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Sur le tournage d'Une Vie Démente

Publié le 13/08/2019 par Constance Pasquier et David Hainaut / Catégorie: Tournage

Grain de folie

 

Les tournages s'enchaînent, en cet été 2019. L'un d'entre eux, Une vie démente, a logiquement suscité notre attention, puisqu'il s'agit du premier long-métrage de deux habituels ...court-métragistes ayant fait leurs preuves dans ce genre depuis plus d'une décennie, à savoir Raphaël Balboni et Ann Sirot.

Lauréats l'an dernier du Magritte du meilleur court-métrage de fiction (pour Avec Thelma), ces deux réalisateurs font partie des premiers à bénéficier de l'appel à "films à conditions de production légères" lancé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, leur manière d'aborder le cinéma convenant bien à ce nouveau Fonds. Détails et explication sur le plateau de leur film, initié par la société bruxelloise Hélicotronc, productrice notamment de la série La Trêve.

 

C'est dans le joli et spacieux jardin d'une demeure (secrète) du Brabant wallon, servant de décor à la quatrième et dernière semaine du tournage d'Une vie démente, que notre rendez-vous a été fixé. Comme on peut l'imaginer, vu la nature du film, l'équipe (comédiens et techniciens) est restreinte, l'ambiance conviviale. Notre arrivée coïncide avec la pause-repas, moment opportun pour nous d’entamer une petite conversation avec le duo de réalisateurs – lui a été formé à l'IAD, elle comme ingénieur –, pour qui il s'agit là d'un premier long-métrage. Un tandem loin d'être novice, jusqu'ici connu pour de nombreux courts singuliers, souvent salués dans les festivals belges et étrangers, comme Fable Domestique, Lucha Libre ou le Magritté Avec Thelma. "Le tournage compte deux parties", précise d'abord Raphaël Balboni. "À Bruxelles dans les Marolles, et dans cette campagne du Brabant wallon. On a passé environ 40% du temps dans la première, 60% ici. C'était donc d'abord plus urbain, avec des appartements, des cafés, des rues et des gens qui apparaissent (NDLR: dont à La Foire du Midi). Là, dans cette maison et ce jardin, on se trouve dans une toute autre dynamique."

 

Une maladie traitée entre émotion et humour

Présenté sur papier comme "une comédie douce-amère", ce film, inspiré en partie d'une expérience vécue par ce couple – à la ville comme …derrière l'écran - raconte l'histoire d'Alex (Jean Le Peltier) et de Noémie (Lucie Debay), deux travailleurs trentenaires qui, alors qu'ils désirent un enfant, apprennent que Suzanne (Jo Deseure), la mère d'Alex, est atteinte de démence sémantique, une forme d'Alzheimer. Un événement qui perturbe leur plan initial, puisqu'il va leur falloir accompagner cette femme dans son improbable traversée. "On aurait pu tout à fait aborder cela dans un court-métrage", confie Ann Sirot. "Mais comme nous voulions traiter l'histoire du moment où Alex et Noémie ont leurs premiers soupçons sur la maladie jusqu'à l'acceptation de celle-ci dans leur existence, il nous fallait déployer beaucoup de scènes. Le long-métrage se justifiait dans ce cas. Puis, on trouvait intéressant de tisser quelque chose autour de ce vécu, même s'il n'apparaît pas tel quel dans le film. Donc, quand on a vu ce nouvel appel à projets, on s'est lancé..."

 

Un nouveau Fonds de financement tombant à pic...

