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Rencontre - leçon de cinéma : Jaco Van Dormael et Christophe Bourdon

Publié le 27/11/2018 / Catégorie: Événement

Jaco Van Dormael : « Le métier de réalisateur n’est pas simple, j’ai pédalé dans la choucroute ! »

Cette année encore le Festival International du Film de Comédie de Liège a accueilli de nombreux invités. Acteurs, actrices et réalisateurs sont venus à la rencontre du public liégeois. De Jean-Marie Poiré à Patrice Leconte en passant par Jean-Marie Bigard et Renaud Rutten... C’est le réalisateur Jaco Van Dormael qui a attiré notre attention. Seul réalisateur belge au programme, celui-ci, en compagnie du journaliste et chroniqueur Christophe Bourdon, est venu présenter son premier long-métrage, Caméra d’or à Cannes en 1991, Toto le Héros.

 

Rencontre - leçon de cinéma : Jaco Van Dormael et Christophe Bourdon

C’est avec beaucoup de décontraction que Jaco Van Dormael est venu parler de son premier long métrage ainsi que de ses nombreux autres films. Anecdotes et émotions ont bercé cette rencontre qui a presque fait salle comble.

Petite rétrospective de la carrière du réalisateur…

Véritable comique de nature, Jaco Van Dormael voulait au préalable devenir… clown ! Au grand bonheur de son père, il décide de se lancer dans le cinéma en étudiant à l’INSAS. À l’époque, Jaco était un jeune homme plein d’espoir, prêt à tout pour sa carrière. Inspiré par de nombreux films dont Rachel Rachel de Paul Newman qui parle de la transition du passage de l’enfance à l’adulte, il se lance dans la réalisation de plusieurs courts-métrages aux styles très différents comme Maedeli-La-Breche, Stade, L’Imitateur, etc.

Alors qu’il n’a que 22 ans, le cinéaste écrit son premier long-métrage, Toto le Héros. Amarcord de Fellini l’a inspiré, notamment pour la structure du scénario. Construit en tresse, plusieurs sous-histoires s’entremêlent. Chacune possède trois actes (un début un milieu et une fin) qui se croisent pour former le film. C’est ce que Jaco Van Dormael a réalisé pour son long-métrage : « L’histoire de Toto raconte l’histoire d’un gars pour qui la vie lui échappe totalement. C’est le vieux qui prend une rythmie dans ces souvenirs pour en donner un sens… qui n’en a pas, en disant que c’est lui la victime et qu’un méchant lui a foutu la vie en l’air. À la fin, il se demande si ce n’est pas lui le bourreau. Ce retournement de situation est la clef du film. »

Chaque jour, le réalisateur écrit trois heures pour environ trois pages. Il écrit d’abord sur des petites fiches des idées qui lui viennent en tête comme par exemple des dialogues, des idées de scènes et de personnages. Souvent, il remarque que plusieurs fiches racontent la même histoire et, petit à petit, une histoire nait. Il revient très souvent sur ces écrits jusqu’à ce que ce soit bien ou qu’il en ait marre d’écrire. C’est ainsi qu’est né Toto le Héros. Dans un premier temps, il a commencé par écrire des histoires à propos d’enfants. Ensuite, une histoire d’adulte, pour finir par la version du senior. Il a alors décidé d’assembler ces trois histoires pour n’en former qu’une seule.

Avant d’obtenir la Caméra d’Or à Cannes, le réalisateur a cherché peine perdue des acteurs pour interpréter ses personnages… « J’ai donné beaucoup de scénarios à des acteurs sans jamais recevoir de réponses. J’ai notamment demandé à Daniel Auteuil d’interpréter le rôle de Toto à l’âge adulte. L’acteur a gentiment refusé. Un jour, j’ai pris l’annuaire téléphonique et cherché le nom de Michel Bouquet. Après discussions et lecture de mon scénario, il a accepté d’intégrer la production du film. »

Avant le tournage, il dessine les plans qu’il imagine mais lorsqu’il commence à tourner, les plans changent. « Chaque plan est totalement différent. Les couleurs choisies au préalable changent, l’équipe apporte alors un truc en plus. C’est plus complexe. Je peux écrire seul mais le tournage c’est une œuvre d’art collective. Chacun y met un petit quelque chose. »

Après plusieurs mois de tournage, Jaco enchaîne avec le montage. Avec ses plans rapides et un scénario à la structure dite « épisodique », tel un puzzle. « Les plans sont courts, le rythme est rapide comme fonctionne la pensée, avec la liberté de donner de l’espace au temps. En général, j’essaie de filmer la perception parce qu’on dit souvent que le cinéma est la réalité. Je vous renvoie au film du train des Frères Lumière et le cinéma de Méliès. Ce que j’apprécie, c’est la description de la perception, comme par exemple la perception de mon chien qui sent des odeurs que je ne sens pas. Au final, personne ne sait si l’histoire que raconte Thomas est vraie ou si elle est imaginée… »

Avec cette originalité, le réalisateur apporte un vent de fraîcheur au cinéma belge. Diffusé en 1991, il paraît dans la même décennie que la Promesse et C’est arrivé près de chez vous. Pour anecdote, l’équipe de montage de Toto le héros était souvent dérangé parce que le montage de C’est arrivé près de chez vous se déroulait dans le local d’à côté !

