Après un passage remarqué aux festivals de Berlin et de Cannes, Young Hearts (2024), le premier long-métrage d’Anthony Schatteman, débarque dans les cinémas belges (UGC, Palace, Kinépolis, Grignoux, etc.). Avec une approche sensible et bienveillante, le film aborde avec justesse des thématiques essentielles comme le coming out à l’adolescence, les premiers amours et la quête de soi. Couronné du Grand Prix Écrans juniors à Cannes au printemps dernier, Young Hearts s’impose comme une belle surprise de cette fin d’année. Touchant, drôle et éclairant, il ouvre le débat sur des sujets encore trop souvent tabous en 2024. En parallèle, des initiatives pédagogiques verront le jour : un dossier éducatif réalisé par les Grignoux, ainsi que des animations proposées par Écran large sur tableau noir autour des enjeux soulevés par le film, tels que l’homosexualité, le conformisme et la place de l’individu dans la société.
Young Hearts, d’Anthony Schatteman, 2024
Cinergie.be : Comment est née votre passion pour le 7e art ?
Anthony Schatteman : Ça a toujours été un rêve de réaliser un long-métrage. Mon père était chanteur, et il y avait toujours de la musique autour de moi. Je voulais être comédien ou chanteur quand j’étais enfant. C’est en faisant mes études plus tard que j’ai découvert le milieu du cinéma. Je regardais beaucoup de films d’Hollywood et des VHS à la maison.
C. : Où avez-vous fait vos études de cinéma et développé cette passion ? Comment a germé l’idée de ce film sur le coming out à l’adolescence?
Anthony Schatteman : C’est au collège, en secondaire, que j’ai commencé à me passionner pour le cinéma. J’avais 15 ou 16 ans. Ensuite, je suis parti du petit village où je vivais pour aller à Gand, où j’ai rencontré des jeunes qui avaient le même rêve que moi. J’ai donc poursuivi mes études à la KASK de Gand. Certains de mes professeurs m’ont dit que je devais traiter un sujet qui me tenait particulièrement à cœur, et c’est ainsi que j’ai décidé de réaliser un court-métrage qui parlait de moi et de mon coming out avec mon père. C’était un sujet compliqué à exprimer pour moi à l’époque, et je n’aurais jamais imaginé que mon projet toucherait d’autres jeunes. Mais étant donné que l’histoire est une romance fondée sur le romantisme et non sur le sexe, elle a résonné auprès des jeunes qui se posent des questions. C’est à partir de là que j’ai eu l’idée de développer ce sujet dans un long-métrage, qui est devenu Young Hearts (2024). Le nom du court-métrage, qui date de 2012, est Kiss Me Softly (2012), ou Embrasse-moi doucement en français.
C. : Votre film reprend des éléments très personnels, comme votre père musicien ou votre coming out à l’adolescence. Peut-on dire qu’il s’agit d’un film largement autobiographique, ancré dans votre propre histoire ?
Anthony Schatteman : Oui, tout à fait. Les personnages de la famille dans le film correspondent à ma famille. Le chanteur dans le film ressemble à mon père. Mon frère a quatre ans de plus que moi dans la vraie vie. Et puis, nous avons aussi tourné dans mon village d’enfance où j’ai grandi. On voit la rue et l’école où j’ai grandi dans le film. Les histoires que je raconte dans le film sont vraiment des histoires que j’ai vécues et qui m’ont beaucoup marqué. C’était ma volonté de raconter de manière authentique mon histoire de jeunesse à travers ce film. Je voulais que le spectateur ressente les émotions que j’ai ressenties durant ma jeunesse. J’ai grandi depuis, et je vois désormais cela avec un peu de mélancolie. Je suis également très fier de ma famille. Ce n’est pas juste mon histoire, mais aussi celle de ma famille et de leurs réactions que je raconte dans le film.
