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Luc Pien et Rudolf Mestdagh se rencontrent

Publié le 14/02/2023 / Catégorie: Entrevue

Luc Pien, réalisateur de Vergeten Straat s’est entretenu avec Rudolf Mestdagh, réalisateur du court métrage Robokip, (sélectionné à Cannes, Prix Plateau du meilleur court), pour en apprendre davantage sur son dernier bijou Looking For A Heart Of Gold, mêlant musique et spiritualité dans les tréfonds d’une Amazonie viscérale. Le second cinéaste explique ensuite quelques failles de la VAF et finit par quelques anecdotes dignes d’intérêt sur l’envers du décor du cinéma. Leur rencontre a été traduite du néerlandais vers le français.

Luc Pien et Rudolf Mestdagh se rencontrent

Looking For A Heart Of Gold

Rudolf Mestdagh vient de remporter un prix au festival Anatolia en Turquie pour ce film. Celui-ci traite de l’amour, de la musique et du savoir ancestral lié aux plantes médicinales. Le réalisateur décrit son long métrage comme « un interlude spirituel dans son travail ». La musique y joue un rôle déterminant. Il ajoute : « Huit pianistes et trois guitaristes de quatre continents ont étudié et enregistré des compositions bien définies. » Le cinéaste combine ainsi l’œuvre de musiciens d’antan tels que Chopin et Liszt au travail de musiciens contemporains comme Egberto Gismonti et Blixa Bargeld. En outre, le film s’inspire en partie de la propre vie de Rudolf Mestdagh, notamment de ses rencontres. Il rend ainsi hommage à son ami et réalisateur Rémy Belvaux, qui s’est donné la mort, et à Policarpio Flores Apaza, chamane bolivien qui lui « a donné la chair de poule avec ses connaissances ancestrales ». Le Sud-Américain l’a mis en garde : « Aujourd’hui, Pacha Mama (la Terre Mère) pleure. Si nous n’apprenons pas à écouter les étoiles, les rivières, les montagnes et tous les messages de Pacha Mama, très bientôt nous n’aurons plus rien à manger. » Dans le cadre du film, le cinéaste a beaucoup appris des Shipibo-Conibos de l’Amazonie. D’après lui, ces peuples sont « les seuls à savoir comment nous pouvons encore sauver la planète, s’il n’est pas déjà trop tard. » Plusieurs chamanes qui n’étaient jamais apparus devant une caméra auparavant ont d’ailleurs accepté de participer au projet. « C’est d’eux que j’ai appris à garder le silence. » Rudolf Mestdagh s’est ainsi rendu au Brésil, au Pérou et en Colombie. 

Au grand dam de beaucoup de professionnels du cinéma, Rudolf Mestdagh démontre une incroyable polyvalence : il se charge du scénario, de la réalisation, de la production, parfois même du montage et de la conception sonore dans ses projets. Cerise sur le gâteau : pour ce long métrage, le cinéaste a changé une nouvelle fois de casquette en jouant le rôle du protagoniste Cosmo. « Tous les cinéastes que j’admire travaillent exactement comme moi : John Cassavetes, David Lynch et Orson Welles bien sûr, entre autres. » 

Grâce à ce film, le réalisateur a maintenant la chance de parcourir de petits festivals à Beyrouth, à Capri, au Caire et même à Bali. « Je ne crée plus de films pour le Festival de Cannes, comme je l’ai fait pendant longtemps, après la nomination de Robokip à la Palme d’or. L’un des agents les plus influents de France m’a déclaré sur le ton de la confidence que Cannes attache désormais plus d’importance aux costumes de ses invités qu’à leurs films. » 

Vox Pop

Le projet le plus récent de Rudolf Mestdagh, Vox Pop, a hélas été rejeté par la VAF (Vlaamse Audivisuele Fond, le fonds audiovisuel flamand). Le réalisateur déplore le commercialisme dont font preuve certains membres de l’organisme. Ils auraient de surcroît certains critères de « lisibilité » du contenu qui laisseraient à désirer. En effet, le VAF exige maintenant une présentation du pitch en six minutes aux cinéastes proposant un projet. Même si cette manière de faire pourrait sembler moderne et innovante, selon lui, elle est susceptible de démotiver les artistes en question. « Ce qui est difficile à digérer, c’est que les soi-disant experts qui ont rendu leur verdict ont justifié leur rejet par une série d’arguments pour donner l’impression qu’ils avaient lu le scénario, alors que ce n’était visiblement pas le cas. » L’artiste ne garde toutefois aucune rancune envers l’organisme en lui-même et exprime même sa gratitude. « Je suis très reconnaissant envers le VAF de m’avoir donné un million d’euros pour réaliser mon premier long métrage, eLLektra. » 

Ode au cinéma flamand

L’entretien a culminé avec une déclaration d’amour (ou un témoignage d’admiration) de Rudolf envers Luc. « En plus d’être le plus sympathique, vous êtes le plus sage des cinéastes que je n’aie jamais rencontrés. Vous vous apparentez au grand maître des réalisateurs flamands Harry Kümmel. Je trouve inacceptable que vous ayez fait vos adieux au monde du cinéma. » Rudolf poursuit en rappelant la lettre de Frans Buyens, cinéaste déclaré persona non grata, écrite à Rika De Bakker, ministre de la Culture, pour contrer « tous ceux qui veulent ranger l’habit de carnaval du cinéma flamand dans le musée des bonnes intentions ». Plus tard, une autre lettre ouverte a été rédigée pour «critiquer la politique cinématographique contemporaine et mettre un terme au “spectacle des bonnes nouvelles”».

Rudolf conclut avec une anecdote de l’une de ses rencontres avec le réalisateur américain Samuel Fuller. « Il a un jour posé sa main sur mon genou, sur le canapé de sa maison dans les collines d’Hollywood. Lorsque je lui ai demandé quelle est l’essence qu’un cinéaste doit saisir, il s’est penché vers moi et a déclaré : “Tout est une question de balistique”. Il faut savoir viser en plein dans le mille pour ne pas tomber dans la gueule du loup. »

 

Gauthier Godfirnon

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