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Beautiful Boy de Felix Van Groeningen

Publié le 20/02/2019 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Mon Fils, ma Bataille
Lorsque le journaliste David Sheff (Steve Carell), père aimant et attentionné, découvre que son fils adolescent, Nic (Timothée Chalamet) est accro aux drogues dures, il doit se rendre à l’évidence : il est le père d’un toxicomane qui, tous les jours, met sa vie et celle de son entourage en danger. Peu à peu, Nic, jeune garçon autrefois doux et ordinaire, se transforme en une personne que David a du mal à reconnaître. Comment David peut-il l’aider à sortir de cette impasse ? En a-t-il la force et le pouvoir ? Et surtout, n’est-il pas déjà trop tard ?

 

Beautiful Boy de Felix Van Groeningen

Certains films se subissent plus qu’ils ne s’apprécient. Pas à cause de leurs qualités ou défauts intrinsèques, mais par la dureté des sujets qu’ils abordent. Beautiful Boy, dont le titre s’inspire de la chanson de John Lennon, est de ceux-là, adaptation éprouvante d’une histoire vraie, décrite dans deux autobiographies : « Beautiful Boy : A Father’s Journey Through His Son’s Addiction », de David Sheff et « Tweak : Growing Up on Methamphetamines », de Nic Sheff. Pour son premier film américain, Felix Van Groeningen (La Merditude des Choses, Alabama Monroe, Belgica) adopte une approche clinique de la maladie. Négligeant son travail et le reste de sa famille dans l’espoir d’aider Nic, David entreprend une enquête approfondie sur l’addiction, qui donne au film sa structure. Chaque scène dialoguée est, pour le père, le sujet d’un nouveau questionnement. Comment un jeune homme sans problème apparent se retrouve-t-il dans le caniveau après avoir passé des nuits à tenter de trouver « sa dose » ? Comment un être connu pour sa gentillesse peut-il plonger sa famille dans un tel calvaire ? À partir de quel moment David et son épouse doivent-ils laisser Nic s’en sortir seul ?...
C’est ce dernier point que David a le plus de mal à accepter : tous ces spécialistes condescendants, qui ne connaissent pas la profondeur de sa relation privilégiée avec Nic, qui lui conseillent de ne plus l’aider ! Comment osent-ils ?... Mais un toxicomane aussi irrécupérable n’a qu’une seule chance de s’en sortir : il faut qu’il le décide lui-même ! Pas pour rassurer ses proches, pour soulager sa conscience ou pour obtenir une récompense. Mais comment quelqu’un d’aussi autodestructeur que Nic peut-il choisir de survivre ? C’est un des nombreux paradoxes auxquels David est confronté. Lors de séances d’informations dans des groupes de soutien, on lui inculque les trois bases de la vie avec un toxicomane : 1) vous n’êtes pas responsable, 2) la maladie est incontrôlable et 3) la maladie est incurable. Pour David, c’est un cauchemar quotidien, symbolisé par la peur qui l’envahit à chaque coup de téléphone imprévu. Son épouse (qui n’est pas la mère de Nic) arrive à vivre le drame de manière plus sereine, ce qui crée des tensions au sein du couple. Quant à Nic, il multiplie les séjours en centres de désintoxication, les épisodes violents, les fugues et les nombreuses rechutes. Celles-ci, nous apprend-t-on, font partie du processus de guérison. Ce à quoi David, incrédule, répond « Ça revient à dire qu’un crash d’avion fait partie du processus d’apprentissage d’un pilote ! » Nécessaires, ces rechutes n’en sont pas moins douloureuses, notamment lorsque Nic vole de l’argent à son petit frère et que David doit installer un système de sécurité pour l’empêcher de pénétrer dans sa propre maison.
Van Groeningen ne lésine pas sur les scènes difficiles et, tout en évitant de sombrer dans les clichés larmoyants, il décrit la déchéance physique et psychologique de Nic avec pudeur (nous ne sommes pas dans Requiem For a Dream) sans nous épargner pour autant les détails les plus sordides de la maladie. Le cœur du film est évidemment l’évolution de la relation entre le père et le fils, au détriment de rôles féminins (la belle-mère adorable, la mère absente, diverses amoureuses de passage…) largement laissés de côté. De nombreux flashbacks vers les années 90 décrivent une enfance idyllique, ainsi qu’une évidente complicité, notamment lorsque David et Nic découvrent ensemble la musique de Nirvana… Mais à 18 ans, Nic fumait son premier joint en compagnie de son père, un souvenir qui, aujourd’hui, hante David. Aujourd’hui, leur relation évolue au gré de conversations dans des cafés, souvent à quelques pas d’un centre de désintoxication où Nic s’apprête à entrer ou dont il vient de s’échapper. Invariablement, Nic se montre déterminé à guérir. Mais quelques mois plus tard, retour à la case départ : David, le cœur brisé, est obligé de refuser quelques malheureux dollars à son fils, de peur que cet argent soit celui qui finira par le tuer… Nic tourne en rond et le film adopte ce cercle vicieux comme structure narrative. Si à l’écran, les rechutes du « beau garçon » peuvent sembler aléatoires (et le scénario décousu), ce n’est qu’un reflet des réalités d’une maladie que beaucoup s’empressent de juger mais que peu prennent le temps d’étudier.
Révélé récemment par le tiercé gagnant Call Me By Your Name / Ladybird / Hostiles, Timothée Chalamet convainc dans la peau de ce toxicomane fragile, vulnérable, mais aussi farouchement indépendant, arrogant, dangereux, manipulateur, capable du pire pour une dose de crystal meth, tiraillé entre la honte de décevoir son père et ses démons indomptables. Lors d’une séquence mémorable, Nic supplie David de lui donner de l’argent et se montre détestable avant que n’arrivent les larmes et les regrets. Tantôt jeune garçon effrayé, tantôt vieille âme monstrueuse à l’agonie, Chalamet fait preuve d’un naturalisme rappelant la performance d’Al Pacino dans Panique à Needle Park. Mais c’est surtout Steve Carell, dans un rôle plus en retenue, qui impressionne dans le rôle de cet homme pétri d’humanité, confus et frustré, qui cherche à comprendre pourquoi et à quel moment tout s’est effondré. David culpabilise et cherche en vain à corriger des erreurs qui ne sont pas les siennes. La tradition des acteurs comiques se révélant de grands tragédiens (de Chaplin à Michel Simon en passant par Michel Serrault, Robin Williams et Jim Carrey) se vérifie une fois de plus. Le clown irrésistible de The Office et Anchorman trouve ici l’une de ses performances les plus nuancées, dans un film qui a le courage d’explorer les limites de l’amour parental dans un style « choc » qui fait souvent froid dans le dos.

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