C. : Pouvez-vous nous expliquer le sujet du film et ce que vous avez souhaité raconter à travers cette histoire ?
Anthony Schatteman : Oui, c’est mon premier long-métrage, et j’ai vraiment voulu faire ce film parce que, quand j’étais jeune, j’avais beaucoup de questions sur mon identité, ma sexualité aussi, et je ne trouvais pas de réponses. Ni à l’école, ni dans ma famille, ni même dans les livres ou le cinéma. Je me suis toujours demandé pourquoi il n’existait pas une histoire romantique avec deux garçons qui tombent amoureux. Alors, j’ai fait le film que j’aurais aimé voir à l’époque, pour montrer à toutes les générations que l’amour, c’est quelque chose d’universel. C’est pour ça que je l’ai fait.
C. : Pensez-vous que la situation a beaucoup évolué en 20 ans pour ceux qui doivent faire leur coming out ?
Anthony Schatteman : J’ai commencé ce projet en 2020, pensant que nous vivions dans un monde plus moderne où beaucoup d'enfants ont deux mères ou deux pères, et que le sujet n’était plus aussi crucial qu’avant. J’ai toujours imaginé qu’à Bruxelles, tout le monde était plus ouvert à l’homosexualité que dans le monde rural d’où je venais. Mais après en avoir discuté avec mes amis et des membres de la Commission Cinéma, j’ai réalisé qu’il y avait encore un besoin de ces histoires pour normaliser la situation dans notre société. On pense souvent que ces sujets sont acceptés, mais pour les jeunes, surtout à l’école, il est difficile de partager ses émotions et de parler de soi. C’est ce qui m’a inspiré à réaliser le film de cette manière, en montrant une lutte intérieure plutôt que des violences extérieures. Ce n’est pas seulement une question d’orientation sexuelle, mais de quête de soi, que tout le monde traverse, qu’on soit gay ou hétéro. C’est cette lutte universelle pour être soi-même que je voulais mettre en lumière.
C. : Pensez-vous que, dans un contexte où l'homosexualité reste encore un sujet rarement abordé dans certaines cultures et familles, votre film, en abordant cette question de manière délicate et sensible, pourrait constituer une porte d’entrée importante pour ouvrir le débat auprès des jeunes dans les écoles ?
Anthony Schatteman : Je pense qu’en dépit de la modernité de notre époque, ce sujet reste encore rarement abordé dans de nombreuses cultures et familles. J’ai toujours considéré que mon film était important pour les jeunes qui se posent des questions sur leur identité. Aujourd’hui, je suis convaincu qu’il a sa place dans de nombreuses écoles. Il est essentiel de montrer à des jeunes venant d’horizons différents que l’homosexualité existe et qu’elle est tout à fait acceptable. Si ces sujets ne sont pas discutés à la maison, un film comme le mien peut offrir un exemple, en montrant qu’il est normal d’être gay ou d’avoir une orientation différente.
C. : Pouvez-vous nous rappeler les noms des deux jeunes comédiens principaux ? Et comme on l’évoquait, l'un vient de Bruxelles et l'autre d'une petite ville, est-ce que cela a joué un rôle dans leur interprétation ?
Anthony Schatteman : Ilias, incarné par Lou Goossens, est un jeune de 14 ans qui grandit dans un petit village et ressent le besoin de quelqu’un pour comprendre ses questionnements. Alexandre, joué par Marius De Saeger, est ce voisin bruxellois qui lui apporte une ouverture et une perspective nouvelles. Marius, originaire de Forest à Bruxelles, avait déjà une expérience théâtrale, ce qui apportait une énergie naturelle et un contraste intéressant avec Lou, qui venait d’un village et ne connaissait pas vraiment ce monde-là. Ce duo illustre parfaitement les différences de mentalité entre le monde rural et bruxellois, et cette dynamique se ressent dans leur jeu. C’était fascinant de voir deux garçons du même âge, très différents, évoluer ensemble. Aujourd’hui, ils sont devenus de vrais amis, et c’est assez incroyable. En fin de compte, les personnages que j’avais écrits pour le film se sont incarnés de manière très authentique grâce à Marius et Lou, ce qui a enrichi l’expérience du tournage.
