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Bye Bye Germany de Sam Garbarski - Résilience

Publié le 20/02/2018 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Sam Garbarski aime varier les plaisirs. Après l’adaptation de la BD culte de Jiro Taniguchi (Quartier lointain), il part à New York tourner une comédie un peu folle à la Billy Wilder (Vijay and I), avant de revenir dans son pays natal, l’Allemagne, pour tourner cette adaptation libre du roman de Michel Bergmann ‘Die Teilacher’ (Le colporteur). Un sujet délicat puisqu’il s’agit de nous plonger au milieu d’un groupe de juifs allemands, juste à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. On commence par découvrir ces personnages qui ressortent de la machine nazie brisés dans leur corps et leur cœur, qui n’ont plus que ce qu’ils portent sur le dos. Ils n’ont qu’un rêve, ficher le camp pour rejoindre l’Amérique ou la Palestine, mais sans avoir la moindre idée de comment y arriver, sans argent.

 

Bye bye Germany de Sam GarbarskiParmi eux, David Bermann. Tout aussi fauché que ses compagnons d’infortune, cet héritier d’une ex grande famille de commerçants en draps a réussi à se procurer un petit stock de linge de maison. Son idée : le vendre de porte à porte pour se faire un petit capital afin de quitter le pays. Son public ? Les ménages allemands. Sa technique ? Emouvoir à n’importe quel prix, par n’importe quel moyen. Avec une bande de bras cassés recrutés autour de lui, il part écumer le pays en inventant des histoires abracadabrantes pour écouler son stock au meilleur prix.
Le film démarre donc comme une comédie picaresque à l’humour certes un peu gonflé – le sujet incite davantage à prendre des gants qu’à permettre l’humour transgressif - mais plutôt roboratif. La bande d’arnaqueurs au petit pied paraît finalement assez sympathique, et on s’attend à voir le film courir gentiment sur son erre quand, soudain, le ton change. Quelque chose ne va pas chez David. Pourquoi a-t-il deux passeports ? Pourquoi a-t-il besoin d’un prête-nom pour obtenir sa licence de commerce ? Quelles sont ses absences régulières qu’il ne veut pas expliquer ? On apprend assez vite qu’il fait l’objet d’une enquête. Il est interrogé par une femme major, juive allemande elle aussi, mais qui a fui le pays au début de l’aventure nazie, et aujourd’hui enquêtrice dans l’armée américaine. Dans quelles conditions est-il sorti des camps ? A-t-il collaboré avec les nazis ? Et sinon, jusqu’où est-il allé pour sauver sa peau ? En guise de réponse, il va servir à son interrogatrice une histoire aussi incroyable que celle qu’il utilise comme toile de fond à ses démarchages commerciaux.
L’ambiance devient immédiatement plus sombre, plus inquiétante. On plonge dans les souvenirs de l’holocauste, évoqués en longs flash-back en noir et blanc, alors qu’en parallèle se poursuit toujours l’histoire picaresque de la vente du linge. Mais chez les collègues de David aussi, les souvenirs ressurgissent, et malgré la volonté de laisser au film une certaine légèreté, le spectateur prend conscience du poids terrible de cette époque de haine et de massacre qui n’a épargné personne et laisse des traces diverses : rage, colère, désir de vengeance, envie d’oubli, culpabilité diffuse d’être encore là quand tant d’autres sont morts,…
Cette dualité constitue sans doute une des principales difficultés du film. Est-on dans une comédie picaresque qui exalte le courage et l’instinct de vie qui animent ces personnes qui luttent pour réaliser leur rêve (en d’autres mots se projettent dans l’avenir) ; ou est-on dans un drame psychologique où les personnages composent avec les séquelles de l’horreur (et donc vivent avec leur passé) ? Les deux tonalités émotionnelles sont très différentes et les faire coexister sur un même plan dans la même histoire n’est pas la moindre des difficultés du réalisateur. D’autant que l’histoire va encore se compliquer d’une troisième couche : l’inévitable et trouble attirance amoureuse qui naît entre David et le major.

bye bye Germany

Plus d’un spectateur s’en trouvera désorienté. En réalité, derrière le masque de la comédie, de la romance ou du drame, c’est selon, Bye Bye Germany est avant tout une réflexion philosophique à portée universelle sur le concept de résilience. Comment l’être humain peut-il, après avoir subi un tel traumatisme individuel et collectif, apprendre à « vivre avec », à rebondir, aller au-delà de ce passé empoisonnant et s’ouvrir à l’avenir. Dans Bye Bye Germany, tous les personnages, sans exception, sont confrontés à ce grave problème. Certains seront incapables d’y répondre, d’autres échoueront, d’autres enfin trouveront leur propre voie par le travail, la solidarité, l’amour, ou en s’inventant des histoires. Et dans cette optique, la difficile coexistence entre le passé douloureux et l’avenir porteur d’espoir, prend tout son sens.(1)
Emouvant au final, touchant par l’humanité de ses personnages et de leurs histoires, le film peut heureusement s’appuyer sur un scénario solidement charpenté, à la progression très maîtrisée, qui compense un peu le manque de lisibilité du propos. On y relèvera quelques idées très drôles, à l’humour caractéristique du réalisateur et scénariste (humour de situation, très référencé, avec cette pointe de malicieuse provocation que personne d’autre peut-être ne pourrait oser, et qu’on a appris à connaître depuis son premier court-métrage, La Dinde). Côté casting, Moritz Bleibtreu se régale de son personnage et de l’élégance dont ce grand bourgeois déchu fait montre jusque dans la misère noire. Une finesse de jeu déjà appréciée chez Garbarski dans Vijay and I. A ses côtés, Antje Traue, plus monolithique, peine à exprimer toutes les nuances de son personnage (il est vrai moins développé au scénario).
Enfin, le film est une plongée dans l’histoire récente de l’Allemagne, s’intéressant à une période peu explorée : celle de l’immédiate après-guerre. Il se devait donc d’être réalisé avec le plus grand souci du détail pour ce qui est des paysages, des costumes et des décors. S’il est difficile pour nous de juger de l’exactitude des reconstitutions, on est impressionné par le travail des décorateurs Gernot Thöndel et Thierry Van Cappellen et de la chef op’ Virginie Saint-Martin. Les rues poussiéreuses, jonchées de débris, aux lumières grises, aux couleurs sales et aux dominantes brunes sont impressionnantes de réalisme. Les bâtiments délabrés portent encore les marques des récents conflits et la reconstitution des ruines du grand magasin de la famille Bermann, avec ses éclairages sophistiqués, est à couper le souffle. C’est aussi l’occasion de rendre hommage aux nombreux techniciens belges qui ont travaillé sur le film, conséquence de l’implication des producteurs d’Entre chien et loup, Diana Elbaum et Sébastien Delloye. 


(1Cette résilience on la retrouve dans le titre du film : cette Allemagne à laquelle on dit bye bye symbolisant évidemment le lourd passé qu’elle charrie, qu’on n’oublie pas mais qu’on laisse derrière soi pour aller de l’avant. À l’inverse, le choix final de David Bermann traduit de la même manière le cheminement qu’il a pu accomplir par rapport à son passé.

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