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Rencontre avec Javier Packer-Comyn, secrétaire général du CBA

Publié le 08/08/2023 par Dimitra Bouras et Antoine Phillipart / Catégorie: Entrevue

Depuis plus de 40 ans, le CBA, le Centre de l’Audiovisuel à Bruxelles, a la volonté de soutenir la création documentaire. Chaque année, le CBA organise 9 commissions: 3 en écriture, 3 en production, 3 en finition pour aider les auteurs et autrices de films documentaires. Depuis deux ans, le CBA propose un nouveau dispositif, le programme Impulsion, qui permet d’accompagner 8 projets documentaires dans les premiers pas de l’écriture. Les auteurs et autrices bénéficient d’un programme d’accompagnement de 5 sessions de travail avec une tutrice ou un tuteur en développement, d’un soutien financier, d’une aide en matériel et d’un accompagnement sur la recherche éventuelle d’un ou une productrice.

Cinergie : Pourquoi avoir initié le programme Impulsion ?

Javier Packer-Comyn : Au CBA, on s’est rendu compte, notamment dans la Commission d’aide à l’écriture, qu’il y avait beaucoup de demandes qui arrivaient en écriture à des degrés différents, des projets très aboutis et d’autres beaucoup plus balbutiants. En général, il y avait une part de risques, mais pour les projets balbutiants, on ne savait pas comment les aider au mieux au-delà de l’aide à l’écriture. On donne un soutien financier, mais aussi un accompagnement pour des projets qui seraient peut-être passés à la trappe d’une commission traditionnelle en écriture, mais qui peuvent être soutenus dans un dispositif de consolidation du projet. On a constaté qu’il y avait énormément de demandes d’aide en amont, il existe un désir de cinéma documentaire qui est exponentiel. Ce serait dommage de ne pas guider, de ne pas soutenir les projets les plus balbutiants. On n’a que 8 lauréats par an pour ce projet Impulsion et quand la sélection est faite, je prendrai le temps de lire tous les projets qui n’ont pas été sélectionnés et éventuellement proposer à certains projets l’autre dispositif d’accompagnement qui sont les ateliers croisés qui proposent une dynamique plus collaborative : on se réunit pendant deux jours, trois cinéastes et moi, et on travaille sur une première lecture croisée des projets. Cet atelier ne vise pas à développer l’écriture, mais à consolider les idées, à trouver les points d’appui. C’est plutôt un atelier de questions sur les projets et non de réponses. On essaie de créer un espace sécurisé autour de ces ateliers croisés.

 

C. : Comment se passent les rencontres entre les cinéastes et les coachs ?

J. P.-C.: Le principe d’Impulsion, ce sont des rendez-vous individuels qui ont lieu tous les 15 jours entre les coachs et les porteurs et porteuses de projet. Ce qui va être primordial, c’est que ces cinéastes puissent accorder du temps de travail à leur projet entre les séances pour nourrir la conversation, mais aussi des propositions de visionnage, de lectures de la part des coachs. On insiste sur le fait que les candidats et candidates soient disponibles les jours des rencontres en présentiel et puissent accorder du temps entre les séances pour travailler sur leur projet de rendez-vous en rendez-vous.

 

C. : Est-ce que les projets soutenus depuis deux ans ont été concrétisés ?

J. P.-C.: Pendant ces deux dernières années, il y a des projets qui ont pris leur temps, certains sont rapides et d’autres plus lents, mais tous ont continué dans leur développement. Certains ont été déposés par après à la Commission du CBA ou au Centre du Cinéma de la Fédération Wallonie-Bruxelles et ils ont été soutenus et d’autres sont plus lents. C’est parfois la nature du projet qui dicte cela. C’est difficile de dire combien de temps va prendre un projet qui est en écriture. Mais les 16 projets soutenus continuent leur chemin.

 

C. : Comment sélectionnez-vous les 8 projets soutenus chaque année?

J. P.-C.: La première année, on s’était dit qu’on allait soutenir quatre projets de film, deux par tuteur et tutrice. Mais après avoir reçu 46 demandes d’aide, on a élargi et on est passés à 8 projets. C’était un coût supplémentaire, mais c’était important de coller avec le ratio de la demande. La deuxième année, on a reçu 72 demandes. C’est dommage que cela devienne un processus de sélection, mais le principe ici c’est que les porteurs et porteuses de projet déposent un petit dossier de trois pages dont la structure est reprise sur le site et ce sont les tuteurs et tutrices qui choisissent directement les projets qu’ils veulent accompagner en fonction de ce qu’ils peuvent amener à un projet. Comme j’interviens dans la Commission du CBA, je ne participe pas à la sélection. On voulait vraiment que ce soit un dispositif indépendant de la Commission. Cette année, c’est Nicolas Rincón Gille, cinéaste et enseignant et Charlotte Grégoire, également cinéaste. Ils vont accompagner ces projets pendant cinq sessions de travail sur tout l’automne.

 

C. : Comment choisissez-vous les coachs ?

J. P.-C.: Ce qui nous intéresse, c’est d’avoir un peu de relief parmi les coachs. On a travaillé les deux premières années avec Olivier Burlet, enseignant, producteur et accompagnateur au Gsara et à l’HELB et Marta Bergman qui viennent d’univers un peu différents même s’ils sont ancrés dans la démarche documentaire. Charlotte Grégoire fait du documentaire, mais elle s’inscrit aussi dans une démarche collective avec le film Le Souffle court. Elle a eu aussi un parcours au sein de l’AJC qui nous paraissait en phase avec l’accompagnement de projets. Nicolas Rincon Gille a un parcours documentaire, mais son récent travail vers un certain type de fiction nous semblait aussi très intéressant par rapport à la diversité des projets que l’on reçoit. L’étiquette « documentaire » s’élargit de plus en plus et quelqu’un comme Nicolas peut répondre à certaines demandes.

