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Rétrospective Isao Takahata

Publié le 01/04/2006 par Matthieu Reynaert / Catégorie: Critique

Chaque année ou presque, le festival Anima peut se targuer d’offrir à son public une rencontre avec un invité de marque. Cette année, il s’agissait d’Isao Takahata, co-fondateur du studio Ghibli qui produit principalement ses films et ceux de son ami de longue date Hayao Miyazaki (dont Le Château Ambulant fut présenté en avant-première à Anima 2005). Les organisateurs avaient eu la bonne idée d’entourer la venue du maître japonais d’une rétrospective de son œuvre de réalisateur.

Alors que Pompoko sortait sur les écrans nationaux, seize ans après sa diffusion au Japon, les férus d’animation ont pu redécouvrir le déchirant Tombeau des Lucioles, véritable jalon international, mais aussi le reste d’une filmographie aussi variée que méconnue du grand public, du film d’aventure avec Horus prince du soleil au burlesque poétique de Kié la Petite Peste. Le 1er mars, Takahata a animé, à son initiative nous dit-on, une conférence passionnante, malgré les aléas de la traduction simultanée. Il s’agissait, pour le septuagénaire, de revenir aux origines de l’animation à la japonaise afin d’éclairer la vision de sa propre œuvre. « Les estampes traditionnelles du Japon sont basées sur la force du trait et des aplats de couleur. Les phénomènes naturels y sont représentés avec très peu de choses. De simples traits noirs pour les vaguelettes ou la pluie. Toutes ces techniques se retrouvent dans l’animation. Que ce soit conscient ou pas de la part des dessinateurs, ils n’ont fait que poursuivre dans la tradition des grands peintres», explique-t-il pour commencer, images à l’appui.
Plus tard, il démontre la capacité des grands artistes du 19e siècle à représenter la profondeur sans utiliser le relief ou la perspective. En effet, chaque élément d’une gravure traditionnelle est plat, mais l’assemblage crée l’impression d’espace. C’est exactement comme cela que l’on procède (ou doit-on dire procédait ?) dans les dessins animés sur celluloïd. Takahata aborde lui-même la question rituelle : « Pourquoi les personnages japonais ont-ils de si grands yeux alors que ceux des Japonais sont bridés ? » D’une part, explique-t-il, oui, les Japonais sont complexés par leurs yeux et compensent sans doute cela dans leurs dessins ; mais surtout, ils ont fait des yeux le réceptacle de toutes les émotions. Les traits du visage sont souvent sommaires, à tel point que le nez est régulièrement « oublié », en opposition au style franco-belge typique de la BD « gros nez ». Au Japon, les yeux envahissent tout l’espace disponible, si bien qu’il doit être possible de raconter une histoire uniquement par leur langage. Mais pour le maître, qui ne se départira pas de son sérieux une seule seconde, la principale différence entre les dessins occidentaux et japonais, qu’ils soient animés ou pas, c’est le rapport de frontalité. Les Japonais pratiquent traditionnellement la subjectivité, c’est-à-dire l’immersion du spectateur dans le monde qui lui est proposé. En simplifiant, disons que cela abouti à un grand pourcentage de vue de face. Les personnages prennent à témoin le lecteur/spectateur à travers le regard d’un autre personnage. C’est impensable en occident, où la vue horizontale est privilégiée pour garantir l’exercice du sens critique du spectateur, au dépend de l’immersion. Alors que nos artistes s’inspirent de plus en plus des techniques asiatiques, Takahata souhaite, lui, que les Japonais s’ouvrent à cette dimension objective. Pour cela, il tente, à l’inverse de Miyazaki, d’en intégrer dans ses films les plus récents et il a soutenu la sortie dans son pays de Kirikou et la Sorcière, le film de Michel Ocelot étant le parfait exemple de la latéralité à l’occidentale. La conférence fut suivie de la projection d’un film du maître totalement inédit chez nous, Souvenirs gouttes à gouttes. On y assiste au face à face très doux entre une tokyoïte trentenaire en visite à la campagne et les souvenirs épars de celle qu’elle était à dix ans. Ce film, simple et épuré, est tantôt hilarant, tantôt émouvant aux larmes. Les connaisseurs le considèrent souvent comme le meilleur film des studios Ghibli, une salle comble et conquise, on sait maintenant pourquoi.

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