Sur le tournage de Le Couperet
Le chômage à long terme, ça abîme tout. Pas seulement l'ouvrier au rebut, mais tout. Le Couperet. Donald Westlake. Ed. Rivages.
Que font les cinéastes ayant obtenu la Palme d'Or à Cannes lorsqu'ils se rencontrent ? Ils parlent de cinéma ? Raté. Ils font du cinéma ! C'est ce qui vient de se passer entre Jean-Pierre et Luc Dardenne (Rosetta) et Constantin Costa-Gavras (Missing). Les premiers produisant Le Couperet, le film que le second vient d'achever de tourner en Région wallonne. L'occasion, sous la houlette de Wallimage, qui fête son 30ème film soutenu par le Fonds régional wallon, de rencontrer grâce à l'infatigable Philippe Reynaert, le réalisateur, ses co-producteurs et deux de ses interprètes José Garcia et Olivier Gourmet. Une équipe qui, en arpentant l'allée menant au château de Colonster se montre particulièrement cool. Nous sommes en été, Costa-Gavras décontracté, en costume sport (veste foncée, pantalon crème) serre la main de tout un chacun. On prend la mesure en le voyant avec un look qui -hormis les cheveux gris - n'a guère changé en vingt ans. Seule son ironie semble se teinter de mélancolie.L'occasion aussi de parler du Couperet, un thriller écrit par Donald Westlake, connu pour sa causticité dans le monde du roman noir et une oeuvre abondante. Que ce soit à travers les personnages de Dortmunder, son cambrioleur malchanceux qui fait équipe avec l'intrépide bavard Andy Kelp ou avec Sara Joslyn qui traque les rumeurs et démonte les scoops aussi fumeux que dangereux, Westlake dresse le portrait d'une société où la fin justifie les moyens. Un système social où le cynisme économique atteint de telles proportions qu'il semble naturel à certains (Lire : Dégraissez-moi ça, petite ballade dans le cauchemar américain de Michael Moore, 10/18.)
Un scénario en or pour le réalisateur de Z (film emblématique de la génération des sixties.) D'autant que Costa-Gavras n'hésite pas à utiliser la technique du thriller pour filmer ses personnages.
Réalisation
« J'avais lu le livre à Paris, lors de sa parution, nous confie-t-il. J'ai appelé tout de suite les éditeurs américains mais les droits n'étaient déjà plus libres. Je suis entré en contact avec Westlake, en lui disant que si la Paramount laissait le roman dormir, j'étais prêt à les reprendre. Constatant que c'était le cas, Westlake m'a dit : allez-y ! Ce que j'aime beaucoup, dans cette histoire, c'est son sujet : l'individualisme, le chacun pour soi, qui est une bonne photographie de notre société actuelle d'économie de marché, obsédée par la compétitivité dans le travail. Après tout, pour certaines civilisations, le travail n'est pas ou n'était pas le fondement du lien social (c'était le cas de la Grèce Antique.) Ce lien au travail quasi-névrotique, m'a passionné. (1) Bruno Davert, le personnage principal n'agit qu'en fonction de lui-même. Le reste de la société ne comptant pas. Ce que j'aimais aussi, dans Le Couperet c'est que le but qu'il poursuit est très légitime par rapport aux valeurs de la société dans laquelle nous vivons. Tout le monde ferait la même chose, à sa place. Ce sont les moyens qu'il utilise qui ne le sont pas. J'ai essayé d'ajouter un ton ironique au personnage de ce cadre mis au chômage dans le secteur de la papeterie. Et de l'ironie peut sortir l'humour, le comique involontaire de certaines situations. Vous me parlez du Chaplin des Temps modernes, mais je ne suis pas loin de penser que tout a été fait à l'époque du cinéma muet. On ne fait que raconter les mêmes histoires avec de la couleur, des loumas, des moyens techniques plus sophistiqués etc. mais, en fin de compte les cinéastes du muet ont presque tout dit. Lorsque je suis parti tourner aux Etats-Unis (Betrayed ou Music Box), les compagnies américaines m'ont offert tous les moyens dont je pouvais disposer mais j'ai préféré travailler avec une équipe française et tourner à l'Européenne. En Belgique j'ai choisi des gens qui étaient du même niveau qu'en France. Je dirais même qu'ils avaient plus d'enthousiasme. L'école des frères Dardenne, d'où proviennent la majorité de mes techniciens, est une grande école. »
Production
« Le scénario est arrivé aux Films du fleuve, la maison de production, nous explique Jean-Pierre Dardenne. On l'a lu, mon frère et moi. Par ailleurs j'avais dévoré le bouquin de Westlake lors de sa parution en traduction française. Je me souviendrai toujours de ce quatrième de couverture disant que « si notre sinistre société avait une autre échelle de valeurs, Westlake aurait le prix Pulitzer et aurait sa statue dans les parcs publics. » Mais même avant de lire l'adaptation, mon frère et moi, nous nous étions dit, que si Costa-Gravas nous sollicitait pour une coproduction, on pouvait lui faire confiance. Ce que la lecture du scénario n'a fait que confirmer. Et les choses se sont misent en route en sachant bien qu'on ne pouvait pas solliciter la Commission de la Communauté française - à cause de la proximité des dates de tournages -- mais qu'on pouvait solliciter Wallimage, la RTBF, et obtenir une avance sur recettes au niveau de la distribution. La grosse majorité du film s'est tournée ici à Liège, sauf une quinzaine de jours à Paris et quelques jours à Namur. A part certains problèmes d'intempéries il n'y a pas vraiment eu de soucis. Costa-gravas, nous avait dit que ce film était pour lui aussi un pari. Il allait pouvoir travailler avec une équipe plus légère et moins de moyens que d'habitude. Il nous disait que c'était un peu comme s'il refaisait un premier film, qu'il repartait à l'aventure par rapport à Amen, son film précédent qui était une grosse production. Au-delà des aspects économiques du cinéma, si l'enthousiasme qu'on développe autour du projet disparaît, on peut changer de métier. Le Couperet était l'occasion pour nous de participer au trajet d'un auteur.
