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César Díaz, Mexico 86

Publié le 16/04/2025 par Katia Bayer et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

« Un scénariste écrit un film avec des mots et un monteur écrit un film avec des images » 

Après Nuestras madres, un premier long de fiction récompensé de la Caméra d’or 2019 qui s’intéressait à la disparition de guérilleros guatémaltèques dans les années 80, César Díaz a présenté son deuxième long-métrage cet été à Locarno. Co-produit par Need Productions, Tripode Productions, Pimienta Films et Menuetto, Mexico 86 est un thriller politique qui suit une rebelle guatémaltèque (puissante Bérénice Béjo), partagée entre son fils et son militantisme, tous deux chers à son cœur. À l’occasion de la présentation du film au Festival d’Arras en novembre, le réalisateur César Díaz est revenu sur sa rencontre avec la comédienne, son intérêt pour les rapports mère-fils et sa conception de l’écriture.

Cinergie : Vous avez commencé avec le documentaire avant de vous tourner vers la fiction. On sait à quel point ça peut être compliqué de faire un premier long, et on parle un peu moins du deuxième long-métrage. Comment est-ce qu'on prépare un deuxième long avec justement tout ce qui s'est passé autour du premier ? 

César Díaz : On le prépare avec une énorme crainte parce qu'on a toujours peur de se planter, on a toujours peur de ne pas réussir à le monter déjà. J'ai mis longtemps parce que le scénario aussi a fait un détour. Au début, c'était une histoire qui devait se passer à Bruxelles, entre une mère et un fils laissé au Guatemala, alors qu'elle s'occupait d'enfants belges à Bruxelles. Du coup, ce projet a fait un énorme détour pour arriver jusqu’à Mexico 86. Je pense que comme j'avais la crainte de me planter, je me suis entouré de la même équipe qui est un peu ma famille de cinéma. Je savais qu'elle pouvait m'accompagner correctement, je suis très fier de ce qu'on a fait à l'arrivée en fait.

 

C. : Dans cette famille, à qui pensez-vous ?

C.D. : Virginie Surdej, qui est la chef opératrice, je la connais depuis très longtemps, j'aime beaucoup son travail, et surtout je l'aime beaucoup. Je pense qu'elle a une énorme générosité et qu’elle a un regard très fort sur le cinéma. Pilar Peredo, la chef déco, j'ai monté trois films avec elle. C'est quelqu'un qui a aussi un regard très fort. Pierre Abadie, mon assistant, il est à mes côtés et on avance ensemble, et avec Rémi Boubal à la musique, c’est pareil, on se comprend très bien aussi.

Cette famille du cinéma lit plusieurs versions du scénario très en amont. Je pense que franchement, les lecteurs les plus durs pour moi, c'est mon équipe et mes productrices. Ils ne me laissent rien passer, ils me poussent toujours à aller encore plus loin, et ils me disent toujours non. Je pense que ça fait avancer les choses.

 

C. : Qu’est-ce qui ne marchait pas dans votre projet d’origine ?

C.D. : Ça ne marchait pas parce que la question migratoire prenait le pas sur tout. Je n'ai jamais réussi justement dans l'écriture à raconter cette mère et cet enfant. Pour moi, le film s’est joué dans la rencontre de cet enfant qui ne connaît pas sa mère, et cette mère qui ne connaît pas son enfant, et dans la manière dont ces deux-là vont apprendre à s'aimer, à se connaître, à vivre ensemble. Mais la question migratoire parasitait tout. On n'arrivait pas à voir cette mère, on voyait une femme migrante, et je n'arrivais pas à faire dépasser les lecteurs au-delà de ça.