 

C. : Qu’attendez-vous d’une « bonne » demande ?

J. P.-C.: C’est difficile à définir, car parfois il s’agit de projets sur lesquels les gens travaillent depuis un certain temps, mais ils ne parviennent pas encore à les formuler. Notre objectif n’est pas de faire aboutir des dossiers clé sur porte pour déposer dans des Commissions. C’est vraiment un travail de réflexion sur l’écriture et sur le projet qui permet aux cinéastes de trouver les points d’appui du projet et de consolider la pensée autour du projet sans entrer dans l’aspect technique d’écriture de dossier. On demande trois pages, une note d’intention, une note sur l’état dans lequel le ou la cinéaste se retrouve avec son projet, quelque chose sur l’histoire du lien qu’il ou elle entretient avec son projet. Cela doit dépasser l’état de l’idée, on ne fait pas une récolte de thématiques et de films possibles. Ce sont déjà des cinéastes en travail qui butent sur ces premiers moments de consolidation de la pensée autour de leur projet. C’est là où l’intervention des tuteurs et tutrices est importante.

 

C. : Est-ce que cette demande d’aide à l’écriture est liée au développement des sujets du documentaire ?

J. P.-C.: Le dispositif Impulsion est réservé aux premiers et deuxièmes films. On sent que c’est un moment important pour guider les cinéastes dans des choix de réalisation et autour de leurs sujets. Un sujet peut en cacher un autre et c’est le moment de creuser avec les cinéastes et d’amplifier l’envergure de ce qu’ils pensaient de leur film. Il y a une énorme variété de thématiques, mais ce qui nous intéresse surtout c’est comment les cinéastes se coltinent le monde, comment ils en font écriture, image et son. On n’est pas que guidés par les thématiques, mais aussi par ce qu’on pressent d’une patte d’un ou une cinéaste.

On constate dans les premiers et deuxièmes films des thématiques plus personnelles et on pointe aujourd’hui, en marge d’une dynamique plus militante, un cinéma de l’attention au monde. C’est réjouissant, car ce type de cinéma manque, un cinéma qui engage le spectateur et qui lui permet d’être agissant par après, des films qui nous bousculent, qui nous font travailler. On sent une nouvelle attention à de nouveaux sujets et une nouvelle manière de faire au sein de cette jeune génération et c’est cela qui nous stimule.

 

C. : On voit que c’est souvent difficile de réaliser un deuxième film, surtout dans le cinéma de fiction. Est-ce que c’est pareil dans le documentaire ? Est-ce que continuer est plus difficile que commencer ?

J. P.-C.: C’est clairement un secteur qui ne parvient pas à trouver une économie qui réponde à toutes les demandes. Il y a tellement de désir de cinéma qu’il est difficile de tout soutenir aujourd’hui. Il y a probablement des cinéastes qui feront moins de films sur une carrière qu’il y a vingt ans. Par contre, justement dans la jeune génération et dans une génération qui a continué à se questionner sur la démarche documentaire et sur la démarche de fiction, il y a quelque chose d’intéressant qui surgit à la croisée des attentions cinématographiques. Il y a un vrai enjeu d’accompagner cette nouvelle pensée autour des documentaires et aussi d’une partie de la fiction. Je crains que ce soit compliqué pour des cinéastes de confirmer des carrières entières, mais on doit continuer à soutenir ce qui émerge et ce qui existe même si je n’ai pas la réponse à comment faire. Même nous, en tant que Commission, on est toujours confrontés à plus de désir de soutenir que de moyens même s’ils ont augmenté. Il serait faux de penser que des films sont produits et réalisés sans toucher de public. Aucun cinéaste aujourd’hui ne fait un film pour lui. Il y a un public pour chaque film. Parfois, il s’agit de publics de niche mis ensemble, parfois des publics de festivals internationaux. Il y a un public pour le documentaire, mais il faut reconstruire ce public en permanence notamment grâce à une presse qui s’y intéresse. Mais, c’est vrai que le parcours d’un cinéaste aujourd’hui reste difficile.

 

C. : Est-ce qu’un projet refusé cette année peut être représenté l’année suivante ?

J. P.-C.: Je vais souvent avoir des nouvelles des projets refusés, car ils vont revenir vers moi pour un conseil, une première lecture et il y a beaucoup de liens qui continuent entre moi et les porteurs et porteuses de projets qui soumettent à Impulsion. Ils peuvent représenter leur projet l’année suivante, mais j’imagine qu’en un an, le projet aura cheminé avec eux et cela ne nous intéresse pas trop que l’on dépose des projets dormants qui traînent dans les tiroirs. On aime des projets où il y a une forme d’urgence, de vibrance chez le cinéaste à vouloir le faire. On veut des projets en travail et pour lesquels il y a un vrai besoin d’accompagnement. Ils ont besoin d’un cadre, d’un dialogue pour pouvoir avancer. On essaie que les projets déposés soient dans la plus juste photographie de leur état, mais on veut que ce soit des projets actifs pour lesquels tous les bénéfices pourraient être reçus.

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