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Rencontre avec Jeanne Brunfaut, directrice du Centre du cinéma

Publié le 15/01/2015 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Après avoir rencontré Véronique Pacco, responsable du service de la Commission de la Sélection des films, nous continuons à nous intéresser au Centre du Cinéma avec Jeanne Brunfaut, directrice. Nous explorons avec elle les actions menées pour promouvoir le cinéma belge auprès du public.

Cinergie :  Nous aimerions évoquer avec vous les actions menées en direction du public afin qu'il puisse voir les films belges.

Jeanne Brunfaut, Directrice du Centre du CinémaJeanne Brunfaut : Nous menons différentes actions afin d'inciter le public à découvrir ces films. D'abord en distribuant des aides relativement classiques telles que les aides à la promotion que l'on donne au producteur pour promouvoir son film lors de sa sortie. Nous souhaitons que l'aide soit adaptée au film et que le producteur juge le potentiel de son film en terme de séances, cela n'a pas de sens de verser une aide unique. Plus le nombre potentiel de séances est élevé, plus l'aide l'est. Celle-ci est spécifique et couvre des frais comme l'impression des affiches, l'organisation des avant-premières, l'emploi d'un attaché de presse... Nous proposons également une aide en marketing car nous nous sommes rendu compte que les producteurs n'étaient pas formés pour cela. A côté de cela nous prenons des initiatives plus ponctuelles à destination du public telles que le « Week-end du Doc ». Nous manquons de lieux de diffusions pour le documentaire et l'idée est d'aller chercher le spectateurlà où il se trouve, c'est à dire d'élargir temporairement les projections au-delà des salles habituelles comme des bibliothèques, des cafés, des syndicats, des musées, des halls de gares... Nous avons ainsi convaincu les opérateurs de diffuser les films dans des endroits qui n'y étaient pas initialement destinés. Cela s'est très bien déroulé et nous avons eu de nombreuses demandes de producteurs et de réalisateurs pour se greffer à ce projet. J'espère qu'il y aura une troisième édition, tout dépendra des effectifs du Centre du Cinéma. Voilà une des façons d'obtenir du public: aller le chercher. Car ce n'est pas toujours évident pour lui qui est face à une offre gigantesque d'aller à Liège ou Bruxelles pour voir tel documentaire qui n'est pas toujours accessible. Nous organisons également « Le Jour le plus court » qui est basé sur le même concept mais pour le court-métrage.

Nous passons aussi par d'autres opérateurs comme Brightfish qui réalise les capsules Cinevox et qui représente aussi une manière de conscientiser le public au cinéma belge. On s'aperçoit qu'il y a toute une frange de la population qui va voir des films américains mais qui n'est au courant de l'existence des films belges que grâce à ces capsules et que l'on n'atteint pas autrement. Nous soutenons également des festivals tel que le Be Film Festival intégralement consacré au cinéma belge. On organise des concours et nous essayons plus généralement d'aller chercher les gens là où ils sont. Cela fonctionne mieux de s'intéresser aux niches plutôt que de lancer une grande opération promotionnelle transversale qui sera noyée au milieu des campagnes étrangères disposant de moyens bien plus importants. 

C: Les Magritte ont démarré il y a quelques années avec un certain scepticisme notamment de la part des professionnels. Or ils sont désormais très demandeurs et Les Magritte sont devenus un vrai moyen de se faire connaître.

J.B.: En effet, cela va être la cinquième édition et nous sommes très satisfaits car ils ont su s'imposer assez vite. Il y avait beaucoup de critiques: ça sera une copie des Césars ou des Oscars, il n'y pas de glamour chez nous, cela fonctionnera en circuit fermé etc... Maintenant tout le monde veut y être. Cela crée une émulation. On reçoit des mails de producteurs qui organisent des projections sur grand écran avant la cérémonie par exemple. Et cela fonctionne bien au niveau du grand public, les gens savent ce que c'est même s'ils n'ont pas vu la projection sur BETV. La presse reconnaît également les prix décernés aux Magritte. C'est rentré assez vite dans les mœurs et c'est pour nous une très belle réussite. Même si l'on peut revoir les mêmes talents, il y a un beau roulement et je crois que l'objectif est tout à fait atteint. 

C: Il est peut-être un peu tôt pour chiffrer ces initiatives qui n'ont que quelques années mais peut-on tout de même observer des tendances ?

