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Rencontre avec Luc Pien : ... Whose Peace will it be?

Publié le 01/09/2015 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

"Il faut continuer à rêver mais il faut savoir que les rêves ne se réalisent pas toujours. Si on ne rêve plus, c'est fini."

Après La Sicilia en 1997 et Vergeten Straat en 2001, adaptation de l'œuvre de Louis Paul Boon, le réalisateur flamand Luc Pien revient vers le cinéma avec la réalisation d'un documentaire sur l'Irak, Light in Time to Come. Dans ce film, Luc Pien s'intéresse à la situation de l'Irak après l'intervention des États-Unis en 2003, et par extrapolation, à la situation au Moyen-Orient en général. Depuis quelques mois, il a récolté une quarantaine d'heures d'interviews et s’attelle à la construction du récit de son documentaire qu'il veut complet, à plusieurs facettes. Sans financement, Luc Pien ne perd résolument pas espoir. Il ne prétend pas tout savoir, ni avoir raison. Il interroge, il échange, il tente de répondre à plusieurs questions laissées en suspens. Quel est l'avenir de l'Irak après l'intervention des Etats-Unis ? Quel est l'avenir du Moyen-Orient ? Comment les individus interrogés conçoivent-ils leur futur et celui du monde en général ? 

Cinergie : Comment est venue l'idée de faire un film sur l'Irak ?

Luc Pien : J'ai toujours été intéressé par l'histoire et surtout les histoires des peuples qui n'ont pas eu la chance de se développer comme ils le voulaient. Un jour, un ami, Lieven Decauter, a fait BRussells Tribunal, en référence au Russell Tribunal contre la guerre au Vietnam, lors de l'intervention des Américains et des Anglais en Irak, en 2003. J'étais à la première réunion où il y avait beaucoup de philosophes, d'artistes, d'académiciens. Ils se posaient la question de comment faire car jusqu'à ce moment-là, les interventions militaires étaient toujours sous le protectorat des Nations-Unies mais là, c'était vraiment une décision unilatérale sans l'appui des Nations-Unies.

J'étais plutôt membre actif du BRussells Tribunal, devenue organisation internationale contre l'intervention des Américains et des Anglais en Irak. Dix ans plus tard, il y a eu une conférence de paix à la VUB et une partie de cette conférence traitait de l'Irak. Un tas de gens de la diaspora sont venus s'exprimer. Lieven m'a proposé de venir avec une caméra pour faire quelque chose. Là, j'ai rencontré des gens, et je me suis dit qu'autre chose était possible, pas seulement les laisser parler. Il fallait leur demander ce que pouvait être l'avenir du Moyen-Orient et en extrapolant même, du reste du monde. C'est utopique, mais Victor Hugo a dit "l'utopie d'aujourd'hui c'est la réalité de demain". Donc, pourquoi ne pas être utopique. C'est mieux que d'être un mauvais messager.

Je leur ai demandé : "Quel est, pour vous, l'avenir de l'Irak et du Moyen-Orient ?" Ils n'avaient jamais réfléchi à cette question car ils étaient dans la réalité actuelle en voulant se protéger de ce qui se passait autour d'eux. Après deux jours d'interviews avec une caméra amateur, ils ont téléphoné à leurs copains et deux semaines plus tard, ils se sont dit qu'il fallait continuer. Cela fait quelques mois et maintenant j'ai 40 heures d'interviews et je suis en train de monter une histoire.

Il y a trois choses que je voudrais faire comprendre : tout avenir a une histoire, la guerre n'a jamais résolu de conflit, les médias doivent montrer une autre facette du conflit mais aussi une autre facette de la géopolitique et une solution possible. Souvent, dans le cinéma, les médias et surtout les documentaires, on prend un individu et on fait un portrait, peut-être qu'on aborde ce portrait d'un point de vue éthique mais surtout esthétique. Faisons un documentaire complet à plusieurs facettes.

Cinergie : Tu as voulu donner le point de vue des Irakiens ?

L.P. : Il faut dire qu'au début, je me suis concentré sur les Irakiens, mais tout de suite, je me suis rendu compte que ce n'était pas seulement l'Irak qui se trouvait au cœur du nœud. Ce qu'on a dit était faux : l'Irak ne s'est jamais aussi bien porté qu'entre 1957 et 1989 même avec un dictateur qui avait nationalisé les ressources, qui avait coupé le lien entre le pétrole et le dollar. L'Irak s'érigeait comme une nation libre contre le capitalisme de l'Ouest. C'est pour cela que les Américains sont intervenus. Il est prouvé qu'il n'y avait pas de nucléaire. Je ne mets pas Sadam Hussein sur un piédestal, mais ce qui s'est fait après est encore pire. Douze ans après l'intervention des USA, il n'y avait plus rien, tout était détruit.

Luc Pien, réalisateurSous Sadam Hussein, toutes les interprétations de l'Islam étaient tolérées : tout était possible. Ce n'est qu'après la guerre entre l'Iran et l'Irak que la situation s'est détériorée. Je me demande toujours pourquoi ces interventions ont eu lieu. Pourquoi intervenir quand les choses ne vont pas si mal.

