a des années que j'entends, ça et là, que le scénariste n'est pas un vrai boulot, ou qu'il n'y a pas de moyens. Mais nous avons tous mordus sur notre chique en espérant que notre moment arrive. Inconsciemment, j'ai toujours cru que nous parviendrions à cette nouvelle dynamique, car le scénario est tout sauf un frein : c'est même carrément la pierre angulaire de n'importe quel projet !

C. : C'est-à-dire ?
F.C.: Je suis persuadé à 100% que l'ensemble de notre cinéma a à y gagner en accordant plus d'attention au scénario. En se focalisant davantage sur ce premier maillon, on aide les projets à mieux se produire et à se réaliser. Si on parvient à garder cette mentalité-là, cela ne pourra être qu'un plus pour que nos séries et nos films rencontrent leurs spectateurs. Qu'il s'agisse de films intimistes ou grand public, d'ailleurs. Le succès tant critique que public de La Trêve et d'Ennemi Public, cette année, a clairement été lié à cette prise de conscience.

C. : Ennemi Public, justement, parlons-en : vous êtes en pleine écriture de la deuxième saison, c'est bien ça ?
F.C.: Oui ! Nous avons recommencé le 1er juillet à tracer les grands arcs de la suite, toujours à cinq plumes (NDLR: avec Antoine Bours, Gilles de Voghel, Matthieu Frances et Christopher Yates), et devrions normalement terminer pour fin mars. C'est un travail de longue haleine qui demande beaucoup d'investissement, mais ce boulot d'équipe est aussi grisant qu'enrichissant : on va beaucoup plus loin que seul, évidemment. On procède par un système assez darwinien (sourire) en ne se faisant aucun cadeau : on met notre égo de côté pour que les meilleures idées survivent, pour le seul bien de la série. La motivation est intacte et notre marge de progression encore grande. On se sent encore en écolage, parfois. Au départ, on ne savait pas trop vers quoi on allait, encore moins que la série, comme La Trêve d'ailleurs, serait diffusée au cinéma, primée à l'étranger et revendue dans de nombreux pays : du coup, on a envie de faire mieux encore!

C. : Autour de ces séries, les enjeux sont multiples : notamment celui de propulser certains de nos talents au cinéma...
F.C. : Oui, on en a tous conscience. Cela va d'ailleurs être intéressant d'en observer les conséquences "positives". On sent déjà poindre cette deuxième vague. De nombreuses personnes que je connais dans le milieu, qui ont toujours juré par le cinéma, déposent en ce moment-même des projets de séries. Là aussi, les mentalités évoluent. Car producteurs, réalisateurs, auteurs et même comédiens ont compris qu'on pouvait faire des choses de qualité à travers ce support. Ce n'est plus aujourd'hui, un genre nécessairement mineur, bien au contraire. En ce sens, il faut tout de même saluer la prise de risque de la RTBF.

C. : Vous continuez, justement, à vous partager avec le cinéma, puisque Plein Soleil, un court-métrage que vous avez écrit et réalisé, a trusté une vingtaine de prix dans le monde...
F.C. : Oui, et le film vient encore de gagner deux prix dans un festival majeur dans le Massachusetts. J'ai eu un peu moins de réussite en Belgique, bien que le film ait été primé au Festimages de Charleroi et diffusé sur la RTBF et TV5 Monde. Cela reste une première tentative, mais quand on goûte à la réalisation, on a forcément envie d'y revenir. Je viens aussi de terminer l'écriture de Fugazi, un court-métrage de science-fiction, qui sera réalisé par Laurent Michelet.

C. : Ce cinéma belge, vous le voyez évoluer comment ?
F.C. : Pour être franc, je crois beaucoup en lui. Sans vouloir prêcher pour ma paroisse, j'insiste sur un meilleur développement global du scénario, qui semble être en cours. Je ne prétends bien sûr pas que nos films ne sont pas suffisamment écrits, mais encore une fois, consacrer plus de temps à l'écriture ne peut que contribuer à aider tout l'ensemble du secteur. Je pense que tous les opérateurs, distributeurs y compris, peuvent s'allier pour franchir un cap, notamment pour aller à cette rencontre espérée du public. Tout en continuant bien sûr à prôner une diversité dans les genres. Et sans avoir ce réflexe de prendre la France comme modèle, qu'on garde encore peut-être trop souvent ici. Simplement parce que nous avons notre singularité, et qu'elle est... belle !


Site de l'ASA (Association des Scénaristes de l'Audioviduel)
http://www.associationscenaristes.be/

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