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Cédric Bourgeois, à propos de son film You’re lost little girl

Publié le 23/01/2018 par Bertrand Gevart / Catégorie: Entrevue

Le festival qui dérange, c’est aussi des courts métrages belges. En compétition nationale, nous retrouvons le dernier film de Cédric Bourgeois, You’re lost little girl. Lorsque les murs fissurés de la vie se font chair blessée, les pas d’Anna nous parle alors de la marginalité et de son hostilité. Jeune femme sourde et muette vivant avec sa grand-mère dans un camping, Anna devra pourtant affronter la violence ordinaire. Un film sombre et poétique, d’une rare mais intense liberté dans la contrainte.

Cédric Bourgeois, à propos de son film You’re lost little girl

Cinergie : Tu as déjà un beau parcours cinématographique, il s’agit de ton 5e court-métrage de fiction.
Cédric Bourgeois : Il s’agit de mon 5e film officiel, à chaque fois que je fais un film, je remets ma filmographie à jour. Ce que j’ai fait il y a 10 ans n’a plus le même intérêt que maintenant. En parallèle des courts-métrages de fiction, j’ai aussi fait un long-métrage documentaire sur le milieu du catch belge. 

 

C. : Quelle est la genèse du film ? Comment as-tu abordé l’incommunicabilité ?
C. B. :
Je me suis toujours intéressé aux marginaux, à leur vie, qui sont mis de côté car ils ne s’expriment pas comme la société aimerait.
Le fait qu’il n’y ait pas de dialogue, est sans doute quelque chose de récurent dans mes films. Les émotions sont contenues, à part dans mon documentaire où tout était très vivant. Je commence vraiment à savoir ce que je veux raconter, c’est toujours difficile de mettre des mots dessus, je les exprime en images, en tensions, sans que les personnages n’aient besoin de parler. J’ai vu énormément de films avec un son très très bas et même parfois sans aucun son, c’est pourquoi je me suis énormément attaché à l’image, sans qu’il y ait du son. C’est ma manière de raconter des histoires. Je me suis attaché, pour la genèse du film, à une peinture d’Edward Hopper, « Morning sun ». Une femme assise sur un lit. J’aime beaucoup ce tableau. Hopper est très cinématographique, ce sont des scènes d’une banalité incroyable et chacun y projette ce qu’ il a envie. C’est un ordinaire sublime. Je voyais là quelque chose de profondément mélancolique et je voulais raconter l’histoire de cette femme. Au cours des différentes versions du scenario, ça s’est affiné et il y a un décor qui a été choisi, les personnages secondaires ont été mieux définis. Il s’agit souvent d’une violence sourde amenée par le cadrage.

Je cherchais une certaine forme de poésie dans l’ensemble du film, même si par moment elle revêt sa plus grande noirceur, je voulais filmer des plans de nature. Je travaille avec la même chef opératrice depuis le début, elle savait que j’avais besoin de faire ces plans, les oiseaux qui s’envolent, le soleil qui se couche. Ce sont des plans très rapides et ça demande une grande rigueur dans la gestion de l’équipe. Il y a la volonté de décrire la nature pour raconter le personnage, des moments lumineux, des moments à la mer, tout cela nourrit le personnage de manière consciente et inconsciente. Ce n’est pas juste un geste pour la beauté du geste, c’est de la poésie qui augmente l’être du personnage. Ce n’est pas toujours facile d’exprimer cela.

 

C. : Comment as-tu travaillé avec tes comédiens ? Le fait qu’il n’y ait pas de dialogue, et que l’actrice joue une sourde et muette.
C. B. :
On n’a pas pu répéter avant, car il est difficile de répéter un film comme celui-là. D’habitude, je répète sur le lieu du tournage, les acteurs sentent directement le déplacement, les sensations. J’essaie d’aller deux ou trois jours avant de tourner sur les décors. C’est difficile pour un comédien qui n’a pas de texte d’exprimer des choses. On tournait de nuit, dans le désordre, la fatigue, le stress. Il fallait que je fasse ré-émerger leurs souvenirs. Je voulais travailler principalement en lumière naturelle, mais on a aussi voulu rendre quelque chose de très travaillé au niveau de la lumière et il fallait trouver la place pour les comédiens. C’était une expérience singulière, mais je pense qu’il s’agit de mon dernier film sans dialogue.

 

C. : À une violence sourde, à une absence de dialogue s’oppose un travail sur le son incroyable.
C. B. :
Dès le départ, je voulais que le spectateur entende ce que l’héroïne n’entend pas pour qu’ il y ait une tension et un danger et pour qu’on ait peur pour elle. Comme par exemple dans la scène où le jeune homme est d’une fixité saisissante et effroyable dans le camping-car face à la jeune fille. Tout cela a été pensé avec la monteuse aussi. Hormis le début qui est très musical, on voulait avoir quelque chose de naturaliste par la suite. Il ne fallait pas avoir peur du silence.

 

C. Et puis il y a la photographie très travaillée, poétique, naturaliste, et graphique.
C. B. :
J’ai des références anglo-saxonnes. La caméra portée était un choix dès le départ, je voulais une beauté brute. Une esthétique à la American Honey.

 

C. : Pourquoi avoir voulu débuter le film sur une perte ?
C. B. :
L’ouverture se fait sur un drame. C’est drôle car j’ai réécrit la scène d’un projet de long-métrage, et l’ouverture est similaire, une perte également. La perte influe directement sur le personnage. Il est de fait déjà dans un milieu hostile. La violence me fascine et je la connais, mais ce n’est pas un film autobiographique.

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