Quand on compare la fin du régime Hussein et celui de la Lybie, il y a des différences. Ce qu'on a détruit en attaquant Hussein, c'est une société qui avait un sens de liberté, d'indépendance, de la culture arabe, de la richesse de son histoire, des possibilités pour l'avenir. Quand je regarde les documentaires qu'on voit à la télé, je me demande où est le sens de la liberté. Je ne le retrouve plus. On est en train de perdre le sens de l'humanité, de la justice. J'ai grandi dans un contexte où il fallait trouver un chemin pour garantir sa liberté individuelle, contre les systèmes. Je pense qu’il est difficile d'être objectif, de tout raconter concernant un conflit. Je ne veux pas montrer des scènes de guerre car on oublie, quand on voit un canon, un enfant sans jambes, la réalité géopolitique, culturelle, historique. On emploie l'émotion pour tenter d'expliquer quelque chose mais celui qui regarde oublie la réalité.

Cinergie : Pourquoi as-tu préféré faire un film plutôt qu'un livre si tu veux aller si loin dans les nuances ?

L.P. : J'ai un grand exemple, c'est Shoah de Claude Lanzmann. Comment faire quelque chose qui permet une grande audience ? Il y a eu beaucoup de beaux livres écrits sur la culture arabe, sur la monstruosité de la guerre, mais ce sont toujours les mêmes qui les lisent. Je ne sais pas si mon film aura un grand public car il a déjà été refusé, considéré comme "trop". J'aime écouter les gens et montrer ce qu’ils veulent dire. Ce ne sont pas mes convictions qui sont importantes, mais de ne pas trahir les gens. Depuis le colonialisme au 19e, on n'a pas de respect ni pour l'Afrique, ni pour le Moyen-Orient, ni pour l'Inde, nous on est "intelligents, civilisés" et les autres, non. Il faut avoir du respect.

Quand on regarde l'histoire des nationalistes arabes, ils tentent de se mettre d'accord depuis le début du XXe siècle et ces mouvements ont toujours été arrêtés par l'Ouest. La première chose à faire, c'est de remettre ces preuves de culture riche à ces gens et non de faire la guerre. Aujourd'hui, la démocratie, c'est la guerre. Nous, on veut imposer notre système de démocratie sur une culture qui est en pleine recherche de son avenir alors que chez nous notre démocratie ne fonctionne plus. C'est très prétentieux.

Cinergie : Comment vas-tu réaliser ton projet sans financement ?

L.P. : J'ai plusieurs amis que j'ai convaincus et on continue tout doucement. Il y a déjà des premières à Londres prévues pour septembre. Quand j'ai commencé le cinéma, en 1973-74, j'ai rencontré Robbe De Hert, il montait Le Filet américain, montage qui a duré jusqu'en 1980 et le film n'a jamais été définitif. Si je compare ces deux contextes, je peux me mettre derrière mon ordinateur et monter tout seul. Dès que mon film sera prêt, je veux que tous les droits soient libres.

Luc Pien, réalisateurIl faut avoir confiance en ce qu'on ne connaît pas. Je n'aurais jamais fait ce film si je connaissais déjà l'histoire telle que je la connais maintenant. J'ai rencontré des gens qui vivaient tellement avec leur histoire, qui avaient de l'espoir, le sentiment que ça pouvait changer… C'est là que j'ai pris conscience de ce que je ne connaissais pas. C'est ce que je trouve faible dans les documentaires qui traitent de l'histoire du monde, on ne montre pas le système qui est au-dessus et qui contrôle tout. Je ne vais pas faire un film contre quelque chose pour démontrer que j'ai raison. Je ne sais pas si j'ai raison.

J'ai fait un trailer de 6 minutes et dans ce trailer, j'ai trouvé ce que je voulais faire en images, en rythme, en interview. Il est en train de circuler. Je reçois des suggestions, un peu d'argent. J'ai trouvé un producteur, et donc on continue. Le producteur, qui est un ami, m'a dit attention aux deadlines, on doit finir le film en octobre. Pour moi, seuls comptent la conviction et l'investissement. Le site web a été fait par des jeunes. Ils ont pris mon trailer et ont fait quelque chose de très spécifique. C'est ce qui me donne du courage et du souffle.

De nos jours, faire un film, c'est moins difficile qu'il y a dix ans. Il faut oublier tous ces vieux systèmes qui ont eu un sens. Il faut vivre avec son temps.

Notre société est foutue mais en même temps, il y a de plus en plus de gens qui veulent agir pour changer les choses.

Cinergie : Comment vois-tu ton futur ?

L.P. : Pendant dix ans, je n'ai plus rien fait dans le cinéma. J'étais directeur d'une école d'art. J'ai voulu faire ce film et quand je l'aurai terminé, j'entrerai dans mon ère contemplative. Je dois encore faire ce film et puis j'aurai terminé mes devoirs. J'ai eu une vie incroyable, riche, je n'ai plus rien à prouver surtout pas au monde ni à moi-même. J'ai un sens de la justice, mais j'ai appris à le diriger pour aider ceux qui n'en ont pas. 

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