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Rencontre avec Aurélie Losseau, coordinatrice du Festival du Film Méditerranéen de Bruxelles (CINEMAMED), du 29/11 au 07/12

Publié le 04/12/2019 par David Hainaut et Constance Pasquier / Catégorie: Entrevue

« Si ce festival grandit, c'est aussi lié à la bonne santé de la production méditerranéenne. » 

Pour son trentième anniversaire, l'événement cinématographique consacré à la Méditerranée - devenu annuel en 2013 - a frappé un joli coup en accueillant comme président le comédien français d'origine marocaine, Gérard Darmon.
Avec son ambiance typique et sa programmation riche, ses nombreux invités et sa ligne éditoriale unique dans le paysage belge, ce festival accueillant chaque année 10.000 spectateurs prouve sa raison d'être à Bruxelles, capitale réputée pour sa multiculturalité.
Une manifestation qui, par ailleurs, quitte cette année le Botanique – en travaux - pour prendre ses quartiers dans le centre de la ville, au Palace (lieu central de l'événement), au Bozar et à l'Aventure, là-même où nous avons croisé sa coordinatrice, Aurélie Losseau.

Cinergie :  Vu votre déménagement, on imagine cette édition un peu particulière pour vous, non?
Aurélie Losseau : C'est sûr que par rapport à cette installation en plein cœur de Bruxelles, on a hâte de voir les réactions du public. Le Botanique est un lieu superbe mais ses travaux occasionnaient trop de frais, surtout pour maintenir la bonne qualité des projections. Le Palace, nouveau lieu principal du festival, sera décoré pour l'occasion, et c'est donc là qu'il y aura aura la billetterie, le marché, les concerts, les soirées (...). De quoi je pense, ramener la chaleur du Bota, avec une moitié de projections là-bas et une autre à l’'Aventure. En plus de projections à Bozar et d'une décentralisation à Liège, aux Grignoux.

 

C. : Tout cela, en marge de la célébration de vos trente ans, donc...
A.L. : Oui, et avant une vingtième édition l'an prochain qui sera elle aussi très spéciale ! On sent ce festival grandir d'année en année, mais c'est aussi lié à la très bonne santé de la production méditerranéenne, qui confirme que notre passage à un rythme annuel en 2013 était une idée judicieuse. L'augmentation de la fréquentation est constante depuis quelques années, avec toujours plus de partenariats, tel que TV5 MONDE depuis l'an dernier, de plus en plus de professionnels présents, aussi.

 

Aurélie Losseau, directrice du MedC. : Gérard Darmon comme président de jury, on peut parler d'un beau coup...
A.L. : C'est vrai qu'on est particulièrement gâtés cette année, c'est un honneur pour nous de l'accueillir comme président. À ses côtés, on a aussi dans le jury officiel le réalisateur belge Frédéric Fonteyne (Une liaison pornographique), dont le prochain film sortira début d'année prochaine, Géraldine Doignon (Un homme à la mer), une réalisatrice belge connue pour son engagement, l'ex-présentatrice du JT Hadja Lahbib, très impliquée dans le documentaire, et Hadrien Raccah, un metteur en scène parisien. Sans oublier bien d'autres personnalités parmi les invités, comme Sami Bouajila (qui viendra défendre Un fils de Mehdi M.Barsaoui) et Ariane Ascaride (Gloria Mundi, de Robert Guédiguian), soit deux récents primés du dernier Festival de Venise. Ou encore aussi Lubna Azabal (Adam de Maryam Touzani), Arieh Worthalter (The End of love de Keren Ben Rafael)...

 

C. : De votre programmation cette année, qu'est-ce qui ressort ?
A.L. : Après avoir dressé le bilan de notre soixantaine de film, c'est un peu la "quête de liberté" qui domine, car énormément de films impliquent des protagonistes ou des thématiques où des personnages cherchent à s'émanciper. Que ce soit des femmes face à leur mari, des gens face au joug politique parfois opprimant dans certains pays méditerranéens, etc... Ce fil conducteur sera déjà perceptible avec notre film italien d'ouverture Piranhas de Claudio Giovannesi, de retour après son Grand Prix obtenu en 2016 pour Fiore. On veille à garder un équilibre entre les goûts du public et ceux des cinéphiles. On peut donc avoir des comédies (comme le film de clôture Un divan à Tunis), à partir du moment où il y a un message derrière. Puis, notre partenariat avec Bozar permet de programmer des films sortant de notre sélection traditionnelle, comme Viendra le feu, un splendide film espagnol programmé à Cannes. C'est en fait tout un mélange entre des films dont on est sûrs qu'ils vont cartonner, et d'autres, moins connus,  pouvant susciter une attention chez tout le monde.

 

C. : En tête de votre catalogue, vous insistez sur la mise en valeur des films de femmes...
A.L. : On essaie depuis toujours d’avoir une meilleure représentation de la femme et des réalisatrices, mais on ne cherche évidemment pas à placer des films de femmes s'ils ne sont pas de qualité. Ce qui est intéressant, c'est de voir le nombre important de films qui traitent de la condition des femmes, y compris réalisés par des hommes. Preuve qu'il y a encore beaucoup à faire et d'évolutions à mettre en place dans ce vaste combat. On aurait d'ailleurs pu tout à fait refaire un focus féminin comme il y a deux ans, quand on voit un film comme Noura Rêve de Hinde Boujemaa, qui évoque une relation d'adultère dans un pays où elle est passible d'une peine de prison et où les violences conjugales sont tolérées...

