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Sur le tournage de "Pornography" de Eric Ledune

Publié le 15/11/2014 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Cinergie s'est rendu sur le tournage du prochain film d'animation de Eric Ledune, "Pornography". Rencontre avec le réalisateur, le scénariste et le producteur du film. 

Qu'est-ce que la pornographie pour vous? Que pensez-vous de la pornographie ? Quel rapport entretenez-vous avec elle (fascination, dégoût, curiosité, rejet, etc) et pourquoi ? Pratiquez-vous, regardez-vous la pornographie ? Dans quelles conditions et pourquoi ? Que trouvez-vous pornographique ? Que trouvez-vous indécent et/ou obscène ? Y a-t-il des choses, des événements, des spectacles, des attitudes, des discours, que vous trouvez indécents ou obscènes (dans tous les domaines, télévision, politique y compris) ? Qu'est-ce que la provocation ? Qu'est-ce que la transgression ? Que pensez-vous de la liberté d'offenser ?
Ces questions ont fait l'objet de l'enquête menée par Eric Ledune et ses collaborateurs sur le thème de la pornographie. Les réponses reçues, parfois inattendues, ont servi à établir les dialogues du film d'animation Pornography qu'Eric Ledune réalise avec Vincent Logeot, comédien et co-scénairste. Nous les avons rencontrés au moment de la prise de vue de la silhouette des comédiens, filmés en ombres chinoises. La fabrication de ce film se fait tout au long d'une progression de diverses étapes : enquête auprès du public sur la notion de pornographie, écriture des dialogues et des commentaires des voix. Enregistrement vocal des comédiens jouant le texte, tournage d'autres comédiens, sur-éclairés derrière un écran, ne laissant entrevoir que l'ombre de leur corps se découpant à la manière d'une silhouette, mimant les gestes pendant qu'on entend les répliques dites par les premiers comédiens. La dernière étape sera le remplissage des silhouettes et des décors par des illustrations. 

C . : Avant Pornography, vous avez déjà collaboré sur deux films. Comment vous-êtes vous rencontrés ?

Eric Ledune : Cela remonte à loin. La première fois, c'était pour une pièce de Vincent : Body. Il avait besoin d'installations vidéos sur scène.
Vincent Logeot : Un ami commun nous avait présentés et je suis allé voir une exposition d'Eric. Cela correspondait parfaitement à ce que je recherchais pour Body qui traite des images du corps à travers le handicap mental. J'avais trouvé, avec les vidéos d'Eric, la pièce manquante à ce spectacle et ce fut le début d'une longue aventure.
E.L. : On s'est bien entendu, bien amusé et nous avons commencé à écrire ensemble. Jusqu'ici, j'écrivais mes scénarios seul mais la matière est plus riche lorsqu'on collabore. Il a permis d'améliorer certaines dimensions de mon travail comme les dialogues qui est un exercice dans lequel j'éprouvais des difficultés.
V.L. : C'est vrai que j'aime beaucoup m'occuper des parties dialoguées où un mot, un rythme peuvent tout changer.
E.L. : Notre première collaboration filmique a été Déjà Vu, une pièce de théâtre écrite par Vincent et que j'ai adapté en court métrage d'animation. On s'est réapproprié les dialogues existants en tenant compte des contraintes cinématographiques. Le deuxième film, Do-It-Yourself, a demandé nettement plus de travail d'écriture.

Cinergie : Sur Pornography, avez-vous été étonné par les réponses reçues à votre enquête ?
Eric Ledune, réalisateur et Vincent LogeotE. L. : Il y avait, parmi les réponses, certains éléments que nous voulions aborder, d'autres revenaient très souvent. Mais nous avons aussi reçu des réponses auxquelles nous n'avions absolument pas pensé. Par exemple, une maman était choquée par l'hyper-sexualisation des gamines. Elle disait qu'elle n'avait rien contre l'éducation sexuelle, mais elle était outrée de trouver des strings pour des gamines de onze ans alors qu'elle allait acheter le premier soutien-gorge de sa fille. C'est une réplique qui figure quasiment telle quelle dans le film.

C. : Vous enregistrez d'abord les voix puis des comédiens jouent tout en silhouette. Pourquoi avoir dissocié les corps des voix ?
E.L.: Ce décalage permet d'apporter des choses intéressantes dans le jeu. Cela donne plus de liberté. Après tout, on est dans un film d'animation. Tout est faux dans le cinéma et probablement davantage encore dans l'animation. On peut vraiment s'accorder de manière très précise sur ce que l'on recherche.

Les silhouettes vont être envoyées dans un studio pour procéder au détourage car elles seront intégrées dans des décors. Ces décors seront très variés, certains seront animés, statiques, photographiés, en collage, en trucage numérique... J'aime bien travailler avec une certaine esthétique de l'accumulation. C'est un kaléidoscope de personnages et d'idées ainsi qu'un kaléidoscope visuel. Le film comprend beaucoup de dialogues, ce qui permettra de maintenir l'attention du spectateur car il y aura des surprises presque dans chaque plan. Les silhouettes seront animées selon l'état d'esprit des personnages ce qui fait qu'elles ne seront pas exclusivement en noir, il y aura des matières, des animations qui permettront de renforcer un mot ou une idée que l'on trouve important.

