Eddie à Jack : « Si ça ne tient qu'à moi, le Nebraska, ils peuvent le rendre aux Indiens. Je ne peux pas le blairer cet état-là. J'habite dans le Montana, à présent, à Missoula. Si tu y montes un jour, tu verras ce que c'est que le pays du Bon Dieu », inSur la route, le rouleau original de Jack Kerouac, éd. Gallimard.
Amsterdam stories USA de Rogier van Eck et Rob Rombout
Amsterdam stories USA parcourt 15 localités à l'intérieur des Etats-Unis qui portent le nom d'Amsterdam. Le film démarre à New York, créé par des colons hollandais (avec des huguenots français et des Wallons) et s'appelait, en 1624, la Nouvelle Amsterdam jusqu'à ce que les colons anglais s'en emparent. Avant cela, la baie d'Hudson était peuplée d'Indiens Lenape ou Delaware. Rogier Van Eck et Rob Rombout réalisent, avec ce film, le portrait d'une Amérique provinciale, côté plancher des vaches ou industries désertées. Les habitants ont autre chose à raconter que ceux des grandes villes comme Chicago, ce qui permet de développer des récits qui ne cessent de circuler de la réalité à l'imaginaire dans un vaste territoire composé de 50 états.
Ce "road movie" circule de New York à Amsterdam/California (1), entamant un dialogue avec les habitants dont les réalisateurs dressent des portraits pendant leurs entretiens.
Pour beaucoup de colons devenus citoyens des Etats-Unis, le rêve américain consiste à travailler pour réussir, car tout est possible dans ce paradis terrestre. Il suffit de le vouloir. Cette "mantra" des colons qui se sont implantés dans cet énorme territoire indien n'est pas de l'avis de tous ceux qui témoignent dans le film. L'histoire change en quatre siècles, d'une génération à l'autre, et comme l'a écrit William Faulkner : « L'histoire n'est pas ce qui était, mais ce qui est ».
L'idéal du mythe du paradis terrestre (fiction) et l'envers du mythe (le réel) sont exposés par Russell Banks, le grand romancier américain qui intervient trois fois dans le film et nous explique son propre passage du rêve à la réalité. Incrédule lorsqu'il apprend que l'esclavage a existé des centaines d'années aux USA : « Au cours des décennies des années 1960-70, j'étais encore un jeune idéaliste, issu de l'époque des droits civiques. Après l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy, de Martin Luther King, de Malcom X, de la guerre du Vietnam et la désillusion de la politique américaine, nous avons perdu cette sorte d'innocence ».
Sur la route, Rogier et Rob, nos deux Hollandais au volant de leur voiture, parcourent les états à la recherche des différents New Amsterdam (East-South-Middle-West), ce sésame qui leur sert de ligne rouge.
Les témoignages s'entrecroisent dans les 4 chapitres qui constituent les 6 heures du film. Ces arcs-en-ciel des témoins de l'Histoire offrent de multiples bifurcations et de multiples sédimentations.
Signalons en quelques-unes.
Dans Amsterdam/Montana, les premiers colons hollandais, en 1800, se méfiaient de la culture américaine. Regroupés autour de l'église, les habitants continuaient à parler le néerlandais. L'homélie du pasteur s'est faite dans cette langue jusqu'en 1940. Quarante ans plus tard, le monde de l'image a changé la vie quotidienne. La preuve, une Américaine épouse un Hollandais, fait inconcevable pendant 150 ans. La transmission entre colons hollandais et les autres communautés s'effectue.
Dans un autre Amsterdam, le rêve est devenu un cauchemar. Autour d'un café, une jeune serveuse de restaurant raconte son histoire. Elle vient d'une « lost generation », une génération perdue. « On a connu le récession. On a vu les banques reprendre possession de nos maisons. On a vu l'argent entrer et sortir d'un claquement de doigts. Je pense que l'argent génère la haine. La vie, c'est la rencontre des gens, écouter leurs histoires ». Elle conclut : « Je ne veux pas nécessairement vivre le rêve américain ». Gros plan sur l'iris de l'œil de la jeune fille dans lequel on voit la voiture s'éloigner.
Dans l'Iowa, le rêve américain nous est conté par Rogier et Rob. « On écoute des histoires, mais nous imaginons aussi des histoires ». Il pleut à verse, une silhouette sombre, un parapluie dans une main, lève le pouce avec l'autre. Le duo arrête la voiture pour prendre une auto-stoppeuse, une vagabonde sans toit ni loi. Il y a là tous les ingrédients d'une histoire où l'on ne sait trop ce qui est vrai et ce qui est faux ou les deux à la fois, puisque la jeune fille est une figurante recrutée par les réalisateurs pour Amsterdam stories USA. Elle raconte son histoire en gros plan. Elle espère devenir actrice, la nouvelle Audrey Hepburn. Pourquoi ? Pour sa beauté, sa vulnérabilité et son talent. Mais le réel n'est pas que du cinéma hollywoodien de fiction avec des gens bien à leur place dans la United States of America. Il y a aussi le rêve comme survie. Celui des Amérindiens qui ont survécu et traversent le temps en communauté dans les réserves Indiennes, près du Canada. À l'intérieur de Owyhee, un café restaurant isolé dans la neige, deux Indiennes sont perdues dans leurs rêves en fumant de l'herbe. Tandis que Rob joue au billard, une autre Indienne, appuyée sur le bar-cuisine, lunettes sur le nez, rêvasse à la recherche d'une vision magique du monde. On repart dans le blanc de la neige. Un essuie-glace nous en débarrasse sur la vitre avant d'une voiture. Celle-ci démarre sans hoquet, les deux Hollandais repartent, les yeux ouverts sur le monde.
Extraits de la conclusion des réalisateurs :
Rob : « Pour moi, le pays garde sa part d'ombre et de mystère alors j'écoute des gens disponibles, ouverts, généreux. »
Rogier : « Je suis à la fois dehors et dedans. Je retiens tous ces visages. Ce sont peut-être des chimères. C'est aussi étrange qu'un atterrissage sur Mars, étrange est le seul mot qui me vient toujours en tête. »
Les deux cinéastes néerlandais poètes et ethnologues communiquent aux spectateurs de multiples informations via des vieilles photos en couleur et en noir et blanc (3), des petits détails pittoresques d'objets ayant survécus aux innovations techniques, des peintures reproduisant un passé imaginé sur les Indiens. Mais surtout, via le visage de témoins cadrés de très près et souvent coupés entre l'ombre et la lumière. Après tout, on peut mentir sans l'avoir voulu ! Le récit reste une construction mentale...
(1) Route one USA de Robert Kramer suit la route numéro 1, c'est-à-dire 5.000 kilomètres le long de la côte atlantique, du Canada à la Floride. Dans Milestones, sur l'Amérique de la contre-culture des années 70, on traverse l'entièreté des Etats-Unis.
(2) De beaux lendemains, Sous le règne de Bone, Affliction ont été publiés en français chez Actes Sud. De beaux lendemains a été adapté au cinéma par Atom Egoyan.
(3) Il y a un côté documentaire de fiction à la Ken Burns qui, dans The War,interroge des témoins de la communauté et des survivants de la Seconde Guerre mondiale. Il se sert de petits plans-séquences pour redonner vie au passé et parcourt l'histoire à travers l'espace de certains états américains. (DVD Arte, disponible à la Médiathèque de l'ULB)