C. : Pourquoi avez-vous choisi de mettre en lumière les relations intergénérationnelles dans votre film, en particulier le rôle des grands-parents dans l'accompagnement des jeunes ?
Anthony Schatteman : Pour moi, il était essentiel de représenter différentes générations dans le film : les jeunes, les parents et les grands-parents. Les grands-parents, incarnés par Emilie De Roo, qui joue le rôle de Nathalie, apportent une dimension particulière. Ils ne sont pas soumis aux mêmes attentes sociales que les parents, et leur désir est simplement d’être là pour leurs petits-enfants. C’est quelque chose que j’ai vécu personnellement. J’ai eu peur de parler à mes parents, car je redoutais qu’ils pensent que ma vie serait plus difficile que celle de mon frère, qui avait quatre ans de plus que moi. Mais ma grand-mère est décédée lorsque j'avais 13 ans, juste avant que je commence à comprendre mon orientation. J’ai souvent pensé qu’elle m’aurait apporté son soutien et m’aurait aidé à accepter ce que je ressentais. C’est pourquoi j’ai voulu inclure le personnage de grand-parent dans le film : il est important que les générations plus âgées soient là pour les jeunes, les soutiennent, et leur offrent une oreille attentive, afin de les encourager à parler de leurs émotions et de leur vécu.
C. : Votre film a connu un parcours impressionnant, avec des prix prestigieux à Berlin et Cannes, ainsi que plus de 60 sélections dans des festivals internationaux. Comment vivez-vous ce succès, et qu'est-ce que cela représente pour vous avant la sortie en salles en Belgique ?
Anthony Schatteman : Dans la carrière d'un réalisateur, il y a trois festivals majeurs en Europe : Venise, Cannes et la Berlinale. Pour nous, la grande avant-première a eu lieu à Berlin, puis à Cannes, et c’était tout simplement incroyable. C’était un rêve que j’avais depuis longtemps. Nous avons remporté la Mention spéciale à Berlin, puis le Grand Prix des Collégiens à Cannes, ce qui a été un parcours incroyable. Ensuite, nous avons participé à 65 festivals et vendu le film dans 70 pays. C’est impressionnant, surtout quand on pense à des pays comme la Pologne ou la République tchèque, où le film a rencontré un vrai succès. Cela me touche particulièrement de savoir que des jeunes dans ces pays peuvent découvrir un film comme le nôtre. Mais au-delà de ce succès en festival, ce qui est encore plus important pour moi, c’est la sortie en salles en Belgique. Le public pourra désormais acheter un billet pour le voir, ce qui marque un moment clé dans notre parcours. Les festivals sont formidables, bien sûr, mais ils ne concernent qu’une portion du public. Maintenant, c’est le grand moment, et je suis à la fois très heureux et un peu nerveux de voir comment le film sera accueilli au cinéma.
C. : Comment la musique a-t-elle influencé le développement de votre film et quel rôle a joué le compositeur Ruben De Gheselle dans ce processus créatif ?
Anthony Schatteman : La musique a toujours occupé une place importante dans ma vie, car mon père était chanteur dans des opérettes, notamment de l’opéra d'Andrew Lloyd Webber. J’ai grandi entouré de musique, et cela a toujours été un élément central pour moi. Mes films préférés étaient souvent accompagnés de bandes-son mémorables, comme celles de Hans Zimmer, et j’achetais toujours les CD après avoir vu un film. Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce projet, je savais que la musique serait un personnage à part entière dans le film. J’ai rencontré mon compositeur, Ruben De Gheselle, lors d’une série précédente, et dès le début, il a parfaitement compris ma vision. Il a même écrit la musique avant que le scénario ne soit complètement finalisé, ce qui a ajouté une dimension très inspirante au processus. Je suis vraiment très fier du résultat final de cette bande-son. Le film a été produit par Polar Bear, Family Affair Films, et Kwassa Films.
La critique cinergie.be de Young Hearts : https://www.cinergie.be/actualites/young-hearts-2024-d-anthony-schatteman