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Rencontre avec Jeanne Brunfaut, Directrice du Centre du Cinéma

Publié le 31/07/2018 par David Hainaut et Tom Sohet / Catégorie: Entrevue

"Pour le cinéma belge, l'important est d'avoir des auteurs, des réalisateurs et des genres différents!"

Plus que jamais, le cinéma belge reste (aussi) une affaire de coproduction. Via le Centre du Cinéma, particulièrement actif pour nouer - ou renforcer - des accords internationaux, de nombreux liens se créent, en ce moment même, pour faciliter les accès aux coproductions, permettre l'ouverture à de nouveaux formats (séries, programmes web...) et renforcer le statut des auteurs.

Jeanne Brunfaut, Directrice du Centre du Cinéma, évoque ces mouvements.

Cinergie : Ces derniers temps, la Belgique, via son Centre du Cinéma, a noué plusieurs accords de coproduction avec l'étranger : du Canada au Chili, en passant par les Pays-Bas, l'Uruguay et bientôt le Mexique. Entre beaucoup d'autres. Est-ce pour compenser la baisse observée des productions françaises tournées chez nous ?
Jeanne Brunfaut : Disons qu'il n'y a pas moins de films français qui se font chez nous, mais moins de films du "milieu", à savoir ceux à 5 ou 6 millions d'euros, l'Hexagone ayant mis en place des conditions pour relocaliser certaines productions à domicile. L'effet ricochet, c'est qu'il y a moins d'argent français investi chez nous, mais aussi dans les films belges. Même si nous partageons avec notre voisin une vision du cinéma et des habitudes de travail communes. Il y a donc lieu de trouver des alternatives. Comme ces coproductions avec d'autres pays...

C. : ...et des cinématographies étrangères qui ont des points communs avec la nôtre ?
J.B. : Oui, ou une manière proche d'envisager l'artistique. Si on prend le Chili, c'est un marché similaire au nôtre avec, comme nous, un grand voisin présent (NDLR: l'Argentine) et la même difficulté à faire vivre le cinéma national. L'idée de ces accords est d'aider les producteurs belges à trouver de l'argent plus facilement à l'étranger, et encourager les coproductions. Nous favorisons aussi des rencontres, comme on l'a fait au Festival de Cannes, avec des pays comme l'Autriche, la Géorgie ou la Pologne. Et on a aussi des contacts avec le Brésil, le Liban, l'Ukraine et d'autres : cela part dans tous les sens, mais c'est ... enthousiasmant pour de futurs projets!

C. : Concrètement, sur le terrain, cela se passe comment ?
J.B. : Les dépenses peuvent se matérialiser en tournages, mais aussi en post-production. Nos producteurs sont en général inventifs : c'est positif aussi pour les artistes et les techniciens, car on augmente la possibilité de faire appel à eux.

C. : Plus que jamais, la Belgique reste donc un pays champion de la coproduction ?
J.B. : Complètement ! Historiquement, la Belgique a toujours considéré qu'il n'y avait pas assez d'argent pour fabriquer un film chez elle. C'est moins le cas de nos jours, car via les différentes aides existantes, un film à coûts moindres peut toujours se fabriquer. Mais si on veut un budget plus confortable, l'apport d'une expertise et un échange artistique, ce n'est alors là faisable qu'en s'ouvrant à l'étranger. Puis, un film coproduit entre plusieurs pays circule forcément mieux dans le monde.

C. : À l'étranger, où vous vous déplacez souvent, quelle image a le cinéma belge ?
J.B. : Superbe. Au-delà de notre position centrale en Europe et de nos aides comme le Tax-Shelter, les gens aiment venir chez nous pour les rapports humains : ils sont directs et simples. On ne s'en rend pas toujours compte d'ici, mais on reste un petit pays avec une cinématographie impressionnante et remarquée à l'extérieur. On vante aussi souvent notre ton et notre liberté. Y compris pour nos séries, désormais.