 

C. : Le Festival propose aussi un focus sur le cinéma italien, quasi invisible sur nos écrans, le restant de l'année...
A.L. : Et alors que la production italienne actuelle est particulièrement prolifique. Outre le film d'ouverture, on a quelque grands films programmés, comme ceux de Marco Bellochio (Il Tradittore) ou Nanni Moretti (Santiago, Italia). Mais voilà, si notre public est mixte, nous avons aussi une large public communautaire : c'est d'ailleurs drôle d'entendre des sonorités différentes chaque soir, en fonction de la nationalité du film. On aime aussi ne pas laisser repartir le public dès la fin d'une projection, en initiant des débats ou des réflexions, que ce soit avec des spécialistes ou des intervenants des films. C'est aussi cela qui participe à l'ambiance, comme les ateliers culinaires ou la danse. Histoire de bien plonger tout le monde au sein de la Méditerranée, un peu comme une bouffée d'oxygène et de soleil avant l'entame de l'hiver. (sourire)

 

C. : Quant à ce large volet de films belges, il s'explique comment ? 
A.L. : Quand on observe la dizaine de coproductions présentées par notre pays, on peut dire que la Belgique baigne aussi dans la Méditerranée. On me pose souvent cette question mais en fait, il suffit de sortir ou de vivre à Bruxelles pour se rendre compte que la culture méditerranéenne, très présente, est peu à peu venue construire la culture bruxelloise. Que l'une nourrit l'autre, pour au final amener ce qu'est notre capitale, avec son vivre-ensemble et sa cohésion qui la caractérisent...

 

C. : Malgré l'identification voire même la bonne tenue de l'événement, vous nous disiez il y a trois ans devoir vous battre pour le maintenir. Qu'en est-il aujourd'hui ?
A.L. : Et bien c'est toujours le même combat, avec les mêmes incertitudes (sourire). Chaque année, on doit redemander des subsides, attendre des subventions, etc... Nous avons tout de même la chance d'être une initiative de la Commission communautaire française (COCOF), sans qui nous n'existerions pas, mais à chaque édition, et c'est valable pour tous les festivals je crois, c'est une vraie lutte, avec des financements qui parfois disparaissent, parfois apparaissent. Lorsqu'on entend en ce moment ce qui se passe pour la culture flamande, tout ça est évidemment inquiétant. Donc même si on réussit chaque année notre festival, c'est difficile, voire impossible, d'avoir une vision à long terme. Mais je pense que c'est propre à tout le secteur culturel, qui n'est hélas pas une priorité. Puis, nous sommes de plus en plus d'acteurs, avec des enveloppes qui ne s'agrandissent pas, voire diminuent. Mais bon, on s'en sort bien, et je pense que c'est lié à notre thématique forte et notre identité. 

 

Aurélie LosseauC. : Face à cette masse de festivals, belges et bruxellois, leur classification, tel que cela se passe au niveau international, ne serait-elle pas une solution ?
A.L. : Pour moi, les critères d'un bon festival sont avant tout la qualité de programmation, le professionnalisme, l'engagement envers le public, la thématique claire... Organiser des événements juste pour dire d'en organiser, sans qu'il n'y ait véritablement de sens, c'est un peu dommage, je trouve. D'un autre côté, on peut se dire que plus l'offre culturelle est riche et accessible, mieux c'est, car on sait tous la nécessité de la culture à l'évolution de notre monde.

 

C. : En ce qui vous concerne, à l'aube de coordonner votre 8e édition, on pourrait parler de rodage. Que verriez-vous encore évoluer ?
A.L. : Malgré les années qui passent, j'apprends toujours, car tout est perfectible et il y a encore énormément de choses qu'on peut développer pour accueillir au mieux notre public. J'avoue qu'avoir un peu plus de budget nous permettrait de mettre plus d'huile dans la machine, programmer plus de films et communiquer davantage sur le festival. Car justement, par rapport à ce que nous disions, il y a tellement de festivals qu'on se retrouve à devoir faire la promotion à peine quelques jours avant le lancement, en ayant parfois cette impression d'être noyé dans une masse. Et puis, peut-être qu'à l'avenir nous pourrions développer encore plus l'aspect professionnel, créer plus de rencontres, tisser davantage de liens avec d'autres festivals méditerranéens, voir ce qui se passe ailleurs pour nous inspirer, etc...

 

C. : Quelque chose à ajouter?
A.L. : Peut-être rappeler l'importance, pour nous, de garder un accès au plus grand nombre, avec des prix démocratiques pour les films, qui varient entre 4 et 6 euros. Et qu'en journée, on organise aussi de nombreuses séances scolaires gratuites, ainsi qu'à destination d'associations bruxelloises. On tient beaucoup à tout cela. C'est parfois une bataille pour nous lorsqu'on négocie des films, mais ça me semble important que le prix des places ne soit pas un frein pour permettre aux gens de voir des films, ou simplement de se laisser tenter...

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