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Rencontre avec Isabelle Paindavoine, directrice de recherche à l'Observatoire des politiques culturelles

Publié le 01/04/2019 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Rencontre avec Isabelle Paindavoine, directrice de recherche à l'Observatoire des politiques culturelles, responsable avec Anne-Rose Gillard de l'étude sur l'Alliance culture-école en Fédération Wallonie-Bruxelles : des dynamiques à l'œuvre.
Quand la culture s'invite à l'école, pour de bon
Le PECA, le parcours d'intégration culturelle et artistique est un vaste projet, déjà en chantier. En effet, certains enseignants sont investis depuis longtemps dans cette volonté de rendre l'art accessible à tous, du fondamental au secondaire. Certains établissements sont déjà liés de près ou de loin avec des opérateurs issus des différents secteurs culturels. Mais, ce n'est pas encore le cas partout.
Afin de faire un état des lieux, l'Observatoire des politiques culturelles a lancé plusieurs études. Quels élèves de quels niveaux d’enseignement ? Quelles sont les difficultés liées à la mise en place d’activités culturelles et artistiques ? Comment les opérateurs et les écoles se rencontrent-ils ? Quelles sont les conséquences de ces activités culturelles et artistiques chez les élèves ? Autant de questions auxquelles tente de répondre l'Observatoire en s'appuyant sur le terrain, sur les opérateurs déjà présents et les enseignants déjà actifs.

Cinergie : Comment est né l'Observatoire des politiques culturelles ?
Isabelle Paindavoine : L'Observatoire a été créé en 2001 afin d’intégrer davantage de réflexivité dans la conduite de l’action politique : mieux connaître la réalité pour intervenir de manière plus pertinente et mesurer les résultats des politiques culturelles menées. L’Observatoire est rattaché au Secrétariat général On travaille sur base d'un programme de recherches qui s'étale sur deux ans et qui est validé par un comité d'accompagnement dans lequel on va notamment retrouver les représentants des différents secteurs culturels de l'Administration générale de la Culture. Ce programme de deux ans s'élabore sur base des thèmes que les chercheurs souhaitent traiter mais également de demandes de l'Administration générale de la Culture. André-Marie Poncelet, qui est actuellement l'administrateur, sollicite ses services pour voir quels sont les intérêts du moment. C'est ainsi que nous avons réalisé le portrait socio-économique des musées en 2004, ainsi que le portrait des arts du cirque, arts de la rue et arts forain à la demande des services qui souhaitaient avoir une meilleure connaissance des opérateurs subventionnés par la Fédération Wallonie-Bruxelles. La Ministre peut aussi nous demander de faire des études. Par exemple, pour le Pacte d'excellence et l'opération Bougez les lignes, lancé par la Ministre Milquet, nous avons été sollicités pour animer le groupe de travail qui traitait de l’alliance culture-école et c’est ainsi que nous avons abouti à une proposition pour un Parcours d'éducation culturelle et artistique (PECA) qui va être mis en place dans les écoles à partir de septembre 2020.

 

C. : En quoi consiste cette alliance culture et école ?
I.P. : On y travaillait depuis plusieurs années avec ma collègue Anne-Rose Gillard. On est parties d’un état de la littérature pour voir ce qui se faisait ailleurs et quels étaient les résultats pour pouvoir initier une recherche en Fédération Wallonie-Bruxelles. Quand la Ministre s'est aussi intéressée à l'alliance culture-école, ça a été un boost supplémentaire pour lancer cette vaste enquête, obtenir des résultats avant la mise en œuvre du PECA pour observer ce qui se faisait déjà sur le terrain.
Les écoles travaillent avec un certain nombre d'acteurs culturels qui font déjà des actions dans le milieu scolaire, mais le PECA est une mesure qui va devenir structurelle pour l'ensemble des établissements scolaires. On se rend compte que certaines écoles font déjà beaucoup de choses et d'autres, peu, ce qui crée un phénomène de discrimination puisqu'on n'a pas accès à la culture de la même manière. L'idée du PECA, c'est d'harmoniser cet accès à la culture, dès la maternelle jusqu'au secondaire, qu'un parcours culturel soit établi, et axé sur trois composantes que sont les connaissances, les pratiques individuelles et collectives dans différents champs artistiques et la rencontre avec des artistes et des oeuvres.

 

C. : Pourquoi cette volonté de mettre la culture dans l'école ?
I.P. : Le droit à la culture est reconnu pour la première fois dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, dans le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels on parlera de droit à la participation culturelle qui suppose qu’un certain nombre de conditions soient remplies dont l'accessibilité. Cette accessibilité, on peut l'analyser sous divers angles, géographique, temporel, physique, intellectuel, linguistique ou financier. L'école est un lieu de transmission-réception par excellence et c'est la possibilité, puisque l'école est obligatoire, de fournir à tous les enfants, pendant le temps scolaire, un accès à la culture. C'est pour cela que notre étude est, dans un premier temps, axée sur le temps scolaire pour qu'il y ait une égalité entre l'ensemble des enfants. On sait qu'il y a une série d'activités qui se mènent dans l'extrascolaire mais c'est là que se crée le phénomène de différenciation entre les enfants, entre ceux qui vont en académies ou autres formations artistiques et ceux qui n'y vont pas.