C. : Un mot justement, sur la récente déception de la série Champion, avant les retours de La Trêve et d'Ennemi Public ?
J.B. : Nous sommes déçus, mais nous assumons ce pari. C'est normal de ne pas tout réussir, nous analysons les raisons de cet échec. On doit en tout cas rester vigilant et continuer à soutenir des séries alternatives et originales : si on ne se focalisait que sur un certain type de projet, on passerait à côté de ce qu'on voulait faire....

C. : Autre constat, dans le financement des films et des séries : on assiste à de plus en plus de rapprochements entre le nord et le sud du pays...
J.B. : Oui, déjà parce qu'il y a un accord annuel entre le Centre du Cinéma et le Fonds Audiovisuel Flamand, chacun soutenant 4 documentaires et 4 longs-métrages de l'autre communauté. C'est ce qui nous a permis de financer Girl, primé 4 fois à Cannes. On a vu aussi nos auteurs, flamands et francophones, représenter la Belgique au Festival Séries Mania en France. Les enjeux flamands se rapprochent des nôtres : ils ont moins de succès populaires et leur cinéma d'auteur a les mêmes difficultés à trouver son public. Les points communs se multiplient naturellement, cela se passe en bonne intelligence.

C. : Côté francophone, comment se porte le cinéma de 2018 ?
J.B. : Avec les succès de Ni juge ni soumise et de Mon Ket, c'est important de montrer que la commission de sélection de films n'est pas cette instance hyper élitiste, coincée et intello ne misant que sur du cinéma art et essai déprimant ! Car c'est encore parfois l'image que certains en ont (sourire). Toucher le grand public tout en étant à Cannes avec un film comme Nos Batailles de Guillaume Senez, le mix est intéressant. Mais la diversification se précise dans ce qu'on nous propose : comédies, films d'horreur et thrillers pointent le bout du nez. La palette s'élargit et on s'en réjouit. Songeons aussi à Insyriated : qui pourrait croire que ce film est belge !

C. : Évidemment, les changements peuvent prendre un certain temps...
J.B. : Arrêter le cinéma d'auteur pur et dur n'aurait aucun sens. Nous ne sommes pas la Gaumont et les plus grosses "machineries" peuvent toujours se financer ailleurs ! L'important, c'est d'avoir des auteurs, des réalisateurs et des genres différents. C'est aussi pour cela que nous venons de lancer un appel à productions de films à conditions légères, pour susciter l'attention de nouveaux créateurs.

C. : Cet été, qu'est-ce qui domine votre emploi du temps ?
J.B. : Notamment une réforme des aides à l'écriture et au développement, sur laquelle on a travaillé avec les associations professionnelles, en partant du constat que le scénario était un maillon à renforcer. L'idée, en gros, serait de permettre aux auteurs de pouvoir prendre plus de risques, en les aidant mieux financièrement, tout en sachant arrêter à temps un projet quand il n'est pas assez bon. Et en laissant à l'auteur la possibilité d'en commencer d'autres.

C. : Dernière chose, quel bilan tirez-vous de l'Opération 50/50, qui vous a permis de diffuser cinquante ans de cinéma belge en salles?
J.B. : Avec 5.000 personnes pour ces séances spéciales, on a réussi le pari de montrer des films belges au public, en fédérant une série d'opérateurs (Bozar, Cinematek, Flagey, RTBF, TV5, les salles de cinéma, les festivals...) autour d'un vaste projet commun, ce qui n'est jamais simple. Nous envisageons de poursuivre une opération de diffusion de films restaurés, comme bientôt, Le Maître de Musique. Quand on organise des séances de films belges pour des gens qui ne le connaissent pas bien, on sent que celui-ci suscite une curiosité. C'est aussi pour ça que nous venons de lancer une plateforme scolaire, pour permettre aux jeunes, dans leur cursus, de mieux connaître notre cinéma. On se doit d'aller chercher les gens partout où on peut !

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