Tallulah Farquhar, gagnante du prix Cinergie au festival des Premières Lumières, revient avec nous sur le message queer et politique derrière son court métrage Cléo se fait des films ayant déjà voyagé dans de nombreux festivals en Europe. Emplie d’un militantisme et d’une vive émotivité, elle nous dévoile notamment son processus créatif, la façon dont elle a trouvé et mis en confiance les deux adolescentes jouant cette orée d’amour lesbien et finalement la réception tout aussi politisée de son film.
Tallulah Farquhar, réalisatrice de Cléo se fait des films
Cinergie : Comment vous est venue l’idée du projet ? Vous êtes-vous inspirée de votre propre enfance ?
Tallulah Farquhar : Ce n'est pas un secret, souvent les idées qu'on a proviennent de notre vécu. J'ai eu la chance de faire un TFE, une vraie carte blanche. Je savais que c'était rare d'obtenir cette chance. Je voulais donc partir d'un sujet qui m'était très important ; celui de l'enfance, de l'adolescence plus particulièrement, ça me tient beaucoup à cœur. L'histoire est vraiment inspirée de mon propre vécu, de mes 12 ans. Cléo et Romy, elles représentent vraiment à deux, selon moi en tout cas, l'expérience queer de l'ado, les deux faces cachées, ce côté invisible et le pendant inverse fait d'extroversion. J'ai vécu leurs deux histoires, donc les caractériser dans deux personnages différents constitue vraiment la genèse de Cléo se fait des films. Par rapport à mon vécu, c'était super important de concevoir ce film, car pendant ma scolarité, j'étais parfois harcelée, ce qui est fréquent pour les adolescent·e·s queers. C'était crucial de se réapproprier ces histoires difficiles par de la comédie. Cléo elle représente ce que j'aurais aimé faire, comme donner un coup de poing aux gens qui me disaient des méchancetés (rires). Elle n'affiche aucun complexe et arbore fièrement sa personnalité. Je rêvais de pouvoir être comme Cléo quand j'étais plus jeune, mais souvent j'étais plus comme Romy. Cléo c'était presque mon amie imaginaire en quelque sorte.
C. : Quid du casting ? Comment avez-vous trouvé les deux actrices principales ?
T. F. : J'ai eu la chance de travailler avec deux personnes dans ma classe qui étaient très motivées et impliquées dans le projet. Elles m'ont aidée à rencontrer une centaine de petites filles en Belgique. En gros j’ai rencontré toutes les petites filles de douze ans qui jouaient et faisaient du théâtre. Et c'était essentiel pour nous de désacraliser le casting, une étape très stressante et impressionnante. On a donc décidé d'organiser ça en groupe, on rencontrait à peu près dix petites filles à la fois. On menait des exercices de jeu, comme dans un cours de théâtre, on improvisait autour des scènes et des sujets. C’est rigolo, dès que Lena qui joue Cléo et Léontine qui joue Romy sont rentrées dans la pièce, je savais qu’elles décrocheraient le rôle. Léna est rentrée en sautillant, des paillettes dans les yeux. Léontine est rentrée timide, réservée.
C. : Dans quelle mesure se sont nourris le scénario et le tournage ? Avez-vous adapté des parties en cours de route ?
T. F. : Le scénario, je l'ai écrit en six mois. Du coup, quand je suis arrivée sur le tournage, il était quand même très abouti. J’ai discuté avec Lena et Léontine par rapport à leurs vécus et leurs ressentis, mais souvent on se mettait d'accord. Elles se reconnaissaient dans le scénario. On l’a donc très peu adapté au final. Ce qui est écrit sur la page se retrouve au montage final.
C. : Comment s’est déroulé le tournage ? Vu l'âge des deux actrices principales, était-ce facile d’aborder des questions d’amour lesbien, même si c'est assez sous-jacent ?
T.F. : C'était un gros travail et en même temps très facile et doux. Les comédiennes comme leurs parents ont lu le scénario avant de s'engager sur le projet, donc elles savaient de quoi ça parlait. Elles connaissaient le sujet. C'était même très important pour elles de raconter cette histoire-là, de raconter l'histoire de la joie queer dans l'adolescence, vu le nombre restreint de courts métrages qui abordent ce sujet. On a travaillé avec une coach d'enfants pour faciliter tous les moments de contact physique, même s'ils sont empreints de tendresse, pour les moments où elles se prennent dans les bras, où elles se tiennent la main. Tout ça c'était travaillé pour que ce soit très doux et pas source de tension et de stress. Cela a fonctionné.
C. : Pourquoi avoir opté pour une telle palette de couleurs et cette touche de fantaisie ?
T. F. : En ce qui concerne l'esthétique, la D.A. et le montage, tout se rapporte au titre du film. Je voulais faire montrer subtilement à quoi aurait ressemblé ce film si Cléo l'avait fait, si cette fille de 12 ans très extravertie l'avait réalisé. Donc il y a beaucoup de palettes, beaucoup de rose, un montage dynamique, empli de petites animations, de papiers aussi. Je voulais vraiment qu'on ressente ce côté scrap booking. Ma grande référence, c’étaient les bandes dessinées Lou où cette ado compile toute sa vie dans ce carnet. Je voulais vraiment recréer cette même sensation. Toute la vie de Cléo est dans ce petit court métrage. Pour ce qui est de la palette de couleurs un peu pastel, c'était aussi un hommage aux films un peu plus vintage qui m'ont beaucoup inspirée. Pour moi, c'était primordial que ce film soit intemporel, qu'on ait un peu ce doute sur le moment où ça se passe. Cette question plane. L'histoire est intemporelle. C'est une histoire qui s'est déroulée dans le passé, qui peut avoir lieu aujourd'hui et qui peut survenir à l'avenir.
C. : Vous voulez ajouter quelque chose sur la réception du film en lui-même ?
T. F. : Un an s’est découlé depuis la sortie du film. En fait, la réaction des gens m'a vraiment redonnée foi en l'humanité et en l’avenir, j'ai eu la chance de présenter le film dans pas mal de festivals jeune public, j'ai observé les réactions d'adolescent·e·s d’une douzaine d’années et même encore plus jeunes. Personne n'a jamais questionné l'amour entre deux petites filles. D’ailleurs, beaucoup d’entre elles sont venues me voir pour me partager qu'elles se reconnaissaient dans le personnage de Cléo et ça c'était super touchant, on a même assisté à des petits débats animés. Une fois quelqu'un avait lancé : « Oui, mais Romy c'est un peu un garçon manqué… » Et une petite fille s'était levée très en colère et avait dit qu'on ne dit plus cette expression. Ça m'a vraiment redonné espoir, la génération qui arrive semble chouette (rires).
C. : Où le film est-il déjà passé d’ailleurs ?
T. F. : On a eu la chance de pas mal voyager avec le film, en Belgique, au BSFF, au Courts mais Trash, au Premières Lumières, bientôt au Pink Screens, mais aussi en France, dans des festivals jeune public et lyonnais, en Allemagne, en Angleterre, bientôt un peu plus loin aussi.
C. : Pouvez-vous nous en dire plus sur d'éventuels projets futurs ?
T. F. : Pour le moment, je suis en train de préparer mon prochain court métrage qui traite de sujets similaires, mais cette fois d’un autre point de vue. C'est l'histoire d’une jeune femme et de sa grand-mère. Ce sont des personnages tout à fait extravertis et pleins de vie aussi, mais on va aborder des sujets qui concernent davantage les adultes. Ce film parle du deuil avec beaucoup de douceur et de joie.









