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Une vie démente d’Ann Sirot et Raphaël Balboni

Publié le 26/08/2021 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Ann Sirot et Raphaël Balboni avaient déjà marqué les esprits en 2017, grâce à leur film Avec Thelma qui leur avait valu le Magritte du Meilleur court-métrage l’année suivante. L’enfance était déjà au rendez-vous puisque Thelma, c’était l’enfant que les personnages de leur film devaient garder suite à l’éruption du fameux volcan islandais qui avait bloqué l’espace aérien, ses parents s’étant retrouvés coincés à l’étranger. Petit fil conducteur blond et joli, Thelma refait une apparition dans Une vie démente tout comme Jean Le Peltier, qui la gardait. À leurs côtés, dans les autres rôles, Jo Deseure, Lucie Debay et Gilles Remiche, qui forment à eux tous une bande formidable d’acteurs et une famille à l’écran peut-être banale mais sacrément attachante dans des circonstances totalement rock’n’roll. Parce que l’enfance là, c’est la mère de Jean qui y retombe…

Une vie démente d’Ann Sirot et Raphaël Balboni

 

 

Une vie démente est une vraie comédie dramatique, à la fois légère et profonde. Et un premier long-métrage sacrément réussi.

Tout commence par une affaire de lit que la mère d’Alex veut absolument lui acheter pour son anniversaire et pour qu’il y fasse des enfants avec sa compagne Noémie. Il paraît, disent les psychanalystes, que lorsqu’on dort en couple dans un lit, on y est toujours à 6 : le couple lui-même et les parents de chacun d’entre eux… Ce lit, dans lequel Alex et Noémie se retrouvent, discutent, s’engueulent, va devenir l’un des fils rouges du film, peu à peu envahi par la mère d’Alex. C’est que tout doucement, Suzanne (extraordinaire Jo Deseure qui réussit l’exploit d’être belle et digne même nue en couche pour adulte !) déraille et avec un parfait aplomb qui la rend hilarante. Comédie dramatique par excellence - et l’exercice est difficile que de faire rire sur des sujets graves - , Une vie démente est un film plein de finesse et de tendresse sur un sujet rare au cinéma de fiction, la démence qui frappe les personnes âgées. Ici on supposera que c’est Alzheimer, quoi qu’on en sache rien, la maladie n’étant jamais nommée ni décortiquée. Mais c’est que l’enjeu se situe ailleurs, du côté de ceux qui, à ses côtés, ne perdent pas la tête. Quoi que… Ceux qui restent la perdent un peu tout de même à force d’être confronté à la folie de ceux qu’ils aiment.

Tissé autour de quelques motifs qu’il suit ou met en scène dans sa narration (ce lit mais aussi la voiture de Suzanne ou l’enfant que le couple souhaite avoir mais on ne peut pas avoir deux enfants en même temps), Une vie démente accompagne l’évolution de la maladie de Suzanne et le difficile chemin d’Alex pour y faire face, soutenu par Noémie. De la prise en charge de Suzanne aux difficultés qui s’accumulent ou se résolvent, le film retrace avec tendresse les étapes de ce long parcours, entre résistance, colère puis acceptation.


Outre les extravagances de Suzanne qui prêtent à rire souvent (et sont très finement pensées parce qu’elles ne sont pas pathétiques mais qu’elles se situent là où la folie envoie balader les bienséances sociales), le film trouve de nombreux chemins fantaisistes pour construire sa légèreté comme ces scènes où les habits des personnages sont tous taillés dans le même tissu, ces couettes de lit assorties aux chemises de nuit, ces interventions de personnages d’institutions (médecins ou autres) qu’on ne voit jamais, toujours hors champs, auquel les personnages font face de l’autre côté d’un bureau, dans une position d’accusés à la barre qui les rend à la solitude de leur situation et de leur choix.

Avec cette pointe de cinéma burlesque à la Jacques Tati et pas mal de tendresse, Une vie démente réalise finalement la polysémie que son titre indiquait. Comment passer de la réalité d’une fin de vie devenue littéralement démente à la joie d’une vie géniale ? Il ne faudrait sans doute pas exagérer (et sans doute qu’il y a de la litote dans le film, on n’est pas certain que ça soit aussi dément que ça d’accompagner ses vieux parents dans leur sénilité. D’autant que chaque cas doit être bien particulier) mais la proposition d’Ann Sirot et Raphaël Balboni est belle : que vivre avec la folie de l’autre, c’est accepter sa fiction et y jouer avec lui, comme on joue avec les enfants. Alors de la famille peut se reconstruire autrement. Et par ailleurs, cela marche aussi avec les gens normaux, si tant est que la normalité existe...

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