 

C. : Quelles sont les lignes directrices des conclusions de votre étude ?
I.P. : Cette étude a été menée sur une année de référence sur l'ensemble des activités culturelles et artistiques menées sur la période 2015-2016, on a interrogé les 2648 écoles situées en Fédération Wallonie-Bruxelles (enseignement ordinaire et spécialisé, du fondamental au secondaire). On a aussi interrogé les 1842 opérateurs culturels subventionnés en 2015. On a mené une enquête en miroir, on voulait avoir le point de vue des opérateurs et celui des établissements scolaires sur les mêmes questions pour pouvoir comparer les résultats.
On observe qu'on a déjà une très grande majorité d'établissements scolaires qui font des activités culturelles et artistiques pendant le temps scolaire. C'est le fondamental ordinaire qui est privilégié car on a un enseignant qui suit les enfants pendant une année scolaire. C'est donc plus facile d'intégrer des sorties, des résidences d'artistes dans le programme.
On observe aussi une relation de proximité. Les établissements scolaires, comme les opérateurs, travaillent avec ceux qui sont très proches d'eux (moins de 25km). C'est probablement lié aux difficultés de déplacement des élèves.
Il y a une prédominance pour les arts de la scène, tout ce qui est lié à la participation culturelle (centres culturels) et les bibliothèques qui ont un ancrage permanent, quel que soit le niveau d'enseignement. Lors de cette étude, on a pu croiser les résultats avec le niveau d'enseignement pour voir si on observait des choses différentes en fonction du parcours de l'élève. Si je prends l'exemple des lieux, on se rend compte que quand on passe du primaire au secondaire, certains lieux sont davantage fréquentés: les musées, les sites et monuments historiques, les cinémas, les théâtres. En terme de disciplines, on est sur des choses assez diversifiées mais c'est vrai que tout ce qui est lié à l'audiovisuel est davantage travaillé dans le secondaire ainsi que le théâtre qui permet une appropriation du langage, de la diction, plus difficiles à appréhender avec un très jeune public. L'enseignement spécialisé ira plutôt vers les arts du cirque et de la rue qui privilégient la psychomotricité.
On s'est demandé aussi s'il y avait une évaluation de ces activités culturelles et artistiques. On observe que l'évaluation est informelle et qu'elle est davantage tournée vers les enseignants, plutôt que les élèves qui sont moins souvent interrogés sur leur ressenti face à l'expérience culturelle et artistique.
Ce qui est intéressant aussi, c'est qu'on a eu le souci, comme on interrogeait des secteurs différents, de pouvoir leur parler le même langage quand on leur parlait d'activités culturelles et artistiques. On a fait une distinction entre les actions de diffusion, où on n'a pas besoin de l'opérateur culturel (emprunter un livre dans une bibliothèque, visiter un musée), et les actions de sensibilisation/processus participatifs, où il y a une intervention de l'opérateur culturel.
On a aussi mesuré les outils de communication utilisés par les opérateurs. On se rend compte que les opérateurs font peu de courrier personnalisé aux enseignants. Ils vont s'adresser à la direction et on se rend compte que c'est moins efficace. Aller présenter son projet de vive voix, entrer en contact avec la direction et/ou l'enseignant est plus porteur qu'un courrier, même si les directions ne constituent pas, selon les opérateurs, un obstacle à la réalisation d'activités culturelles et artistiques. Ce qui est le plus utilisé par les opérateurs et jugés par eux comme très efficace, c'est le bouche à oreille.
Les obstacles, du point de vue des écoles, sont dus au coût des activités et à l'utilisation des transports en commun.

 

C. : Est-ce que vous avez pu mesurer les conséquences de ces activités sur les élèves ?
I.P. : Pour cette étude, non. Mais, on a réalisé une autre étude sur les résidences d'artistes. Il s'agissait de résidences d'artistes qui ont eu lieu en 2016-2017. Il s'agissait d'une enveloppe budgétaire qui a été conjointement libérée par la Ministre de l'enseignement et la Ministre de la culture et qui a permis de soutenir 27 projets de résidences d'artistes. On a créé des carnets d'observation de ces résidences, des sortes de journaux intimes qu'on a remis aux enseignants et aux artistes participants. Ils ont pu remplir ce document qui incluait différentes thématiques (relation développée entre enseignant et artiste, leviers et obstacles, effets attendus/obtenus, etc.). Et, avec ma collègue, nous avons analysé ces carnets de route et il y avait toute une partie consacrée aux effets attendus et obtenus vis-à-vis de la classe, de l'élève et de l'établissement scolaire et il y avait une grille de progression des élèves. On a demandé aux enseignants, sur une échelle de 1 à 5, sur une série de thématiques, de pouvoir définir par élève son échelle de progression. Ce qu'on observe par rapport à l'élève, c'est qu'on est surtout des résultats affectifs, c'est le plaisir qui va revenir souvent, que ce soit chez les artistes, ou les enseignants. La notion d'autonomie, le travail en équipe, la confiance en soi reviennent souvent. Cela permet à l'enseignant de mieux connaître ses élèves, aux élèves de découvrir leur enseignant sous une autre facette, ça crée du lien. Cela reste du déclaratif de la part des enseignants et des artistes mais on peut observer un certain nombre de choses. Pour cette analyse, nous avons adapté une grille d'Alain Kerlan qui avait fait cette expérience en France sur des élèves d’un collège situé dans un quartier sensible de Montpellier. Il existe peu d'outils pour mesurer les effets des activités culturelles et artistiques mais celui-là nous a permis d'avoir un certain nombre d'informations pertinentes par rapport à notre sujet d'observation.