 

C. : Vous avez étudié au Mexique, en Belgique et en France. Qu’est-ce qui vous a incité à étudier autant ?

C.D. : Je voulais étudier le scénario, parce que je pense qu’un film qui ne s'écrit pas, c'est un film qui ne se tourne pas et qui ne se monte pas. Cette idée de trouver des idées sur le plateau avec les comédiens, ce n'est pas ma façon de travailler, je ne peux pas fonctionner comme ça. Moi, j’écris énormément, il y a énormément de versions de scénarios. Pour moi, c'était clair qu'à cet endroit-là, il fallait étudier, être rigoureux, apprendre à écrire, à connaître les ressorts dramatiques, les règles de la narration, pour après peut-être les casser, aller au-delà, et réécrire le film au tournage et au montage. J’ai été monteur aussi pendant longtemps. Pour moi, c'est le même métier : un scénariste écrit un film avec des mots, et un monteur écrit un film avec des images, donc pour moi il y avait une logique dans tout ça.

 

C. : Vos films sont traversés par des traumatismes du passé, par des rapports mère-fils. Pourquoi raconter ces histoires ?

C.D. : Je trouve que les rapports filiaux, les rapports mères-fils sont fascinants dans la façon dont ils sont construits. Même si biologiquement on est liés, ça ne veut pas dire qu'il y a une relation. À mes yeux, cette relation se construit dans la durée, dans le quotidien. Chose que j'explorais déjà dans le film précédent. Pour moi, c'est une continuité en fait. Je ne me dis pas que ce sont des sujets du passé, je me dis que ce qui m'intéresse c'est comment ces rapports-là se construisent.

 

C. : Est-ce que votre mère a vu votre film ?

C.D. : Non, pas du tout. Elle n'a pas voulu lire le scénario et elle n'a pas encore vu le film parce que je voudrais qu'elle le voie correctement dans une salle. J'espère qu'elle va le voir bientôt. Je voudrais lui proposer le résultat final, je ne voudrais pas que ça soit parasité par les souvenirs d'un scénario. C'est juste pour qu'elle ait l'expérience complète et qu'il n'y ait pas un souvenir d'un texte qu'elle ait lu.

 

C. : Pourquoi avoir choisi Bérénice Béjo pour camper le personnage principal ? Comment avez-vous travaillé le texte ensemble ?

C.D. : En fait, j'aimais beaucoup son travail dans Le Passé (Asghar Farhadi, 2013), elle y est exceptionnelle. Elle a quelque chose de fragile et en même temps d'émouvant et de fort. Elle est à la juste place dans ce film. Après, par hasard, j'ai découvert un film qui s'appelle La Quietud de Pablo Trapero (2018). Et tout d'un coup, je me suis demandé pourquoi elle parlait espagnol. Je me suis mis à creuser et j'ai découvert qu'elle était argentine, qu'elle avait fui la dictature militaire avec sa famille. Moi, j'aime bien écrire en ayant des têtes d’acteur. Je me suis mis à penser à elle, mais sans prétention, je me disais que ce ne serait pas possible. Quand on a eu une bonne version du scénario, on a discuté du casting et j'ai lancé son nom. La production m'a dit : « Pourquoi pas? ». Je n’y croyais pas. On a envoyé le scénario à son agent et un mois plus tard, j'étais à Paris en train de manger avec elle!

Notre rencontre s'est tellement bien passée, on avait tellement de choses à se dire, tellement de choses en commun qu'on pouvait mettre sur la table pour le film, qu'on a décidé de travailler ensemble. C'était vraiment un accord. Quand on s'est rencontré, on n'a pas du tout parlé du film. On a parlé de sa mère, de ma mère, de l'exil, de comment on l’avait vécu, de ce qu'on nous a raconté, des secrets de famille. À la fin de trois heures de repas, je lui ai dit : « Est-ce que tu es intéressée par le film ? ». Elle m’a répondu : « Oui, sinon je ne serais pas là ».

 

C. : Ça peut paraître facile de parler d'exil, de vérité, de silence, mais si on n'a pas vécu cela, cela demande un gros travail d’acteur…

C.D. : Ce sont des choses qu'elle avait en elle. Elle a ramené des éléments de son vécu alors que c'est un vécu parisien, avec un contexte argentin. En principe, on se dit qu’il n'y a rien à voir, et bien si, le déchirement est le même, la blessure est la même. On s'est retrouvé dans un langage commun qu'on a utilisé pour le film.

