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Rencontre avec Lili Forestier pour Ex Utero

Publié le 05/11/2024 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Scénariste, script-doctor, réalisatrice, activiste féministe intersectionnelle basée à Bruxelles, Lili Forestier présente son documentaire Ex Utero, un film sur les violences gynécologiques et obstétricales. Comme dans ses courts métrages précédents (Maman !, 2018 - Les Mauviettes, 2014 ), elle mêle grande histoire et histoires intimes. Dans Ex Utero, Lili Forestier tisse à ses interviews des images d’archives traversant des siècles de pratiques gynécologiques. Avec ce film elle manifeste encore une fois l’envie de raconter un cinéma différent où les femmes et identifiées comme telles occupent une place de droit parce que l’image des femmes dans l’histoire du cinéma est encore à écrire.

Cinergie : Comment est née l’idée du film ?

Lili Forestier : Je suis moi-même victime de violences gynécologiques depuis 30 ans. Je souffre d’endométriose comme une personne sur cinq dans le monde, la mienne étant au stade 4. Je savais que je ne voulais pas d’enfant et j’ai demandé pendant plus de 10 ans qu’on me ligature les trompes et qu’on me retire l’utérus. L’endométriose est une maladie colonisatrice qui se caractérise par des règles très invasives. On l’appelle « le cancer qui ne tue pas ». Les femmes qui ont accouché et qui souffrent d’endométriose disent que les douleurs se rapprochent de celles des contractions de l’accouchement, c’est insoutenable. J’ai vécu une vraie errance médicale. Aujourd’hui, j’ai plusieurs amies, plus jeunes que moi, qui ne voulaient pas ou plus d’enfants à qui les médecins ont accepté de ligaturer les trompes, mais il fallut qu’elles insistent et justifient leur choix. C’est compliqué. Moi, ce n'est qu’à mes 42 ans que les médecins ont accepté de me retirer l’utérus. Et, c’est sur mon lit d’hôpital, après cette opération, que je me suis dit que mon prochain film serait un documentaire qui traiterait des violences gynécologiques.

J’ai commencé à discuter avec des copines et je me suis rendu compte qu’on était nombreuses à avoir vécu des violences gynécologiques et obstétricales qui commencent par la parole et peuvent aller jusqu’aux gestes. Par exemple, on peut entendre des termes grossophobes, homophobes, des injonctions et on peut aller jusqu’au toucher sans consentement, aux examens sous la contrainte, aux outils introduits sans prévenir. Dans les violences obstétricales, on va jusqu’à recoudre les parties intimes d’une personne. Le spectre du champ des violences va jusqu'aux violences sexuelles. On est nombreuses à avoir vécu ça. Cette errance médicale nous rend à la merci de toutes les violences possibles du corps médical. On te balade d’un examen à l’autre.

Ensuite, j’ai ouvert une boîte mail et j’ai fait un appel sur les réseaux pour que les personnes puissent s’exprimer autour de cette question. Quelques jours plus tard, il y avait déjà une vingtaine de témoignages. Je ne fais pas de reportage ni scientifique ni historique, je suis réalisatrice et j’avais envie de partager ce sujet qui m’était proche avec d’autres. Je me suis rendu compte que j’avais un panel de la société devant moi, car on était très nombreuses et très différentes.

 

C. : Comment se sont passées les rencontres avec ces personnes?
L.
F. : Le film est la conséquence de mon endométriose. Aujourd’hui, les choses ont évolué et il existe des cliniques de l’endométriose. Les violences que j’ai subies sont la conséquence de la maladie. On mettait plus ou moins 15 ans à diagnostiquer les femmes de ma génération, j’ai 49 ans. Aujourd’hui, on diagnostique plus vite et on s’épargne des années d’errance médicale. Ce n’est pas une maladie orpheline et une personne réglée sur cinq en souffre. C’est énorme. L’endométriose empêche de vivre professionnellement, socialement et/ou sexuellement. Si une maladie avait empêché les hommes sis de travailler, d’avoir une vie sociale et de baiser, on aurait trouvé un vaccin depuis belle lurette !