 

C. : Ces activités vont être de plus en plus présentes au sein des écoles ?
I.P. : Oui, aujourd'hui, on va vers un parcours d'éducation culturelle et artistique, ce qu'on appelle PECA et que les Français appellent le PEAC. On veut mettre en place quelque chose de structurel au sein des écoles qui vont devoir réfléchir à ce PECA, le mettre dans leur projet d'établissement, elles vont devoir planifier et choisir les opérateurs culturels avec qui elles voudront travailler. C'est pour nous une grande victoire car c'est quelque chose de plus pérenne. Ce sera mis en place dès septembre 2020, d'abord dans le maternelle. Cela suscite des réflexions au niveau des grilles horaires.On ne veut pas isoler la culture mais l'inclure de manière transversale dans l'ensemble des disciplines aujourd'hui apprises dans les écoles.
Il ne faut pas oublier qu'il y a un certain nombre de dispositifs qui sont pilotés en propre par la Fédération Wallonie-Bruxelles (Journalistes en herbe, le Prix des lycéens de littérature et du cinéma…).
À partir du moment où ces activités culturelles et artistiques sont incluses dans le programme scolaire, on doit réfléchir à un processus d'évaluation et la culture ne s'évalue pas comme les mathématiques ou le français. On doit pouvoir justifier les bénéfices d'une activité culturelle dans les écoles et les effets ne sont pas toujours immédiats, ils se marquent aussi dans le temps, c'est une ouverture d'esprit et une curiosité qui se manifestent, une confiance en soi qui se développe, une idée de plaisir qui naît au sein de la scolarité.
La réflexion est également menée sur la formation initiale des enseignants. Si les enseignants sont amenés à mettre en place un certain nombre d'activités artistiques et culturelles, il faut qu'ils soient formés en amont. Donc, il y aura une facette plus culturelle qui sera mise en place au sein de la formation initiale mais aussi dans la formation continuée.

 

C. : Au niveau européen, est-ce qu'il existe un dialogue entre les différents Observatoires ? Est-ce qu'il y a des lieux de rencontre ?
I.P. : Par rapport au lien culture et école, non. Cela n'existe pas. Tout le monde n'a pas un Observatoire. Par exemple, la Flandre ne fonctionne pas avec un Observatoire des politiques culturelles Il y a l'Observatoire des politiques culturelles à Grenoble qui s'intéresse aussi au lien entre culture et école mais il n'y a pas d'harmonisation aujourd'hui sur une manière d'observer de façon uniforme cette thématique-là.
Il y a aussi le programme européen, EGMUS, qui souhaite mettre en place une observation homogène dans le secteur muséal. Les pays participants veulent mettre en avant des chiffres qui peuvent être comparables d'un pays à l'autre.
Les Québécois sont assez en avance sur la culture à l'école, ils ont complètement revu le cursus scolaire pour intégrer la culture dedans. Les Français, avec le PEAC, ont aussi voulu instaurer cette nécessité que tout le monde puisse avoir accès à la culture. En France, on est sur une problématique de territoires, de décentralisation très forte qu'on ne connaît pas en Fédération Wallonie Bruxelles. Ici, l'avantage, c'est qu'on va pouvoir travailler sur l'ensemble des établissements scolaires avec une politique commune qu'on va vouloir mettre en place.
L'idée n'est pas de tout révolutionner avec le PECA. C'est jusque qu'aujourd'hui le PECA va être structurellement imposé et qu'on aura quelque chose de plus uniforme. Aujourd'hui, les opérateurs culturels, les établissements scolaires font déjà beaucoup de choses dans le domaine de la culture et dans la rencontre de ces deux mondes. Le tout était de mettre cela en avant, c’est pourquoi nous avons souhaité réaliser un état des lieux qui n'existait pas encore en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Le PECA va aussi supposer la mise en place de référents scolaires du côté des opérateurs culturels et des référents culturels au sein des établissements scolaires, des personnes ressources qui vont pouvoir faciliter cette rencontre entre les opérateurs et les établissements. On se rend déjà compte que bon nombre de gros opérateurs ont déjà quelqu'un qui est responsable du lien avec les établissements scolaires. Cela prouve la volonté de la part des opérateurs culturels de vouloir mettre en place des moyens humains pour aller de plus en plus dans les écoles. Dans le futur, cette notion de référent sera réfléchie pour permettre aux plus petits opérateurs d'en jouir également. Tout cela est encore en réflexion aujourd'hui, on suit les travaux de près.

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