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Belgica de Felix van Groeningen

Publié le 13/01/2017 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Potes, Rock 'n Coke...

Après plusieurs longs-métrages qui l'affirment comme l'une des pointures du cinéma d'auteur flamand, après une nomination aux Oscars avec The Broken Circle Breakdown, Félix Van Groeningen renoue dans Belgica avec la veine naturaliste de Dagen Zonder Lief et de La mertitude des choses. Mais étrangement, le film est aussi un retour à l'esthétique pop, saturée et électrique de Steve + Sky, son tout premier long-métrage. Drôle de mélange donc. Baignant dans une superbe bande originale signée Soulwax, Belgica suit l'aventure de deux frères portés par l'ambition de faire de leur café, une « Arche de Noé », l'espace de leur utopie fraternelle. Mais leurs rêves vont peu à peu partir en bibine. Car après le punch des rails de coke et l'éblouissement des boules à facettes, le film finit dans les désillusions grisâtres des gueules de bois au bout de la nuit. Prix de la Meilleure Réalisation au tout récent Festival de Sundance, Belgica n'est pourtant pas tout à fait là où l'on s'attendrait.

Belgica de Felix Van Groeningen

 

Dans des décors tristes à se pendre d'une ville écrasée de brouillard, le monde est triste, fade, et Frank vend des bagnoles au bord de l'autoroute depuis une caravane, résidu éculé d'un rêve américain usé. Sa femme travaille, il a un gosse dont il s'occupe à peine. Il s'emmerde dans sa vie trop rangée. Jo, lui, s'envoie en l'air dans son appartement miteux avec une jeune rousse pétillante qu'il a ramenée de ce café qu'il gère et qui le quitte au réveil, sans l'ombre d'un souvenir. Black out des fins de soirées trop arrosées. Et puis Frank commence à faire la fête, à s'investir dans ce café, cette incessante ronde de nuits folles et joyeuses. Là, les couleurs sont chaudes, contrastées, saturées. Le monde de la nuit s'illumine d'alcool et d'amitié. Alors Frank et Jo s'associent, prennent le Belgica en main, l'agrandissent, construisent avec leurs potes le lieu de leur utopie, espace de liberté, d'ivresses, d'éblouissements, une aventure collective portée par la chaleur des amitiés. Chacun y a sa place, les nuits sont longues et enfiévrées. Loin du monde gris et terne des adultes responsables en somme. Et ça marche. Jusqu'à un certain point. La boite est plus grande, pleine d'une foule bigarrée et les couleurs du film évoluent vers les bleu électrique. Les corps animés de joie et d'énergie se transforment en robot sur le dance floor. Et les deux frères commencent à s'opposer. Le noyau dur à la base du projet se déchire et certains quittent l'aventure. Les ambitions ne sont plus les mêmes, les désirs non plus. En somme, la fête ne peut pas durer éternellement. La réalité fait son retour, les premières compromissions annoncent la chute.
Avec Belgica, Félix Van Groeningen signe à nouveau une histoire d'illusions qui se cassent plus ou moins doucement la gueule dans une machinerie dont on devine assez vite les ressorts. Dans la fièvre des caméras langoureuses, des images saturées, des montages très découpés et alternés, il tisse le récit d'une aventure utopique qui va se heurter à la réalité. Au bout du tunnel de cette longue nuit enfiévrée, de l'autre côté de la vie grise et terne des gens «normaux», un autre monde émerge, gris lui aussi, mais propre et net, celui des caméras de surveillance désormais installées autour du café, qui scrutent froidement la nuit redevenue noire. Les rêves (pas forcément passionnants) de cette petite Belgique communautaire, amicale et chaleureuse se sont fracassés sur les marches du pragmatisme, du succès et du pognon.
Félix Van Groeningen revient ici à un récit plus personnel que ses deux précédents longs-métrages, des adaptations pour l'un d'un livre, pour l'autre d'un spectacle musical. L'histoire de Belgica s'inspire librement de ses propres souvenirs, son père ayant tenu un café réputé à Gand dont deux frères ont pris la suite. Il renoue avec le scénariste de son second long-métrage, retrouve Soulwax avec qui il avait travaillé sur son premier film. Mais quand il fond la matière de ses récits dans des genres cinématographiques très identifiables, il s'y structure, trouve son souffle et réussit ses paris. Belgica, à cheval entre naturalisme et esthétique pop, a plus de mal à trouver son style et à tenir fermement ses propositions. Il met un peu de temps à démarrer, à mettre en place ses personnages et ses enjeux narratifs. Il joue ses montages alternés pour faire avancer son récit mais, plongé dans la musique, le film ressasse en boucle des scènes de clubs puis de boites de nuit, prétextes à des images superbes dans lesquelles Felix Van Groeningen semble parfois lui-même se noyer, hypnotisé à son tour par cette vie nocturne. Le temps du film patine dans des répétitions, décroche d'une chronologie linéaire que le récit pourtant tend à vouloir déployer largement, balayant les multiples péripéties de cette histoire sur une large période, suivant pas à pas l'évolution de ses personnages. Alors, la veine romanesque de Belgica s’essouffle, et c'est la mélancolie qui finit par suinter de tous côtés. Le succès que le film raconte comme la fin des libertés, des aventures amicales et des possibles ouverts à l'infini ne supporte peut-être pas, lui non plus, le mélange des genres ? Et l'ambition de Groeningen, de joindre l'ampleur d'un récit romanesque à la liberté de trouvailles formelles et de renouer avec ses problématiques personnelles se heurte à l’ambiguïté de son propos. Le succès de son film précédent lui aurait-il laissé un goût finalement un peu amer ? Peut-on vraiment ménager la chèvre et le chou ?

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