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Sur le tournage de C'est notre pays pour toujours de Marie-Hélène Massin

Publié le 01/12/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Fuyant une lumière du jour plombée de nuages gris, nous nous engouffrons dans les couloirs du métro bruxellois, auberge espagnole de notre temps, pour nous saouler de néon, les oreilles pleines du vacarme des rames. Un SDF passe de wagon en wagon en hurlant sa douleur et en tendant aux voyageurs une sébile en carton bosselée, griffée Coca-Cola. La misère des pays développés.

En espoir de cause

Marie-Helene Massin

 

Nous accordons un regard distrait à la girl vautrée sur le fauteuil d'en face qui exhibe ses jeans dirty customisés grâce à des patches en cuir et des peintures au pochoir, un anneau dans une narine, les cheveux tressés de dreadlocks. Station Arts-Loi, nous descendons. Le CBA n'est pas loin. Marie-Hélène Massin y monte en compagnie de Pia Dumont son dernier opus. Une journée ordinaire pour une cinéaste peu ordinaire. Depuis Grosso Modo, son premier film, Marie-Hélène s'intéresse mine de rien (mais de près) aux soucis quotidiens de la vie (l'un des ressorts du comique), suggère plutôt qu'elle ne montre le vécu, est fascinée par les rituels ratés qu'elle ne loupe pas (voir le Bourgmestre a dit). Elle ressent le monde comme tragique et drôle à la fois. Ou mieux, aime capter l'entre-deux : le fil du rasoir d'un événement qui passe du drame à la comédie et vice-versa. Marie-Hélène, cheveux roux flamboyant, tout de noir vêtue, ressemble à un lutin insaisissable, ayant l'élégance ou l'obsession de ne jamais se trouver où on la cherche (que de fois votre serviteur, déguisé en Sherlock Holmes, muni de sa loupe, a essayé de la localiser, l'ailleurs semblant être son territoire de prédilection). 

Naviguant de la fiction au documentaire avec une prédilection pour celui-ci, Marie-Hélène, si l'on ne savait de source sûre qu'elle est sortie de l'INSAS, pourrait être un trublion de cette école de Prague qui nous a donné avec l'As de Pique (Forman) ou l'Été capricieux (Menzel) des films où les rituels sont croqués avec un humour que le cinéma tchèque a perdu par la suite, pour les raisons que l'on connaît. Pour l'heure, dans le documentaire qu'elle monte, elle conte la vie des immigrés de la deuxième génération confrontés à la politique lors des élections communales de l'an dernier. Devant elle, un monitor-écran de 17 pouces et une série de magnétoscopes ¾ pouce, un banc de montage joystick et une souris pour chercher les plans répertoriés en fichiers et nommés suivant les critères de lieux et de personnages, et pouvant être lus sur deux autres écrans de même grandeur, à la droite du premier. Pia pousse une K7 qu'un magnétoscope avale, saisit le joystick et lance le plan de l'interview de Nouredine, un jeune immigré marocain : " la mentalité évolue, il y a une nouvelle génération qui monte, des gens plus ouverts... Il y a encore quelques retraités. " " Il fait allusion au fait que la Belgique est un peu ringarde par rapport aux Français ", nous précise la réalisatrice. Pia fait défiler en accéléré des plans larges d'intérieurs puis remet à une vitesse normale le gros plan d'une jeune Marocaine dont la phrase forme un contrepoint avec la phrase de Nouredine.

"Tu vois, j'ai l'impression de traiter le même sujet que depuis Grosso Modo, mon premier film : comment se fait-il que des gens parce qu'ils sont différents aient autant de mal à être acceptés dans une société ? Journal d'une campagne était le premier titre puisqu'au départ le sujet était lié à une campagne électorale et maintenant cela devient plus une réflexion sur la démocratie : en quoi cela consiste vivre ensemble. C'est un peu la suite de Rue de l'Abondance sauf qu'entre-temps j'ai changé de commune. Pour le moment, le film n'a pas encore de titre.

 

Démocratie

"Depuis 1979 on parle d'accorder le droit de vote aux immigrés et chaque fois qu'il y a des élections communales le problème de l'extrême droite se repose. Ce que l'on a fait pour les immigrés consiste à leur faciliter l'accès à la nationalité belge tandis que les Européens peuvent voter, pour autant qu'ils s'inscrivent sur les listes électorales. Mais tu connais l'administration, si cette règle a été induite par le gouvernement fédéral, l'administration n'a pas suivi. Les immigrés qui avaient demandé leur naturalisation ne sont pas arrivés, pour la plupart, à temps, les listes ayant été clôturées le 1er août 2000. Les immigrés sont aujourd'hui marocains et turcs, demain ils viendront d'ailleurs et après-demain aussi. Donc les années à venir reposeront un problème qui consiste à se demander : comment accueillir ces gens et comment faire en sorte qu'ils soient représentés dans la vie publique, politique. Comme les immigrés ne viennent pas par la grande porte mais pour des raisons politiques ou d'emploi, il faut qu'ils aient le minimum pour vivre au quotidien et ensuite, il faut un certain temps pour qu'ils comprennent que c'est au niveau politique qu'ils pourront résoudre leurs problèmes.
De plus en plus d'immigrés se rendent compte que pour que le problème de leur quartier puisse se résoudre il faut que leurs revendications arrivent dans les oreilles du conseil communal. Dans Rue de l'Abondance, on pouvait voir que lorsque les Turcs avaient des problèmes ils faisaient appel à un représentant de la Turquie et ne pensaient pas aux représentants de la commune à laquelle ils appartenaient alors qu'ils y sont inscrits et paient des impôts. Le fait de ne pas avoir la nationalité belge a pour conséquence que le dossier n'arrive pas à bon port."