Pour les problèmes d’érection, il y a des centaines de traitements différents. Pour l’endométriose, on doit prendre des hormones tout le temps pour arrêter le cycle menstruel. Comme solution, il y a le curetage et les hormones. Si on n’est pas d’accord, il n’y a rien d’autre. Une médecin m’avait dit : « Mademoiselle Forestier, si vous aimez souffrir je ne peux rien pour vous ».

En 2020, quand je devais rencontrer les femmes, le Covid est arrivé et je n’ai pas pu les rencontrer. Cette contrainte est devenue positive, je me suis dit que, comme on allait parler de choses intimes, je laissais le choix aux témoins entre la visioconférence, le téléphone ou l’écrit et je les enregistrais. Cela a très bien fonctionné. Je les prévenais qu’elles allaient devoir témoigner une deuxième, voire une troisième fois pour le film. Je préférais le leur dire, car ce n’est jamais plaisant de ressasser les violences. J’ai retranscrit tout ce qu’elles m’avaient raconté et, à partir de ce premier jet, j’ai pu démarcher les boîtes de production et démarrer les demandes de subvention. Néanmoins, il y a un fil conducteur qui s’apparente à un système, celui du consentement ou de l’injonction.

 

C. : On pourrait croire que les gynécologues masculins auraient plus de difficultés pour s’adresser aux femmes, mais on se rend compte que ce n’est pas une question de genre, mais comment la gynécologie est apprise.

L. F. : Dans la gynécologie telle qu’elle a été conceptualisée et transmise dans les universités, on est dans un monde patriarcal. Je pense que les femmes gynécologues d’une certaine génération ont appris avec les outils et la manière de faire des hommes. Elles étaient souvent les seules de leur promotion. Elles ont évolué dans un système où on ne pouvait pas se plaindre et où le consentement n’existe pas.

 

C. : D’où est venue votre envie de recherches historiques sur la gynécologie ?

L. F. : Je voulais savoir ce qui s’était passé pour qu’autant de personnes différentes vivent la même chose dans les cabinets de gynécologie. J'ai la chance d’avoir eu un papa qui m’a sensibilisé à l’histoire dès mon enfance, donc l’histoire, les archives, dans mon système narratif, c’est quelque chose qui m’est assez naturel. En fiction ou en documentaire, à l'écrit, au visuel, les archives, ça me passionne. L’histoire, dite grande qui côtoie nos petites vies d’humain·es, crée du récit. C’est universel et puis, remonter le temps, surtout sur les sujets politiques, c’est essentiel pour comprendre.

 

C. : Comment avez-vous interrogé l’histoire ?
L.
F. : Depuis que je suis petite, j’écris et je me suis toujours demandé comment on en était arrivés là. Le seul moyen de le savoir, c’est d’aller interroger l’histoire. Pour moi, c’est un moyen qui m’émeut et ça me recentre. Dans tous mes courts métrages de fiction, dans d’autres travaux de recherches, dans les films que j’ai écrits, il y a toujours des archives à côté de la réalité du terrain actuel. Même dans la fiction, j’insère des éléments dans le décor pour faire référence à l’histoire. Par exemple, s’il y a une télévision dans le salon, elle n’est pas éteinte.

Ici, pour moi la question qu’on peut se poser et qui enfonce une porte ouverte, c’est est-ce qu’on vit de la violence aujourd’hui dans les cabinets parce que cette pratique est née dans la violence ? Je ne suis pas historienne, mais j’ai consulté une historienne spécialisée en médecine du Moyen-Âge, j’ai consulté dans les bibliothèques, sur internet. J’ai vraiment fait un travail de recherchiste, tant pour les visuels que pour les textes que j’ai lus, les podcasts que j’ai écoutés, les personnes que j’ai rencontrées. Pour les archives, ç’a été compliqué d’avoir les droits. Mais je tiens à dire que la majorité des gens dans les institutions qui nous ont suivies, autorisées, louées ou donné leur autorisation de diffusion ont été ultra aidantes et accueillantes. Dans le film, il y a 220 occurrences d’archives et pour chacune, j’ai dû vérifier et demander ces autorisations. Je voulais des images de chaque époque et je ne voulais pas faire d’anachronisme. Chaque période utilise un champ iconographique lié à son époque. Je voulais aussi que la majorité des représentations colle avec ce que je racontais.

