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Aya de Simon Coulibaly Gillard

Publié le 28/09/2021 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

La mer

 

Premier long-métrage mais quatrième film de Simon Coulibaly Gillard, Aya est l’autre représentant du cinéma belge dans la compétition des premières œuvres du FIFF cette année avec The Sea Ahead. Tourné dans un petit village de Côte d’Ivoire, sur une presqu'île rongée par l’eau, ce premier long est un beau film au geste épuré porté par deux magnifiques comédiennes. Un très beau portrait de femmes et d’un lieu, voué aux souvenirs.

Aya de Simon Coulibaly Gillard

Aya, c’est Marie-Josée Kokora. C’est un sourire à décrocher la lune, une présence discrète mais lumineuse, une jeune actrice magnifique. Par une matière assez lâche et flottante, cousue de longues séquences ou de plans fixes, Simon Gillard nous fait doucement pénétrer dans la vie quotidienne de cette jeune fille. Attentif aux visages, aux gestes, la caméra se fond dans les regards et le sillage de la jeune fille. Chronique du quotidien, une vie à part entière émerge sur ce territoire loin de tout, épurée, comme le film lui-même dont la narration tient sur très peu de choses dans ce monde aride que les couleurs légèrement contrastées du film adoucissent.

 

Là, sur ce bout de terre ouvert aux quatre vents, rongé d’eau et de sable, Aya est aussi libre que peut l’être une jeune fille dont les seules obligations sont d’aider sa mère. Sa liberté et sa joie tiennent à sa complicité avec sa famille, aux noix de cocos qu’elle monte décrocher des arbres qui penchent sur l’eau, à sa complicité naissante avec un jeune homme. Des petits riens, des gestes, des rituels du village, des dialogues brodés de silence, que le cinéaste enregistre précieusement dans leur temporalité, leur épure et leur pudeur. Quand un regard inquiet se fraie dans la nuit ou que l’ombre d’une larme dit le désarroi, un geste brusque et la gorge nouée toute l’angoisse de pouvoir survivre au lendemain. Car outre la très grande précarité, le dénuement presque total dans lequel vivent Aya et sa famille, dans ce bout du monde, la mer, par qui l’on vit, où l’on joue, où l’on aime, ronge peu à peu ce territoire voué à être englouti. Ce monde qui globalement change, ensevelit non seulement des territoires mais aussi des modes de vie. Des mondes. 

 

Cette menace qui plane, cette présence sourde et latente, le film la capte dans la nuit où plonge Aya, dans ses rêves qui viennent se couler à son quotidien, dans ces reflets incertains de la lune. La nuit, dans l’obscurité de ce monde sans électricité, s’ouvre aux morts et aux fantômes. Alors, Simon Gillard s’autorise plus d’abstractions. Les plans se coulent dans la lumière et la matière pour s’échapper et ouvrir le film à la rêverie poétique et à l’ailleurs de la jeune fille. Partir ou rester, telle est la question de tout ce qui travaille le film dans sa longueur. Grandir en tous cas pour Aya. Portrait de deux femmes, d'une très belle mère courage qui tente de transmettre à sa fille ses valeurs et la possibilité d'un avenir, d'une adolescente en plein grandir et de leur relation forte, Aya est tout cela à la fois. Avec beaucoup d'attention et de respect pour ce qu'il filme, dans la trajectoire d'une narration vouée à l'essentiel, Simon Gillard réalise enfin un très beau témoignage sur les derniers moments d'un monde en train de disparaître. Celui d'Aya. Et son enfance.

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Aya