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Before We go de Jorge León

Publié le 10/11/2014 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Les Trois Grâces

D'entrée de jeu, sur générique au fond noir, une voix spectrale, rauque, violente assène le premier mot de ce qui sera le sujet du film : La Mort. Pourrait-on seulement supporter la vie, si on ne croyait pas en la mort ? Sans elle comme perspective finale, comment traverser cette vie ? En un pari cinématographique audacieux et magnifique, Jorge León pose cette question essentielle et propose une réponse vivante et transcendante. 

Before we go de Jorge LeonTriptyque dansé 

Suite à des ateliers qu'il a dirigés au Centre TOPAZ, lieu d'accompagnement pour des personnes gravement malades du centre hospitalier UZ à Bruxelles, Jorge León a réuni trois personnes autour d'un projet cinématographique, s'éloigner du documentaire (on en saura peu sur la vie et la maladie des protagonistes) afin de faire avant tout œuvre artistique dans laquelle danse, musique, chant s'harmonisent. Lidia Schoue, Noël Minéo et Michel Vassart, atteints de maladie incurable sont des personnages de fiction car mis en scène, même si certains éclats documentaires demeurent. Ils forment 3 duos avec Meg Stuart, Benoît Lachambre et Simone Aughterlony, danseurs et performeurs, avec qui ils et elle vont nouer un dialogue corporel au cœur du théâtre de La Monnaie, lieu de fabrication spectaculaire et symbole de vitalité artistique. Grâce à un montage subtil, ces trois pièces s'articulent en moments de grâce et d'intensité où la mort est sans cesse refoulée par le mouvement et la beauté. Par une mise en espace rigoureuse des différentes dépendances du lieu: un ascenseur qui laisse apparaître des figures fantomatiques, la pièce d'habillage, l'étonnante chambre à chaussures, les nombreux couloirs, l'espace participe à cette atmosphère tendue d'une semaine unique de tournage durant laquelle l'équipe a eu accès à une Monnaie vide d'activités. 

 

Une Machine vivante 

Le corps est, bien entendu, le centre du projet, matière de notre existence et qui ici est incurablement conduit à la disparition. Ces expériences au sein d'un centre de soins palliatifs avec ce qu'elles doivent amener et exiger comme relations de confiance, ont sans doute permis au réalisateur de trouver la distance juste pour regarder ces corps en souffrance, amaigris, recroquevillés. Car comment être à bonne distance sans être voyeur, vampirique et irrespectueux ? Récemment se posait la même question dans la mise en scène d'Orphée et Eurydice de Roméo Castelluci à La Monnaie, Opéra et cinéma, documentaire et fiction mettant la maladie au cœur d'une représentation filmée. Jorge León semble vouloir traiter très vite la question, une des toutes premières scènes étant celle, difficile, du réveil douloureux de Lidia Schoue. Chaque matin, Lidia éprouve une souffrance terrible pour sortir de son lit. Cette scène qui pourrait s'avérer complaisante et malsaine est directement rééquilibrée par celle de la douche, où Lidia retrouve apaisement et douceur. Maquillée, elle devient un personnage du film. L'éthique personnelle du réalisateur est dans ce montage-là. Il n'y aura pas par la suite de tremblement de cette éthique, le sujet, les personnages et la mise en scène nous emportant loin de ces questions pour toucher directement au cœur, telle cette danse poignante, sensuelle et quasi amoureuse entre Lidia et Meg. Instant de fragilité et de beauté, un instant de vie et de partage en plus. 

 

Before we go

De même, le corps ascétique de Noël Minéo garde une élégance de prince, jouant avec humour à courir derrière la Mort (la danseuse Simone Aughterlony dans un costume de squelette), à la diriger juste le temps de quelques pas encore, de la caresser, et finalement, de revêtir soi-même cet habit de présage. Se joue aussi cette mise en abîme sur le cinéma comme étant l'art de filmer la mort et la vie au travail, qui annonce notre certaine disparition (Noël Minéo est décédé durant le tournage et n'a donc pas vu le film terminé) et où l'on assiste à une sorte de double représentation, ces trois personnes dont on sait qu'elles sont en fin de vie et ces 3 personnages qui exécutent comme les autres artistes une performance. 

 

Silence

Ce rapport au corps est magnifié par la quasi absence de texte, par certaines bribes de dialogues dont ceux fraternels et plus présents entre Michel Vassart et Benoît Lachambre, paroles soutenues par des rais de lumière (le papier coloré, découpé en formes abstraites collées sur les fenêtres, rappel des effets des drogues prises par Michel). Son œil absent, violent et doux à la fois, devient vite complice et semble inverser les positions spectateur/personnage filmé. 

La musique et les chants interprétés in situ et où le célèbre « Remember me » de Dido et Aenas de Purcell rythment les scènes finales ainsi qu'une recherche esthétique maîtrisée parachèvent une œuvre universelle et singulière. 

 

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