Dans D’arbres et de charbon, sorti en 2012, un petit bosquet au Borinage, planté sur une ancienne fosse de charbonnage désaffectée, était le point de départ d’une quête identitaire qui allait conduire, pour un court instant, la cinéaste Bénédicte Liénard, sur les terres d’Amazonie péruvienne. Le voyage se poursuit aujourd’hui avec Sobre las brasas réalisé à quatre mains avec Mary Jimenez, comme si l’espace ouvert par ce premier documentaire avait œuvré comme une libération et laissé toute la place pour partir filmer l’autre.
Sobre las brasas de Bénédicte Liénard et Mary Jimenez
C'est une histoire d'ombre et de lumière. Une histoire de longs silences et de mots essentiels chargés d’images. D’angoisse, d’espoir, de dur labeur. C'est l'histoire d’une femme qui n’en finit pas de vouloir survivre. Sur les rives de l’Ucayali, en Amazonie péruvienne, Nancy a fait un choix, celui de l’indépendance et de la liberté. Deux mots qui annoncent déjà bonheur et sérénité et pourtant… Mais ce qui est certain, c'est que Nancy ne jouera pas les larbins chez les riches, n’usera pas ses yeux sur l’aiguille de huit heures du matin à huit heures du soir et pour tout cela, elle est prête à payer le prix qu’il faudra. Alors, chaque jour, libre donc, Nancy coupe, pousse, transbahute, et brûle lentement les troncs d’arbres pour produire du charbon. Puis, les sacs remplis, elle avance sur sa barque, le long du fleuve, à la recherche de potentiels acheteurs.
A la maison, sa mère désapprouve, soigne ses pieds brûlés par les braises, tempête sur la merde que les chiens laissent dans la cour, masse le corps brisé de son vieux mari, pendant que le fils de Nancy, lui, dans son insouciante adolescence, rêve de partir à Lima, lassé par les sempiternelles bananes qui, chaque jour, reviennent sur la table.
Construit entre l'ombre et la lumière, le documentaire de Bénédicte Liénard et Mary Jimenez n'affirme rien, il montre sans démontrer, laisse le temps. Il se place là, dans toute sa justesse, grave comme la colère, beau comme la révolte, comme traversé par un courant tellurique. Car Sobre las brasas possède quelque chose d’indompté, de rebelle, quelque chose d’insoumis mais filmé avec une délicatesse infinie, zébré de clairs-obscurs qu’un De la Tour ne désavouerait pas. Tableau crépusculaire d’une classe populaire noyée dans le capitalisme, dans l’ultra-libéralisme, le film fixe dans son cadre la fin d'un monde, sans pour autant occulter la vie qui couve tant bien que mal sous ses cendres.
Nous accompagnons cette femme, nos pas dans l’empreinte des siens, à fleur de peau, à fleur de terre. Un regard de femmes sur un corps de femme. Car, au plus près, Bénédicte Liénard et Mary Jimenez se permettent de filmer ce corps éreinté, qui marche les pieds nus, travaille, porte son fardeau et, dans la même intimité, ce corps qui se repose, se lave dans une bassine, se soumet au massage et au soin, si bien que chaque parcelle de chair fait récit.
Dans cette proximité pourtant nous trouvons notre place, non comme simple observateur, mais comme acteur d'une relation triangulaire unique et essentielle avec celles qui filment et ceux qui sont filmés. Une expérience rendue possible par le choix de mettre en scène et de faire rejouer aux protagonistes les moments de leur vie, choix qui tisse une complicité évidente, un sentiment d’extrême partage.
Et puis, il y a ce fleuve parcouru, caméra braquée sur le visage de Nancy qui avance, avec courage, criant que son charbon est à vendre quand personne n’en veut. Et puis, il y a ce fleuve parcouru, caméra braquée sur le visage de Nancy qui rame lentement, bredouillant désespérément, que son charbon est à vendre… que vendre, c’est ce qu’elle veut. Car c’est bien connu, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.
Conteuses du réel, faiseuses d'histoires, Bénédicte Liénard et Mary Jimenez tissent un film entre conte cruel et drame social où les mots prononcés prennent le plus souvent un tour symbolique, étirant la réalité jusqu’au rang du mythe et des légendes.