Jeanne Brunfaut, Directrice du Centre du CinémaJ.B.: Je crois qu'il est en effet un peu tôt pour mesurer ces résultats et nous ne sommes pas forcément objectifs car nous nous concentrons tout de suite sur les petites failles. Mais nous voyons une différence de regard de la part du public. Il y a quelques années, une étude avait montré que les belges avaient une opinion plutôt bonne de leur cinéma mais qu'ils avaient des difficultés à le différencier du cinéma français. Aujourd'hui, les spectateurs reconnaissent mieux les films belges, ils savent qui est Bouli Lanners ou Joachim Lafosse. Le public commence à connaître ses comédiens également, même s'il y a encore du travail à faire. C'était justement une des raisons qui a donné naissance au fond « séries TV ». Les spectateurs voient ainsi régulièrement de nouveaux comédiens que l'on retrouvera à terme au cinéma et cela participe d'un cercle vertueux même si nous n'en sommes pas encore là. La perception est meilleure mais les chiffres en salles ne sont pas encore très bons. Je crois que l'objectif est donc en partie atteint, les films sont beaucoup plus disponibles, plus simples à voir. D'autre part nous avons une amélioration de l'image grâce à des films très différents AlleluiaErnest et Celestine, A perdre lraison ou Deux jours, une nuit. Les gens ont vu que le spectre des films proposés était plus large que ce qu'ils pensaient. Il reste maintenant à amener davantage de spectateurs dans les salles et c'est le challenge des années à venir. 

C: Comment allez-vous relevez ce challenge? Par la mise en place de nouvelles actions de promotions ou par une politique d'éducation ?

J.B.: Je pense qu'il faut lier les deux afin d'aller chercher les différents publics potentiellement intéressés par tel ou tel type de film. Je crois que nous devons également intensifier notre promotion via les réseaux sociaux auxquels nous avons assez peu consacré de moyens faute d'effectifs. J'estime également que nous devons mener des actions d'éducation dans les écoles et chez les jeunes car ils sont très ouverts d'esprit comme on le voit avec le Prix des Lycéens. Ils s'investissent totalement dans leur rôle de juré et deviennent presque des groupies de cinéastes belges dont la presse peut dire que ce sont des intellectuels. Tous les préjugés peuvent sauter devant un public vierge comme celui des enfants ou des jeunes et nous nous devons de tout essayer avec eux. 

C: Nous avons la chance maintenant d'avoir une ministre qui possède les deux casquettes (éducation et culture). Y a-t-il des actions prévues dans le cadre de l'enseignement?

J.B.: Pas encore mais je pense que ça va être le cas. On travaille notamment avec le Conseil de l'éducation aux médias. Nous réfléchissons à mettre en place des actions et pour ce faire, nous devons mettre les gens en réseau. Il est compliqué pour une école dont ce n'est pas la priorité de comprendre le fonctionnement de diffusion d'un film, de savoir contacter les ayants-droits etc... Et c'est à nous de rendre les choses plus faciles. Il n'existe pas encore de plan établi mais je pense que nous allons travailler dans ce sens avec la nouvelle ministre. 

C: Existe t-il des aides spécifiques au soutien d'un certain cinéma? Pourrait-on imaginer par exemple des prix d'entrées différents selon l'origine d'un film, qu'il soit belge, européen ou autres ?

Jeanne Brunfaut, Directrice du Centre du CinémaJ.B. : Nous aurions bien aimé mais tout ce qui relève de l'exploitation relève du fédéral et non de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans un monde idéal nous aurions un système similaire au système français c'est à dire avec une taxe sur la billetterie qui alimenterait directement un fond de soutien. Mais en Belgique c'est impossible à cause des différents niveaux de pouvoir. L'avantage du système français est que le fond est nourri par le cinéma dans son ensemble, donc ils sont très heureux lorsque les américains sortent des blockbusters qui marchent très bien car cela renforce leur fond de soutien. 

C: Nous avons justement évoqué les différents événements mis en place tels que le Week-end du doc. Y en a t-il d'autres de prévus ?

J.B. : On y réfléchit car c'est le début d'une nouvelle législature et nous aimerions en proposer au cabinet de la ministre qui semble très en attente. Je persiste à dire qu'une partie de l'objectif est atteint et que nous devons organiser des actions qui se conjugueront avec ce qui est en place afin que le public baigne dans le cinéma belge. Il faut que le cinéma belge devienne incontournable même s'ils ne vont pas tout de suite voir les films, les gens doivent en avoir entendu parler et cela passe aussi par les écoles. 

C: La confusion persiste malgré tout entre les films belges et français. On le voit aux Magritte où sont présentes de nombreuses coproductions. Avez-vous envisagé de retirer ces coproductions de la cérémonie ?

J.B. : Non car si nous ne coproduisons plus nous pouvons perdre 90% de nos films. Nous sommes dans une logique d'inclusion plus que d'exclusion. Même si l'élément belge du film se limite à un comédien nous l'incluons et c'est ce que nous mettons en valeur. Si dans 10 ans on peut organiser une cérémonie uniquement belge pourquoi pas mais c'est impossible aujourd'hui. De plus, la confusion est réelle mais à double-sens, parfois les gens pensent qu'un film français avec Cécile de France ou Benoît Poelvoorde est belge par exemple. Si l'on prend un film comme Henri qui est très français dans son montage notamment, mais qui a des côtés tellement belges que les spectateurs l'ont pris comme tel, et on l'a valorisé comme ça. 

