Un peu de fièvre et L'Or des anges de Philippe Reypen
Un peu de fièvre
Le premier plan nous fait découvrir un archet qui glisse sur les cordes d'un violoncelle. Nous entendons le largo de la 5ème Sonate pour violoncelle d'Antonio Vivaldi. Le plan s'élargissant, nous découvrons Alexandre, instrumentiste, travaillant avant le concours qu'il passe le lendemain au Conservatoire. Son professeur s'exclame, derrière lui : « A aucun moment je n'ai entendu de la musique, instrument que vous avez choisi lorsque vous avez perdu votre voix ! » Le tout suivi d'un flash back qui nous montre Alexandre à 13 ans, chantant en soliste, l'Agnus Dei de la Messe du couronnement de Mozart. C'est le thème du film : Comment faire pour retrouver l'émotion de la voix de son enfance qui s'est transformée lors de la mue de l'adolescence? Cette voix qui liait le corps à la langue maternelle, comme l'explique Pascal Quignard dans La Leçon de Musique. Une courte scène sert de pivot au film. Alexandre ressent la transformation de sa voix comme un handicap sans oser le formuler explicitement et sa mère croyant l'apaiser lui dit : « C'est juste un peu de fièvre.» Les femmes conservent leur voix d'enfant, les hommes la perdent. Ce processus a conduit des adolescents comme Marin Marais, Joseph Haydn et tant d'autres musiciens à se consacrer à la composition ou à l'interprétation instrumentale. C'est le parcours d'Alexandre qui semble avoir oublié la raison du choix de son instrument : se substituer à sa voix. Son professeur le lui rappelle pour qu'il use de la même émotion, en jouant du violoncelle, que celle qu'il éprouvait enfant lorsqu'il chantait Bach ou Mozart. Nous avons donc droit à un Largo sans âme ni ornementation du début à un final, où pendant le concours, Alexandre retrouve ses sensations en nous interprétant de manière vibrante, ornementée et dansante la sonate en e-minor comme il sied à Vivaldi. Pierre-Alain Pignolet qui interprète Alexandre est un musicien confirmé ce qui comble l'oreille. Le film a obtenu le prix de la deux/RTBF
L'Or des anges
L'Or des Anges, le documentaire de fiction de Philippe Reypens nous rappelle l'influence des maîtrises chorales en l'Europe du Moyen-âge à nos jours. Le film démarre sur le Stabat Mater de Pergolèse illustré par un travelling qui glisse sur les anges musiciens de la cathédrale de Florence. Sébastien Hennig, à l'âge de treize ans, a interprété l'oeuvre de Pergolèse sous la direction de notre compatriote René Jacobs. C'est le fil rouge du film Hyacinthe, la voix d'un jeune garçon qui porte le nom de cette fleur androgyne nous guide dans cette traversée délicate qu'est la mue, la transition entre l'enfance et l'adolescence. A travers cette voix off, nous découvrons un florilège des meilleurs choeurs d'Europe qui se servent encore de ces voix enfantines remplacées un peu partout par la voix de soprano des femmes (le Worcester Cathedral Choir, le Knabenchor de Hanovre, les petits chanteurs de Vienne, les rossignols de Pologne). Si vous aimez la fragilité de ces voix enfantines interprétant notamment les cantates de Bach, n'hésitez pas à vous scotcher devant votre écran. D'autant que le film, évitant l'écueil du didactisme scolaire, vous emmène au gré des auditions dans un monde nostalgique où la beauté domine (le duo des chats de Rossini est une petite merveille.)