 

C. : Comment avez-vous effectué des choix lors du montage ?
L.
F. : Pour filmer les témoins, on a créé un protocole assez particulier. On a fait plusieurs essais de caméra. Avec ma cheffe opératrice, Nastasja Saerens, on avait envie de rendre un femmage aux féministes des années 1970 et on voulait magnifier les témoins, on voulait les montrer fortes. On a fait plusieurs tests avec plusieurs caméras et on a associé une red komodo à des optiques argentiques des années 1970, les Élites et on a trouvé l’image que nous cherchions. Pour l’extérieur, nous avons tourné avec une Sony Fs7. Le dispositif pour filmer les témoins était récurrent : on a choisi des plans fixes des témoins assises dans des endroits qu’elles avaient choisis. On a choisi de les cadrer dans un contexte coloré, plutôt que d’avoir un fond uni, blanc, qui rappellerait le médical. Chacune a choisi un tissu qui la représente.

Elles avaient un certain nombre de questions qui étaient d’ordre général et concernaient les dernières années (par exemple, les lois sur l’IVG aux États-Unis), puis on rentrait dans l’intime. L’idée, c’était de poser la caméra à une certaine distance d’elles pour les questions générales et on avançait la caméra pour les questions intimes. On voulait être dans une écoute absolument totale, c’est pour cela que nous ne voulions pas bouger la caméra durant le témoignage afin de ne pas les couper. Donc on a fait un système de répétition et de marquage au sol, comme en fiction finalement. Bien sûr elles ne répétaient pas leur témoignage proprement dit, plutôt elles disaient “je crois que je me sens de parler de ça si vous êtes un peu loin “et “ là j’aurais besoin d'une pause”, c’est plutôt ainsi qu’on l’a fait. On sait que le gros plan d’un œil viendra faire sens avec telle parole ou l’autre, etc. On savait d’avance de quoi elles allaient nous parler et on s’est mises d’accord sur l’endroit où on allait couper et changer de valeur de plan. On leur a ensuite demandé si on pouvait filmer une partie de leur corps qu’elles avaient choisie et on filmait de très près leurs yeux et leur bouche avec des dioptres. Pourquoi je parle de ça, parce que c'est évident que ce dispositif exige plus que n'importe lequel de penser le montage image et son en amont.

De manière générale, j’utilise des cadrages décalés et en montage, j’utilise beaucoup de splitscreens. Je savais que le contrechamp de mes témoins c’était l’histoire, donc j’ai fait des splitscreens de mes témoins avec des images historiques. On a monté pendant longtemps, on a fait des nettoyages des archives et j’ai fait beaucoup de visions test à la fin des dernières semaines de montage avec quelques personnes. J’ai pu affiner, poser des questions auxquelles j’avais des réponses. Cela m’a permis d’avancer beaucoup dans le processus de montage.

En tout, depuis l’idée jusqu’au mix son cela aura pris 7 ans de ma vie. C’était un processus très long. Même pour le son, je voulais qu’il soit en adéquation avec les périodes visitées, mais je ne voulais pas que ce soit trop narratif.

J’ai pensé le film en termes de territoire pendant l’écriture, la réalisation, le tournage, le montage image et son. On traverse des territoires au même titre que nos corps ont été maltraités comme des territoires colonisés. C’est pour cela que je voulais traverser les périodes de temps et les témoignages comme une épopée.

 

C. : Comment avez-vous financé le film ?
L.
F. : Le film a été très difficile à produire. Le CBA, la RTBF et l’Institut pour l’égalité des genres nous ont soutenues pendant tout le processus, mais ce film a été difficile à défendre dans nombre de commissions. J’ai reçu beaucoup de réflexions terribles.

Un film féministe qui parle d’un sujet de société est encore très compliqué à monter financièrement aujourd’hui, c’est une certitude, parce que justement les sujets parlant de la moitié de la planète ne sont pas considérés.

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