C. : L'animation se fera ensuite dans les décors.

Eric Ledune, réalisateurE.L. : Oui, mais pas tous les décors. Ce que l'on a tourné aujourd'hui, par exemple, est une séquence où des personnages se trouvent devant un monument aux morts. Celui-ci est d'abord statique puis deviendra autonome dans une séquence d'animation pure. Le monument aux morts n'est pas joué par un comédien, nous mélangeons les deux techniques d'animation tout au long du film.
Ce mélange de techniques se prêtent particulièrement à Pornography puisque s'il s'agit d'un kaléidoscope contenant près de cinquante personnages avec des opinions qui s'entrechoquent parfois.
Nous avons défini un ordre d'écriture et d'apparition des personnages, mais ça peut être totalement chamboulé, tout dépendra de l'efficacité du montage par rapport aux propos que l'on souhaite tenir. C'est un luxe que l'on peut se permettre sur ce film-ci.

C. : François, tu viens du théâtre. La différence doit être grande dans la façon de jouer ou d'écrire.
F.L. : Oui, on est sur des rythmes de travail qui n'ont rien à voir. L'animation, tout comme la nouvelle, dans la littérature, demande une concision dans l'assemblage de la matière. Mais fondamentalement, on reste dans les mêmes principes. J'aime bien les dialogues très courts qui peuvent s'entrechoquer ainsi que l'idée que le discours dit autre chose que la parole. Ce qui se prête très bien à l'univers en mille-feuilles d'Eric. L'image va venir exprimer ce que le texte ou la parole ne dit pas. C'est très jouissif pour moi, car je peux aussi écrire visuellement, proposer de l'image.

C. : Marc, tu es producteur du film au nom de ta maison de production Lardux, mais tu te trouves également derrière la caméra.

Marc Boyer :  J'ai une formation d'opérateur à la base, métier que j'ai pratiqué pendant plusieurs années. Je suis passé à la réalisation par la suite et j'ai fait un peu de tout, des pubs, des séries etc... puis je suis devenu producteur.

C. : Tu es devenu producteur par choix?
M.B. : Non, par accident ! Avec mon associé, on a réalisé pas mal de choses en tombant trop souvent sur de mauvais producteurs. On a été poussé par les chaînes de télé à produire nous-mêmes, ce qu'on a fait - puis on a produit les copains et, de fil en aiguille, nous sommes devenus producteurs.

C. : Pourquoi se spécialiser en animation et en documentaire ?

M.B.: On a commencé à réaliser une série animée qui s'appelait Lardux justement, une série qu'on a réalisée à la fin des années 80, pour Canal plus. Nous n'avons jamais arrêté l'animation car on trouve ce support très créatif et les animateurs sont souvent très ouverts. C'est très agréable de travailler avec eux, ils n'ont pas des égos sur-dimensionnés comme on peut le voir en fiction. Pour le documentaire, on avait envie de produire des films plus ancrés dans la vie quotidienne, dans le réel. Toutes nos productions ayant en commun d'être engagées, à la fois artistiquement et politiquement.

C. : Pour Pornography, les deux aspects documentaire et animation sont réunis.

Marc Boyer, producteurM.B. : Oui, le projet qu'Eric nous a présenté entre exactement dans notre ligne éditoriale : un film d'animation avec un aspect faussement documentaire et un angle assez politique par rapport à un sujet qui nous intéresse.

C. : Tu te retrouves derrière la caméra pour des questions de budget, j'imagine.
M.B. : Non pas vraiment, c'est plus une question de réglages techniques. Comme je m'occuperai d'une grande part de la post-production, je préfère être présent au tournage afin de tout vérifier et de ne pas avoir de souci par la suite.

C. : C'est aussi pour toi une façon de retourner sur un plateau et d'être proche de l'équipe.
M.B. : On a un fonctionnement particulier à Lardux, car nous avons toujours voulu rester techniciens et s'investir sur les plateaux, ce qui est beaucoup plus intéressant que de se contenter d'être gratte-papier, de faire des dossiers... On essaie de garder la main sur le processus artistique ce qui est aussi le rôle du producteur. Produire ne signifie pas aller simplement chercher des financements.

C. : Tu t'investis également dans la mise en scène...
M.B. : C'est un peu mon défaut de réalisateur. Eric tourne tous les cinq ans, j'ai une expérience beaucoup plus grande que lui et je vois donc des positions à retravailler, des gestes à faire différemment. Je profite de cette expérience pour l'aider et cela fonctionne bien, vu que je sais exactement ce qu'il veut faire.

C. : On a une impression de mime avec ce décalage voix/silhouette.
M.B. : Le fait d'enregistrer des silhouettes demande un jeu plus expressionniste aux comédiens par exemple avoir les bras plus décollés du corps, il faut accentuer les expressions comme on ne voit pas le visage. C'est un travail parfois étonnant sur les attitudes par rapport aux voix.

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