 

C. : Qu’avez-vous appris d’autre sur ce film ?

C.D. : Moi, j'apprends surtout des personnages, c'est-à-dire que j'utilise tous ces vécus pour pouvoir créer des personnages et pour pouvoir faire mon travail. Je pense que quand j'ai parlé avec Matheo Labbé [le jeune acteur du film qui joue Marco, le fils de Bérénice Béjo], je pouvais lui dire exactement ce que j'avais ressenti à ce moment-là. Après, il en a fait sa propre représentation. J'apprends une façon de travailler, je ne voudrais pas que le film devienne de la psychanalyse un peu cheap. Et au contraire, je pense que ça me donne envie de faire mon métier et de continuer à écrire sur des personnages que je connais, que je peux mettre en scène et de faire un travail avec les comédiens qui est passionnant.

 

C. : Dans Mexico 86, les personnages sont confrontés à un cahier de la mort, est-ce qu’il a réellement existé ?

C.D. : C'est un cahier qui existe vraiment, mais qui n'a pas été retrouvé dans le contexte que je mets en scène. C'est un cahier qui a été vendu par un ex-policier à une anthropologue américaine qui en est la gardienne, en quelque sorte. Elle a travaillé énormément au Guatemala. Elle a emporté ce cahier à l'université de Washington, elle connaît chaque famille en profondeur. Ce cahier de la mort, c'est la preuve que 128 personnes ont été arrêtées, torturées et tuées pour la plupart, par la police et l'armée guatémaltèque.

Ce qui est terrifiant dans ce cahier, c'est comment tout l'appareil d'État a été mis à disposition pour la répression. Les photos qui apparaissent, ce sont des photos des cartes d'identité, donc on peut en déduire que les mairies étaient au courant, étaient complices, et donnaient des informations. Il y a des informations policières aussi insignifiantes que la mention d’une infraction au code de la route, ce qui veut dire que la police était au courant aussi.

Ce cahier-là parle de 128 personnes, mais ce n’est qu’un petit tome d'une pièce remplie de cahiers comme celui-là. Ces cahiers existent, celui-ci a été retrouvé en 1991-1992, après 1986, année où je situe le film.

 

C. : Dans quel état d’esprit étiez-vous quand vous avez écrit ce film ?

C.D. : J'ai eu envie de raconter qu'il y a eu un moment où une génération a eu l'opportunité de faire une transformation sociale profonde. Il y avait une promesse qui permettait aux gens de s'investir dans quelque chose qui était plus grand qu'eux, et de se dire que si on s'investissait là-dedans, on allait transformer ce pays. Cette promesse-là, elle n'existe plus. Il y a une certaine nostalgie de cette époque-là, parce qu'aujourd'hui il y a cette volonté de construire une vraie démocratie, sauf qu'on n'a plus les outils pour le faire. Et eux, ils ont eu ces outils-là.

 

C. : Que pouvez-vous nous dire sur la jeunesse au Guatemala et au Mexique qui souhaite s’emparer du cinéma ?

C.D. : Je pense qu'au Guatemala, il y a une industrie émergente qui est en train de raconter de belles choses, mais c'est du cinéma artisanal qui se fait avec très peu de moyens. D'une certaine façon, quand je ramène des films là-bas, ou que d'autres réalisateurs y font des films, on professionnalise les choses quelque part. Le problème, c’est qu’on crée des techniciens, mais qu’il faut créer des auteurs. Et pour créer des auteurs, il faudrait qu'il y ait une politique qui puisse les accompagner et les soutenir, et ce n'est pas le cas.

Au Mexique, le problème, c'est qu'ils sont pollués par l'industrie américaine qui pourrit tout. Tous ces outils, c'est bien de les avoir pour créer quelque chose, mais ce n'est pas ça qui compte. Ce qui compte, c'est d'avoir un sujet et avoir quelque chose à dire. On peut faire un film avec 20 personnes et on peut en faire un avec 130, peu importe si on a un sujet. Le truc, c'est que parfois, on a l'impression qu'il y a 130 personnes, mais qu’il n'y a pas de sujet, et c'est ça qui est dommage.

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