Jaco Van Dormael touche les spectateurs avec des thématiques qui parlent à tous. Mort, vie, amour, enfance et relation ambiguë bercent l’imagination débordante de Jaco dans l’ensemble de sa filmographie. « L’enfance est une période de la vie que j’aime aborder parce les enfants sont plus dingues, moins polis et que pour eux, c’est souvent une première fois et qu’ils y mettent une énergie et une palette d’émotions extraordinaires. ».

Cinq ans plus tard…

Après son premier grand succès, le cinéaste se lance dans la production de son second long-métrage, Le Huitième Jour. Avec ce film, le réalisateur aborde la perspective du handicap. « Ce sont des acteurs aussi, je veux montrer ce côté-là, faire changer les mentalités. À l’époque, en Russie les handicapés mentaux étaient enlevés à leur famille et enfermés. Certains parents ont pris mon film et l’ont montré aux directeurs de prisons en disant « Regardez comment ils sont traités en Europe. » Ça n’a pas été efficace là-bas mais en Belgique, le film a touché le public et changé le regard des gens ».

Avec deux profils différents à l’écran, Jaco Van Dormael ne s’attendait pas à une telle alchimie entre Pascal Duquenne et Daniel Auteuil. Christophe Bourdon relève un angle intéressant : « Je vois Le Huitième Jour comme une rencontre entre un handicapé mental et une personne handicapée sentimentale. Quelqu’un qui ne sait pas exprimer ses sentiments et quelqu’un qui au contraire ne s’exprime que par les sentiments. »

Grâce à ces sentiments justement, Jaco a beaucoup appris auprès de Pascal. « Il ne voulait tourner que des scènes « chouettes ». Il refusait parfois de jouer ou alors ne donnait pas le meilleur de lui-même. On changeait alors la scène et ça amenait d’autres perspectives. Il est un bon acteur avec une gamme d’émotions immense. ».

Dans ce film, Jaco Van Dormael avait pour objectif de changer ses habitudes. Avec Le Huitième Jour, il laissait une part d’improvisation. Sa réalisation était davantage classique et sobre. « Les autres films sont plus écrits, avec une histoire extraordinaire et des personnages quelconques. Ici c’est un personnage extraordinaire avec un récit banal. »

Mr Nobody, un film qui influence

Treize années et un gros budget plus tard, Jaco Van Dormael sort son premier film en langue étrangère, Mr Nobody. Ce film expérimental mettant en scène Jared Leto n’a pas fait l’unanimité et n’a pas réussi à toucher le public. Véritable défi technique avec une structure scénaristique en arborescence (tel un jeu vidéo), Mr Nobody amène les spectateurs à la réflexion et ne lui impose pas de faits. « Les jeunes seront plus touchés par le film car ils sont habitués à la bifurcation », relève Jaco en repensant à son film qui n’a pas fait l’unanimité auprès du public à l’époque.

Christophe Bourdon revient notamment sur une scène en particulier mettant en scène Jared Leto dans une salle de bain : « Jared Leto se regarde dans le miroir. Tout d’un coup, la caméra traverse le miroir et on se met à suivre le reflet de Jared Leto qui retourne dans la chambre où tout est inversé et tout est fait en un plan. ».

Le réalisateur explique cette technique de réalisation, une parmi tant d’autres : « Avec ce film, on aimait beaucoup jouer avec les miroirs. Cette scène s’est tournée dans une salle de bain avec à la place du miroir, un trou. Deux cameramen avec des caméras à l’épaule synchronisent leur marche, gauche droite gauche droite, pour que le porté soit le même. Alors d’un côté, on a une caméra qui suit Jared Leto qui va vers le miroir et une autre qui suit le même basculement jusqu’à ce que Jared entre dans le champ. À ce moment-là, l’autre caméra qui filme alors le visage de l’acteur sort du mur avec le décor totalement « flopée ». Donc tout ce qui se trouve dans la pièce qui est à droite est à gauche et inversement. »

https://www.youtube.com/watch?v=90CpBg7J-DY

Parler de religion avec un humour belge

Élevé dans un contexte religieux, le cinéaste ne croit pas en Dieu mais avait cette volonté d’aborder la religion et notamment la question de la femme. Je me suis dit : « Et si Jésus avait une sœur et si Dieu avait une femme, qu’est-ce que ça donnerait ? ».

Petite particularité avec cette œuvre, le réalisateur intègre un humour belge avec une envie d’intégrer tous les accents du plat pays. Pour Le Tout Nouveau Testament, le réalisateur n’a pas écrit sur mesure mais a pris des décisions au milieu du tournage sans véritable raison. Entre imagination et réalité, Jaco Van Dormael s’engouffre dans des histoires sans logique, ce qui donne des situations assez cocasses, telle que la relation tumultueuse entre Catherine Deneuve et un singe. « C’est le premier scénario que j’écris avec Thomas Gunzig. Nous sommes restés deux mois dans le jardin à nous envoyer des idées et des trucs rigolos. On essayait de se faire rire l’un l’autre. »

Après une heure trente de réflexions, questionnements et discussions, Jaco Van Dormael nous révèle avoir quelques projets en route sans en dire trop ! Pendant la rencontre, Pascal Duquenne est entré dans la salle. Assis côte à côte, Jaco et lui ont annoncé leur prochaine collaboration dans une film à propos des rêves…

Aurélie Bronckaers

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