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Vandal d'Hélier Cisterne

Publié le 15/10/2013 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

L'âge d'homme

Après des courts métrages remarqués (Les deux vies du serpent présenté à la Semaine de la Critique ; Les paradis perdus, qui lui vaut le Prix Jean Vigo, en 2008), Hélier Cisterne signe, avec Vandal, un beau premier long métrage qui se coule dans les pas d'un jeune garçon de 15 ans pour le suivre dans son chemin vers l'âge adulte. Après quelques voitures volées, Chérif est envoyé chez sa tante en province pour entreprendre des études de maçonnerie. Il y retrouve son père qu'il n'a plus vu depuis 4 ans. Il y découvre l'univers de son cousin, le monde nocturne et furtif du graffiti.

Entouré au scénario de Gilles Taurand, le scénariste, entre autres, d'André Téchniné, et l'aide de la jeune réalisatrice Katell Quillévéré ; avec, à la caméra, l'ultra doué chef opérateur belge Hichame Alaouié, une brochette d'acteurs tous époustouflants, Cisterne faisait souffler sur les premières œuvres présentées au Festival du Film Francophone de Namur un joli vent, tendre et vif, sur l'adolescence d'aujourd'hui. Jamais condescendante, plutôt modeste et revigorante, cette co production belge portée par Tarantula a reçu le prix du Jury Junior à Namur. Une belle récompense qui vient pointer la justesse d'un premier film qui teinte d'héroïsme modeste ce moment banal de la vie où il faut se choisir.

Vandal de Hélier CisterneComment transformer une désignation qui humilie en l'affirmation revendiquée d'une identité ? Enendossant l'insulte. Quelques lettres en moins et Vandal sonne comme un cri de guerre. C'est le nom d'un graffeur qui gravit les échelles, grimpe aux arbres, et franchit les grilles pour aller dessiner son nom en lettres géantes sur les plus hauts murs de la ville. Sans limites, sans barrières, la ville lui appartient. Et ce mot, sa signature, Vandal, qu'il peint à tout va, est un geste poétique et gratuit, risqué et illégal, en un sens, héroïque. Dans la très belle première scène de graff du film, Hélier Cisterne saisit dans la nuit, en plan large, quatre jeunes hommes en ombre chinoise en train de peindre un immense mur blanc. Les ombres se dédoublent, les gestes se démultiplient, leur rapidité et leur agilité les font danser. Une armée d'ombres anonymes et fugitives est en marche, qui reprend possession de la ville, s'invente un territoire, crée son identité. Derrière les cagoules, seuls ou en groupe, des jeunes gens construisent une double vie sous le sceau du secret, à l'écart d'un monde qui ne les accepte pas encore, mais qu'ils défient et auquel ils crachent à la gueule dans la fureur de leur activité de bandit artistique. Thomas, si soumis à l'autorité de son père, quand il ôte ses lunettes, quitte son rôle de fils parfait pour devenir un graffeur aguerri, mature et sûr de lui, un homme (Emile Berling est très juste et étonnant – mais tous les acteurs de Vandal, sans exception,sont époustouflants tant ils sont tous au vif d'émotions qui les secouent, mais qu'ils retiennent entre douceur et pudeur). Ce trajet que Thomas connaît, lui qui l'entraîne dans cet univers nocturne tissé de performances et de secrets, ce passage entre l'enfance et l'âge adulte, cette mue dans un corps d'homme, Chérif doit, lui aussi, l'effectuer. Dans une guerre des murs digne de Banksy et King Robbo, où vont s'affronter ce Vandal inconnu et la bande de Thomas, Chérif va devoir faire l'épreuve de son identité et se choisir.

Hélier Cisterne porte sa caméra nerveuse dans les pas de Chérif comme trimbalé ici et là, toujours un peu ballotté malgré lui. Il se tient au plus près des corps et des regards et ne s'écarte que pour saisir leur rapport à l'espace, qui les enferme ou dont ils se libèrent. Il travaille une image réaliste, souvent un peu brute et âpre. Il capte les courses de ces jeunes gens, et dans leur regard de défi ou leurs corps en colère, leur énergie à vif, tantôt empêchée par ces lois qu'ils subissent, tantôt libérée de les transgresser dans leur quête d'absolu. Homme enfant, Zinedine Benchenine a une présence bouleversante à la fois passive et brutale. Quelque chose de sauvage explose en Chérif lorsqu'il se bat ou qu'il crie. Ses fragilités se racontent dans ses bras ballants ou ses silences hésitants. Entre fureur et douceur, chien qui mort et biche sur le qui-vive, tout son être est animal. Sans discours ni morale, Vandal se moule sur les émotions du jeune homme, enchaînant rapidement les séquences vives et rêches dans la nuit, plus hésitantes et lentes dans le jour, quand le regard de Chérif attend ou s’affûte. Parce qu'il réussit aussi à transformer la ville en un véritable terrain de jeu, un territoire qui s'invente à mesure qu'il se découvre, que la nuit transforme aussi en un terrain de chasse où prédateur et proie sont des rôles fluctuants, le film rend à l'espace quadrillé de l’univers urbain ses trous et ses noirs, le transforme en un terrain d'aventures et de mises à l'épreuve, l'ouvre à tous les possibles de ses inlassables mutations, entre délabrements et reconstructions.

Et c'est aussi dans tous les possibles de Chérif que le film tisse peu à peu son enjeu, dans ses va et vient, ses accélérations et ses ralentis, ses aller-retours entre différentes communautés. La scène du chantier où il retrouve son père est bouleversante quand la communauté des hommes accueille le jeune homme avec chaleur et lui chante en arabe, la langue de son père, une chanson qu'il ne comprend pas, mais qui l'inscrit malgré lui dans une filiation aussi lointaine que ce pays dont il ne sait rien. En miroir, une autre chanson, une comptine pour enfant cette fois, dans la maison familiale où tout le monde s'est réuni, fait planer une mélancolie très proche, celle de ne plus tout à fait appartenir au monde qui nous constitue. Qu'il s'agisse des sweats à capuches des graffeurs, de la tenue des élèves en maçonnerie où il évolue, ou encore des gilets et des casques orange fluo sur le chantier, le chemin de Chérif se figure dans ces costumes à endosser comme des identités dans lesquelles venir se mouler. Mais au travers des épreuves du rejet et des erreurs, à travers la rencontre amoureuse et les secrets, dans ce tremblement, entre accueil et séparation, répétition d'initiations ratées mais recommencées, Chérif va construire son nom et prendre sa place, celle d'une solitude conquise au bout de la bombe.

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