Recherche de l'âme de Bruxelles dans les dédales de son histoireAnne Lévy-Morelle, cinéaste du réel, aventureuse et poétique, habituée à présenter ses films sur grand écran, vient de terminer Manneken Pis : l'enfant qui pleut. Devant ce film qui triture et malaxe, à la manière du stoemp, faits historiques et anecdotes fictives, nous avons demandé à la réalisatrice son aide pour démêler l'écheveau.
Rencontre avec une conteuse.
Anne Lévy-Morelle, cinéaste de Manneken Pis, l'enfant qui pleut.
Cinergie : Le générique de ton film se termine par « Ceci est une épopée authentique ». Pourquoi cette référence ?
Anne Lévy-Morelle : Au moment où on a dû classifier mon premier film, Le Rêve de Gabriel, je n'avais pas envie d'utiliser le mot documentaire, non pas que je n'aime pas le documentaire, au contraire, j'adore ça, mais c'est un mot qui, dès qu'on sort de la profession, pose problème, parce que les gens s'attendent à être documentés, d'une manière scolaire et parfois ennuyeuse ! Sur l'affiche du Rêve de Gabriel, nous avons écrit « une histoire épique et vraie ». J'aimais bien la balance entre ces deux mots. Il y a la notion de documentaire de création, de cinéma du réel, mais aussi un certain nombre de choses en plus, et notamment, le «souffle épique», où l'on retrouve cette dimension de collectivité. Pour Manneken Pis, j'ai voulu donner cette couleur, cette construction narrative. C'est la raison pour laquelle j'ai rencontré beaucoup de monde, ce qui m'a permis de traiter d'un même sujet, le Manneken Pis, au travers de plusieurs personnes, mais comme s'il s'agissait d'une seule à multiples voix et visages. Sans pour cela tomber dans l'instrumentalisation, et c'est là que cela devient un défi cinématographique, que c'est un casse-tête et donc que cela m'amuse.
J'ai voulu faire un film très composé dans sa dramaturgie tout en gardant l'authenticité des propos des intervenants. Je n'ai pas écrit ce qu'ils disent.
J'ai une fascination pour les tableaux de Bruegel où il n'y pas un personnage principal, mais où c'est l'ensemble du tableau, composé d'une multitude d'individualités, qui est le personnage principal.
Cinergie : Est-ce qu'on s'approche ainsi plus de la fiction ?
A. L.-M.: Oui et non. C'est un mot que je récuse, dans la mesure où ce sont les protagonistes qui décident de ce qu'ils font ou de ce qu'ils disent, et comment ils jouent avec la statuette du Manneken Pis.Mon but, c'est d'emporter les gens dans un torrent narratif, pas de les documenter. Bien que moi, je doive me documenter et rencontrer beaucoup de personnes. Pour ce film, j'ai imaginé un dispositif d'interview pour ne pas avoir les images du spécialiste devant sa bibliothèque. Nous avons demandé un moule de l'authentique sculpture de Jérôme Duquesnoy, créé par l'atelier de moulage du Cinquantenaire, et nous l'avons placé dans les mains des interviewés. Chacun a fait ce qu'il voulait, et puis, Manneken Pis c'est comme une poupée, quenous n'avons pas l'habitude de voir de si près, et qui induit un rapport ludique.
Mais peut-on prétendre que mettre en récit relève de la fiction? Non, pour moi c'est une construction narrative. J'aime bien aborder plusieurs sujets qui ont l'air de ne pas avoir de rapport entre eux, et sous-entendre qu'il y en a un; organiser une circulation de la narration.
Cinergie : Peut-on dire que Manneken Pis est un double symbolique de la ville ?
A. L.-M. : Ça me plaît de le penser ! Il fait partie de cette espèce d'anti-chauvinisme affiché que nous avons à Bruxelles. Un gamin qui pisse, c'est pas très sérieux pour symboliser une ville, et pourtant ! Quand il vient à disparaître, on le remplace tout de suite !
Je crois que c'est dû à notre culture, on ne peut pas dire qu'on est fier sans être immédiatement catalogué « dikkeneke ». On peut être fier de cette modestie-là. C'est tout le paradoxe de la chose, et j'adore cela !