Blow up - Un regard anthropologique
Blow up continue à intriguer et à poser des questions qui restent sans réponses. Qu'est-ce que la reproduction photographique ? Qu'en est-il de son interprétation cadrée d'un instantané du flux de la vie ? L'art contemporain (hors de la chapelle de Duchamp, c’est-à-dire de la provoc permanente) se veut souvent incontrôlé. Le processus de création est livré au hasard et à la spontanéité. C'est ainsi que travaille Thomas, le photographe de Blow up, qui prend rapidement ses photos, avec son Nikon, en cherchant dans les 36 vues de la pellicule photographique, celle qu'il va sélectionner et qui l'intéresse. Toute son excitation se développe en regardant, après coup, les photos qu'il a prises dans le parc (y a-t-il un meurtre et un cadavre dans le parc ?). Thomas qui n'a rien vu, c'est sa caméra qui a vu et a saisi quelques instantanés de la scène. Thomas est sans cesse dans le « bref bref » d'une valeur attachée à l'instant (il s'intéresse à n'importe quel sujet et refuse toute relation de longue durée). Dans le triangle amoureux de Bill (le peintre voisin) et Patricia (sa femme qui est attirée par Thomas et vice-versa, Thomas pour elle) rien n'évolue jamais. Pas plus que lors de la « marijuana party » où les protagonistes passent de l'excitation à l'abattement, autrement dit d'un flash à l'autre. Le film, tourné en 1966 par Michelangelo Antonioni, joue sur l'illusion, le leurre, une reproduction de la reproduction qui se dilue d'un instant à l'autre dans le flux de la vie.
Thierry Roche, anthropologue, nous propose d'autres labyrinthes : science ou art ? Un pied dans l'abstraction et un pied dans la réalité, comme l'art ? L'auteur, estimant les frontières poreuses, fait des ponts entre le cinéma – avec Blow up – et l'anthropologie.
Trois petits extraits :
Michelangelo Antonioni : « Aujourd'hui les histoires sont ce qu'elles sont, au besoin sans début ni fin, sans scène-clé, sans courbe dramatique, sans catharsis. Elles peuvent être faits de lambeaux, de fragments, déséquilibrées, comme la vie que nous vivons ».
«D'une certaine manière, les personnages antonioniens s'imposent un devoir d'oubli, l'oubli qui toujours nous ramène au présent même s'il se conjugue à tous les temps... Mais l'oubli a ses limites puisque sans cesse nous sommes amenés à revivre les mêmes choses et nous n'allons pas de l'avant comme dans un couloir désert, la vie offre des trajectoires plus sinueuses et parfois même des retours en arrière ».
« Plus le devoir de mémoire est invoqué, plus l'Histoire est convoquée, moins les hommes semblent se souvenir. Plus le passé est balisé de marqueurs, plus cela semble autoriser les hommes à exister comme des particules solitaires égarées dans le cosmos. Ce qui aujourd'hui est sociologie, Antonioni l'anticipe par les voies de l'art ».
Autrement dit les cartes postales du rassurant prémâché servent à évacuer le passé en permettant le surplace (le même à l'infini). Pas mal, et très Deleuzien (le nouveau n'émerge que lorsqu'à travers une répétition, il change le passé).
Décidément les éditions Yellow Now ne cesse d'aiguiser notre curiosité dans les belles collections consacrées au septième art.
Blow up, un regard anthropologique, éditions Yellow Now, collection Côté cinéma.