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50/50 - Le rêve de Gabriel d'Anne Lévy-Morelle

Publié le 01/04/2021 par Anne Feuillère et Sarah Pialeprat / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Anne Lévy-Morelle est née et vit à Bruxelles. Elle y a étudié la littérature, puis le cinéma. Quelques courts-métrages de fiction et documentaires précèdent « Le Rêve de Gabriel », long métrage documentaire qui marque en 1997 son entrée dans la sphère de ce qu’elle appellera “épopée authentique”. Suivent ensuite d’autres épopées authentiques documentaires de long métrage : 2001: « Sur la pointe du coeur » 2008: « Manneken Pis, l’enfant qui pleut » En 2014, elle débute un nouveau cycle: les épopées du quotidien, dont « Casus Belli » (101 minutes) est le premier volet. Elle enseigne le cinéma à l’IAD et à l’ULB.

50/50 - Le rêve de Gabriel d'Anne Lévy-Morelle

Anne Feuillère et Sarah Pialeprat : Quelle place tient Le Rêve de Gabriel dans votre filmographie ?

Anne Lévy-Morelle : C’est sans aucun doute mon film qui a eu le plus de succès et dont on me parle encore le plus souvent. Pendant longtemps, cela m’a d’ailleurs agacée… C’était comme si je n’en avais pas fait d’autres par la suite, mais je me suis fait une raison à présent, et j’apprends à apprécier le côté positif de cette situation. Plus sérieusement, je pense qu’il a joué un rôle en Belgique, car il me semble qu’avant ce film, il n’y avait presque jamais de documentaires belges projetés en salles. Le Rêve de Gabriel a donc un peu modifié le paysage cinématographique belge, car il faut quand même ajouter qu’il est resté en salles pendant un an et demi ! 

 

A.F. et S.P : Comment expliquez-vous cet impact incroyable ?

A.L-M. : Je dois dire que l’impact a eu lieu essentiellement en Belgique. C’est d’ailleurs un film très belge, qui est à la fois familier et « exotique »… En France, par exemple, il n’a jamais été sélectionné en festivals ; il n’est peut-être pas assez cartésien ! Il a surtout ramené au cinéma un public qui n’y allait pas, ou plus, et il a eu un succès incroyable, c’est vrai… Enfin, « incroyable », ce n’est pas Titanic non plus ! Tout d’abord, les familles concernées par le sujet, ce départ en Patagonie, sont très très nombreuses. Dans le cadre de mes repérages, j’ai d’ailleurs rencontré et interviewé plus de 100 personnes, et ce noyau s’est déplacé et a fait déplacer ses proches. Du coup, le bouche-à-oreille a vraiment très bien fonctionné ! Au total, Le Rêve de Gabriel a comptabilisé 25.000 entrées « salles », mais un certain nombre de spectateurs l’ont vu plusieurs fois ! À l’issue de certaines projections, j’ai vu des gens se disputer, les uns trouvant que Gabriel était un irresponsable qui avait conduit sa famille à la perte, alors que les autres disaient que c’était un héros, un visionnaire ! J’ai reçu des lettres étonnantes de gens de partout qui prenaient des décisions radicales pour changer leur vie, encouragés par la vision du film !

 

A.F. et S.P. : Quel tournant ce film a-t-il marqué dans votre carrière ?

A.L-M. : Je ne m’attendais pas à une chose pareille, c’est certain. Cet impact m’a donné l’illusion que tout était possible ! Lorsqu’on a connu ce genre de choses au début, on ne peut être que déçu par la suite… Aucun de mes autres films n’a eu le succès de celui-ci. Les gens s’attendaient peut-être à retrouver une grande aventure, une grande histoire de conquête dans un paysage exotique, mais je n’allais pas refaire la même chose ! Il y a des points communs entre Le Rêve de Gabriel et Sur la pointe du cœur, le documentaire que j’ai réalisé juste après, mais c’est un film dont on me parle moins, et que, pourtant, je préfère peut-être sous certains aspects. Ce qui est sûr, c’est que Le Rêve de Gabriel m’a donné une impulsion stylistique pour les films suivants, que j’ai d’ailleurs regroupés sous l’appellation « Epopées authentiques ». À partir de là, j’ai élaboré une charte qui décrivait un peu le cinéma que je voulais faire, un cinéma assis entre deux chaises : la loi des historiens et la loi des conteurs, pour résumer… Mais ce sont des films qui sont difficiles à financer aujourd’hui. Vingt ans plus tard, je me dis que choisir le documentaire n’est pas la voie la plus facile, et certainement pas celle qui mène le plus facilement au public. Au départ, je voulais faire du cinéma, un point c’est tout ! Je ne m’étais pas dit que j’allais faire du documentaire. Mais le documentaire m’a convenu, par son côté intimiste, petite équipe, qui permet de bien se concentrer sur l’essentiel.

 

A.F. et S.P. : Quelle est la vie de ce film aujourd’hui ?

A.L-M. : Il est programmé, continue à être montré et demandé… Il repasse encore souvent à la télévision, notamment sur la RTBF. Il circule en DVD, en bibliothèques. Dans le cadre de la rétrospective de mes films à Flagey en 2014, au moment de la sortie de Casus Belli, c’est celui de mes films anciens qui a attiré le plus de monde, surtout lors des séances où j’étais présente… Il intéresse encore, et je trouve qu’il vieillit bien. Je continue à l’assumer tel qu’il est, du premier au dernier plan.

 

 

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