C: Il existe une forte volonté de collaboration avec le cinéma flamand malgré des différences notables. Le cinéma peut-il être un moyen de rapprocher les deux communautés ?

J.B. : J'ai l'impression que nos relations avec le VAF ou ceux entre producteurs des deux communautés, se passent très bien. Nous avons donc une enveloppe conjointe issue d'une volonté politique de favoriser les coproductions flamandes-francophones, alors qu'auparavant elles étaient sur le même plan que les coproductions avec l'étranger, ce qui était tout de même un peu fort. Les relations s'intensifient et vont désormais au-delà d'un renvoi d'ascenseur, il y a une véritable implication de part et d'autre. Nous multiplions les contacts avec Pierre Drouot et cela se passe très bien. Nous avons beaucoup à gagner ensemble. Nous avons par exemple beaucoup à apprendre de la Flandre en terme de séries télévisées. 

C: Nous (Cinergie) organisons un prix de jeunes critiques et nous nous apercevons qu'il est difficile pour les jeunes de porter une réflexion cinématographique. On imagine que des cours d'analyse de films ou de grammaire cinématographique leur permettrait de décortiquer différemment ce qu'ils visionnent.

J.B. : Bien sur, il doit y a voir une réflexion à ce sujet car il existe de nombreuses associations travaillant là-dessus et peut-être faudrait-il mieux les fédérer, les aider à mieux rencontrer l'école. C'est difficile car ce n'est bien évidemment pas la priorité de l'école d'organiser ce genre de cours et qu'il s'agit en général de la volonté d'un professeur. De plus, chacun aimerait avoir son cours mais les horaires ne sont pas extensibles. Je pense qu'il y a tout de même des choses à faire car nous possédons les ressources destinées à l'apprentissage des jeunes, il faut réussir à mettre tout ça ensemble. 

C: C'est une des vocations du Centre du Cinéma j'imagine.

Jeanne Brunfaut, Directrice du Centre du CinémaJ.B. : Nous n'avons pas de missions d'éducation à priori, nous sommes vraiment dans le soutien à la création et à la diffusion mais le ministère a compétence en la matière et il existe déjà des missions dans les écoles. Il doit être possible de développer cela davantage ou autrement. 

C: Avez-vous des craintes pour l'avenir de la culture, tant au niveau belge qu'international ?

J.B. : Ce n'est que mon avis mais ce qu'on entend au niveau fédéral est inquiétant. Diminuer les budgets d'institutions emblématiques de la Belgique comme La Monnaie et priver ce lieu de spectacle de danse revient à long terme à se tirer une balle dans le pied, même si des mutualisations sont souhaitables par ailleurs. Au niveau européen, le risque vient de la contradiction entre l'obligation qu'ont les institutions de défendre la diversité culturelle et leurs orientations de plus en plus libérales. Nous travaillons énormément à rappeler aux institutions européennes qu'il s'agit là d'une de leurs missions et que si l'on considère la culture uniquement sous le prisme du marché unique nous perdrons une bonne partie de la création actuelle. Nous avons l'impression de répéter sans cesse les mêmes choses car les interlocuteurs varient beaucoup mais c'est une pédagogie nécessaire car ils ne connaissent pas forcément la chaîne de financement d'un film par exemple. Nous avons réussi à préserver ce qui devait l'être mais on ne va certainement pas vers davantage de culture. 

C: La création est de plus en plus considérée sous son seul aspect économique.

J.B. : Tout à fait, on parle d'ailleurs toujours plus d'industries culturelles. Elles existent ces industries évidemment mais nous devons pouvoir continuer à soutenir à perte des projets créatifs sans en connaître le résultat. Si l'on ne finance que des projets que l'on juge rentable à 90% cela sera ingérable en terme de contraintes créatives. Il faut un espace de liberté pour voir émerger des petits bijoux totalement inattendus. Mais il est clair qu'au niveau européen, on parle beaucoup d'économie quand on évoque la culture et il faut revenir davantage à la base, à la création.

C: Qui est une nécessité ?

J.B. : Oui, je le crois fortement. C'est primordial dans une communauté, cela donne une identité. Je crois que les créations rencontrent leur public, qu'il existe une demande, on doit toucher les gens. Si c'est un public de dix personnes le contrat est remplit, si c'est dix millions c'est mieux. On ne crée pas pour soi-même, on est en attente d'une rencontre avec un public et c'est là que les maillons de la chaîne à laquelle nous appartenons se mettent en marche.

 

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