Wallimage
Pour Wallimage, nous précise Philippe Reynaert, Le Couperet est le trentième film coproduit en trois ans avec des rencontres qui ont été extrêmement riches, puisque les talents wallons se sont retrouvés confrontés à des exigences internationales ce qui est dynamisant. Et à l'inverse, des gens venant de France nous ont dit à quel point ils appréciaient nos techniciens et nos comédiens. Cet échange extrêmement fructueux pour les deux parties nous a permis de soutenir une série de films belgo-belges. Pour ne citer qu'un exemple : la collaboration entreprise avec les Films du Fleuve, ici à Liège, est sans doute le plus beau modèle de ces deux manières d'agir. On a commencé avec le Fils des frères Dardenne, on a enchaîné avec Le Mystère de la Chambre jaune, qui a été un énorme succès en France et dont une partie de la post-production s'est faite en Wallonie. Petit scoop, nous allons soutenir le prochain film des frères Dardenne qui débutera en fin d'année.
RTBF
Egalement coproducteur, Alain de Gerlache ajoute : Sur la deux/RTBF, nous avons la volonté de donner une réelle visibilité au cinéma d'auteur et aussi au cinéma belge. Nous avons différentes cases dont l'une est réservée au cinéma belge au sens large, c'est-à-dire le cinéma auquel les Belges participent. Nous le diffusons à des heures qui sont tout à fait compatibles avec la vie quotidienne des gens. Nous ne mettons pas cela à une heure du matin. Nous avons une volonté de promouvoir le cinéma d'auteur et le cinéma belge aussi et nous le faisons de manière régulière parce que c'est une de nos missions. Dans le Journal Télévisé -qui reste l'une des fortes audiences des chaînes - nous essayons de faire en sorte que l'actualité culturelle soit présente. Parce qu'il ne suffit pas de faire un film, ni même de le diffuser, il faut aussi que les gens soient au courant de son existence. A côté de la production, de la diffusion, il y a aussi un rôle d'information à donner au téléspectateur sur les films qui sont susceptibles de l'intéresser.
L'avis des interprètes
Olivier Gourmet
« Entrer dans le parcours d'un auteur qu'on a apprécié depuis son enfance est un grand cadeau nous dit Olivier Gourmet. Au départ il y a, lors de la lecture du scénario, le plaisir d'endosser le rôle et de voir se concrétiser ce que l'auteur y a mis. Même s'il s'agit d'un personnage secondaire cela n'en reste pas moins un vrai personnage à défendre, riche en contradictions, de la lucidité à l'aveuglement. C'est lui que je mets en avant, pas moi. »
José Garcia
« Je suis un peu belge d'adoption, raconte avec verve José Garcia, puisque vous connaissez mes pérégrinations avec mon ami Benoît Poelvoodre. La Belgique est un pays auquel je suis attaché depuis que je suis venu y tourner un court métrage il y a une quinzaine d'années. Il y a une phrase que j'aime bien : Vous connaissez la différence entre les Belges et les Français ? Les Français ont la chance d'avoir des voisins sympas. »
(1) Dans Révolution du temps choisi, éd. Gallimard, André Gorz, nous rappelle les métamorphoses de la notion de travail. Dans l'Antiquité, le travail n'était pas le lien privilégié du citoyen à la cité. Celui-ci était assuré par la charge des affaires publiques. C'est la révolution industrielle et la rationalité économique qu'elle a apportée qui ont mis le travail au coeur de notre système social