La prise de conscience des avantages que l'on peut obtenir en comprenant les rouages administratifs et d'en user, comme n'importe quel citoyen belge, est venue avec les élections communales. Les problèmes quotidiens intéressent davantage la communauté immigrée puisque les élections fédérales avait envoyé des représentants d'origine turques et marocaines dans diverses instances représentatives (chambre des députés, sénat, assemblées régionales). Il est d'autant plus important de redonner vigueur au politique que l'ultra-libéralisme n'a cessé depuis la chute du système soviétique de déstructurer ou de détruire toutes les formes de contrôle politique ou social d'une économie qui augmente les inégalités. Le politique n'est pas qu'un représentant abstrait et impuissant, c'est aussi un acteur qui agit sur la vie de ses électeurs. Ce que semble avoir compris une partie des immigrés comme nous confirme la réalisatrice de Petites filles : " Le taux de participation des Belges d'origine marocaine ou turque, surtout pour la région de Bruxelles, aux dernières élections communales est assez important.

 

Work in progress

"Quand j'ai commencé le film, je connaissais bien le sujet, l'intégration des nouvelles populations dans le processus démocratique. Lorsque j'ai commencé à tourner c'était avec les volontaristes de terrain qui ne possèdent pas le langage politique. Pendant le tournage, je me suis dit que ce pays était loin d'être simple avec ses multiples et différents niveaux de pouvoirs et tellement de populations représentées. Donc, au montage, on a décidé de commencer le film par une parole sur la cohésion sociale. Le personnage qui explique cela nous dit que, dans ma commune à Saint-Gilles, il y avait 70.000 habitants au début du siècle et que maintenant il y a la même densité de population mais il n'y a que 45.000 habitants qui sont inscrits. Donc ça veut dire qu'il y a 25.000 personnes qui n'existent pas. Comment faire de la politique avec des gens qui n'existent pas ? Ce sont des sans papiers, des illégaux n'ayant ni revenus ni logement fixes. Comment rendre par l'image toute cette complexité ? Il y a des plans qu'il reste à tourner. Il faut se balader dans les rues pour faire sentir cette diversité. Le propos s'étant élargi, il faut enrichir le matériel enregistré lors du premier tournage. Tourner un film sur la cohésion sociale c'est rencontrer beaucoup de personnages de différentes communautés et de différents âges.
Le documentaire diffère de la fiction. J'ai tourné Petit désordre, un film de fiction, en septembre, il n'y a pas le moindre problème parce que tout est construit au départ. Tandis qu'un documentaire s'écrit au fur et à mesure du tournage et du montage. Je le conçois comme une aventure humaine et moi-même, comme mes personnages, je ne connais pas encore la fin de l'histoire."

Pia

"Le fil rouge du film, nous confie Pia Dumont, c'est la rencontre entre des nouveaux candidats belges d'origine marocaine ou turque avec le système démocratique. Les candidats qui se sont inscrits l'ont fait par idéalisme. Leur motivation première était de représenter leur communauté avec cette difficulté par rapport aux autochtones que ceux-ci ont souvent bénéficié des rouages d'un parti politique pour se roder à la complexité des instances politiques et à leur fonctionnement. Ici, j'ai l'impression qu'ils sont propulsés dans le système, ils font campagne électorale et certains vont se retrouver au conseil communal. Ils n'ont pas eu cet apprentissage progressif et c'est là où nous remarquons qu'ils sont tout de suite confrontés à une série de problèmes. Par exemple, certains n'ont pas compris qu'au moment où ils se présentent comme candidats sur une liste ils deviennent des personnages publics et non plus des acteurs individuels. C'est une des composantes du système démocratique tout comme le fait que tout le monde puisse assister à un conseil communal."

Votre serviteur étant un tantinet obsessionnel repose une de ses questions favorites. Y-a-t-il des plans ou des séquences particulièrement réussis qui seront éliminés, au montage, en fonction de la cohérence du récit ? "Oui, il y a en effet un plan-séquence qui, pour moi, est fort parce qu'il fonctionne merveilleusement bien, un truc très spécial que je n'ai jamais vu ailleurs et qui marche du tonnerre mais qui parle des gens démunis qui se trouvent dans la rue et qui sont obligés pour se nourrir d'aller dans un restau du coeur ou dans une institution soeur. On a essayé de l'intégrer. Pour Marie-Hélène, il y a un lien très clair entre son sujet et cette séquence. Mais pour l'instant, on n'est pas encore arrivé à ce que le spectateur puisse faire le lien avec la structure du film."

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