Ce "nouvel appel à projets" dont parle la réalisatrice, c'est ce Fonds imaginé il y a deux ans par le Centre du Cinéma - évoqué il y a peu via le tournage de Losers Revolution –, qui, sous certaines conditions, permet de faire naître plus rapidement des projets de long-métrages. Une aide correspondant bien à la philosophie du duo : "Depuis que nous tournons nos courts-métrages, on a une manière de travailler opposée à la manière classique. Souvent, on part d'une opportunité (comme un comédien, un décor...) pour penser un film. On s'est souvent demandé comment faire pour prolonger cela dans un format plus long, car il n'existait pas de structure appropriée pour nous. Car autant on peut réaliser un court-métrage sur fonds propres, quitte à peut-être espérer une aide à la finition, autant l'échelle financière d'un long ne permet pas de le financer en privé." Visiblement aussi enthousiaste à l'idée de commenter cette nouveauté, Balboni enchaîne : "Notre chance, c'est qu'on peut recevoir 100 000 euros sur base d'une trame de cinq pages. Comme nous n'écrivons jamais de scénario complet ni de dialogues, on peut avoir la garantie que notre film se fasse pour un budget global de 250 ou 300 000 euros. Alors que pour un film belge classique, on peut éventuellement recevoir une aide au développement de 450 000 euros, en attendant de trouver d'autres financements pour atteindre les 2 ou 3 millions habituels. Mais pour un projet qui risque de traîner et de ne pas se faire dans les conditions que nous voulons. Ou pire, ne jamais aboutir, pour un tas de raisons, de coproduction étrangère notamment". "Oui", renchérit alors Sirot, "Autour de nous, on a déjà assisté à quelques histoires tristes, de projets n'ayant jamais pu voir le jour pour ces raisons..."

 

...pour une réalisation non-conventionnelle

D'apparence idéaliste mais – désormais ! – applicable en long-métrage, la méthode assez indépendante et propre à Balboni & Sirot mérite un rappel : un choix de comédiens et de lieux très en amont, un long et important travail avec ces acteurs – les répétitions, souvent filmées, durent parfois un an et demi ! -, une construction par étapes du scénario (et donc du film) ou encore, un tournage à domicile ou chez des connaissances : si, convenons-en, cette démarche n'est pas systématiquement faisable, elle leur va parfaitement, eux qui travaillent aussi à l'instinct. "Dans ce jardin, par exemple, il y a là une tondeuse-robot", sourit Balboni, et pas seulement parce que "le chien du tournage" semble vouloir se mêler à l'entretien. "Et bien, cette tondeuse s'est un jour allumée alors qu'on répétait. Vu qu'on trouvait ça drôle, on a alors imaginé une scène avec elle." "C'est non-conventionnel,", enchaîne Sirot, "Car on cherche à avoir un maximum de choses valables, et pas forcément la prise parfaite". Elle ajoute : "On aime aussi que les comédiens nous offrent de bons moments. On essaie d'avoir de leur part des fulgurances sonnant comme de vrais beaux instants de vérité. L'important, c'est qu'on puisse toujours avoir de la matière en suffisance pour, au final, essayer de proposer le meilleur."
 

Un lien étroit avec les comédiens

Des comédiens pour qui ces rôles fabriqués presque "sur mesure" restent forcément plaisants à interpréter, surtout pour ceux aimant improviser. "Ils savent peut-être moins ce qu'ils vont dire à l'avance que dans un autre film, mais ils savent toujours ce qui se passe. Disons qu'on ne fixe jamais de dialogues." Ce qui réclame aussi de leur part disponibilité et fidélité, en l'occurrence ici, Jean Le Peltier – un acteur montant et déjà rôdé à leur travail -, Lucie Debay (Nos Batailles), l'expérimentée Jo Deseure (une comédienne repérée au théâtre et vue dans Un Homme à la mer) et Gilles Remiche. "Vu notre collaboration avec eux sur une longue période, on est très associé de part et d'autre. Et si un jour, l'un d'entre eux devait nous quitter pour une proposition plus intéressante, comme cela arrive parfois au cinéma, ce serait compliqué. On peut même dire qu'on est pieds et poings liés des deux côtés", expliquent-ils là en chœur.

 

Un film déjà (bien) soutenu

Bref. Comme Avec Thelma, leur court-métrage le plus fédérateur jusqu'ici, les deux réalisateurs espèrent avec Une vie démente susciter une nouvelle attention, autour d'un film où la tragédie se mêlera au burlesque. Mais comme fait bien de le rappeler Sirot : "Si bien sûr, la reconnaissance est essentielle, surtout pour poursuivre ce métier, c'est vraiment important de continuer à suivre son désir personnel pour créer. Sans ce moteur-là, on ne parviendrait de tout façon pas à faire grand chose de percutant et d'universel." Les bases semblent déjà bonnes : produit par Hélicotronc et soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles donc, ce projet a obtenu presque tous les pré-financements qu'il pouvait espérer, comme Be TV, Proximus ou Screens Brussels. Une autre (petite) partie du budget a par ailleurs été réunie via un financement participatif, en vue de la musique du film. Car celle-ci sera, paraît-il, "ambitieuse"...

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