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Rencontre avec Walid Mattar – Vent du nord

Publié le 27/06/2018 par Fred Arends et Tom Sohet / Catégorie: Entrevue

Pour son premier long-métrage, Walid Mattar tisse un double récit entre le nord de la France et la banlieue de Tunis. Une usine délocalisée oblige Hervé à poursuivre son rêve. Relocalisée en Tunisie, cette usine offre une nouvelle perspective à Foued. Porté par des comédiens talentueux et un ton résolument optimiste malgré la dureté de certaines situations, Vent du nord était présenté hors compétition à la 1ère édition du Festival International du Film de Bruxelles (BRIFF). Nous y avons rencontré Walid Mattar.

Cinergie : Vent du Nord est votre premier long-métrage. Comment est né l'envie de raconter cette histoire ?
Walid Mattar : Au départ, l'envie a été de raconter deux tranches de vie. L'une est celle de la famille à Wimereux et l'autre à Hammam-Lif en Tunisie car je connaissais très bien les deux villes. Je suis d'Hammam-Lif et pour des raisons personnelles, j'ai habité dans le nord de la France. Et j'ai vu des ressemblances entre les gens. Peut-être viennent-elles de leur classe sociale, du fait d'être à côté de la mer ? Il y a cette relation commune avec les lieux, les cafés mais aussi dans les relations familiales et amicales. Il y a quelque chose que l'on ne retrouve pas dans les grandes villes. J'étais habité par ces rapprochements. À partir de là, nous avons commencé à écrire, et nous avons trouvé cette histoire d'usine où il y a beaucoup d'absurdité et d'injustice avec cette relocalisation. Dès que nous avons eu l'idée de la délocalisation, la structure du film s'est réellement mise en place. Le film devait suivre l'usine avec, en parallèle, l'histoire de Hervé et celle de Foued.

C: Comment mener ces deux histoires qui ne se rencontrent quasi pas et qui se répondent pourtant ?
W.M. : Dans le scénario, il y avait déjà une structure atypique. Nous travaillions sur la partie française qui s'améliorait et qui nous poussait à retravailler la partie tunisienne. Tout a été fait pour arriver au meilleur équilibre. De même, à part la fin, il n'y a pas de montage parallèle rapide. On est là, on s'installe réellement en France et on raconte l'histoire d'Hervé et puis on part avec Foued. C'était un vrai parti-pris de même que celui de ne pas les faire se rencontrer. Et d'éviter le misérabilisme, avoir de la légèreté, aimer les personnages et essayer d'être proche d'eux. Nous avions défini ces critères pour l'écriture et pour la mise en scène.

C: L'unité est créée par les machines de l'usine, par les relations familiales, par des petites choses qui tiennent l'ensemble...
W.M : Oui et à travers la délocalisation, dans l'imaginaire collectif, on sait aussi qu'on parle d'exploitation, de recherche de profit. Et sur ce fond-là, je voulais raconter les rêves de deux hommes dans le contexte économique mondial d'aujourd'hui. Mais le plus important pour moi était ces petites choses, les moments de Foued avec sa copine, les moments en famille et aussi l'évolution des personnages comme la relation entre Hervé et son fils qui se transforme.

C: Malgré l'usine, la précarité et les violences sociales, le personnage d'Hervé, son côté bourru assez drôle, permet cette légèreté dont vous parliez...
W.M. : Oui Philippe Rebbot a amené beaucoup au rôle. Au moment du casting, je me disais que le film est avant tout social, il y a des choses dures par lesquelles vont passer les personnages. Et du coup, comment ramener une certaine légèreté, comment raconter la vie et cette résistance car pour moi les personnages sont des héros du quotidien. Ils ne sont pas syndicalistes, ils ne font pas la révolution, mais ce sont des personnages pour qui chaque journée est une lutte. Il faut avancer, survivre. Mais je ne voulais pas quelque chose de plombant car j'aime l'humour, les bons moments malgré les difficultés parce que c'est la vie. L'humour est aussi résistance. Et Philippe m'est tombé du ciel. Pareil en Tunisie. J'ai vu beaucoup de comédiens et Mohammed Amine Hamzaoui n'est pas comédien ; il est rappeur. Je cherchais quelqu'un de potentiellement drôle. Et nous avons toujours travaillé cet aspect-là de leur rôle.

C: De même, le soleil très présent participe à cette légèreté...
W.M. : Cette histoire de lumière et de soleil vient aussi du fait que j'étais obsédé par l'idée de faire un seul film avec deux histoires. Et la lumière était un enjeu. Nous avons tourné au mois d'août en France et en septembre en Tunisie de façon à ne pas passer d'un nord où il pleut et où il fait gris à une Tunisie où il fait beau. Je ne souhaitais pas le dépaysement mais plutôt les similitudes. Nous avons choisi la maison française avec un toit-terrasse, semblable aux maisons tunisiennes, nous avons ramené des éléments de couleur de la Tunisie vers ici et vice-versa. Il y avait vraiment un travail sur le détail pour permettre l'unité.

C: Comment avez-vous choisi Kacey Mottet Klein ?
W.M. : Kacey a vraiment un don. Il a commencé très jeune. Je savais que j'aurais un tournage très compressé, sur 7 semaines avec un rythme soutenu et donc pour le rôle du jeune, je souhaitais quelqu'un d'expérience. Je n'avais jamais dirigé un acteur de 18 ans, je devais lui faire confiance. Il se rapprochait plus du personnage que moi, même si je l'avais écrit. Nous nous sommes rencontrés et j'ai tout de suite senti son écoute réelle. Il est également très généreux et il a côté très carré : il sait où il va. C’est un véritable acteur.

C: Avez-vous déjà présenté le film en Tunisie ?
W.M. : Il a fait une très belle sortie. J'ai eu de la chance car il a été présenté aux Journées Cinématographiques de Carthage, festival très important dans le monde arabe et en Afrique. Le film a eu trois prix et cela m'a beaucoup aidé, médiatiquement. Après, il a fallu gérer la sortie car il y a peu de salles en Tunisie. Il y a eu un pic de 90 salles jusqu'à la fin des années 80 et aujourd'hui, il n'y a plus que 16 salles de cinéma pour tout le pays ! Et j'ai remarqué que les gens ont oublié ce que représentait le fait d'aller au cinéma. J'ai fait une tournée itinérante avec un camion car il est important pour moi que le film soit vu en Tunisie, par les Tunisiens, même dans des petites villes ou des villages. À chaque fois, que ce soit dans les maisons de jeunes, des salles ou des grands théâtres, c'était complet. Le film a été très bien reçu, beaucoup de jeunes s'y sont reconnus. C'est aussi un côté de l'Europe méconnu en Tunisie. L'Europe exporte toujours l'image des grandes villes, de Londres, Paris ou Bruxelles mais on connaît très peu la province, les problèmes des « petites gens ». Et beaucoup se sont identifiés à Hervé, ce que je trouvais assez beau. Car malgré les galères, ces deux personnages essaient malgré tout de poursuivre leur rêve. Et même s'ils n'y arrivent pas, à la fin, ils restent debout.

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