Cinergie.be

Come ti amo de Marie André

Publié le 12/11/2021 / Catégorie: Critique

(...) Ce ne sont pas des personnes ou des lieux que la caméra de Marie André rencontre d’abord mais des portraits qu’il faut décadrer, déplacer, brouiller, pour avoir une chance d’entrevoir ce qu’ils cachent plus qu’ils ne révèlent.

Jean-Paul Fargier (« Les Cahiers du Cinéma »)

Come ti amo de Marie André

Marie André : la fascination de l’absence de temps

Pour reprendre ce que dit Maurice Blanchot à propos de l’écriture, on peut dire à propos de « Come ti Amo », la dernière vidéo de Marie André - présentée avec succès au Festival de San Sebastian – qu’elle nous livre « à la fascination de l’absence de temps ».

Images de rencontres, de chemins qui se croisent, la narration est comme suspendue, ramenée à un état d’âme, une sensation intérieure inapprochable.

Marie André présente d’ailleurs « Come ti Amo » plutôt comme un autoportrait. Elle ne cherche plus à révéler l’identité intime de ses personnages comme dans « Galerie de Portraits » (82), mais elle se cherche dans l’éventualité des rencontres. L’éventualité est un moyen pour faire du portrait une surface de projection plutôt qu’une surface d’identification. On n’essaie pas, en regardant cette image, en écoutant ce son, de reconnaître un personnage, un caractère, même pas celui de Marie André. Paradoxalement, cet autoportrait est polyvalent.

C’est peut-être justement parce que c’est un autoportrait, un excès d’intimité, que l’histoire ne raconte et ne décrit rien. Par le montage, Marie André se rend méconnaissable, se défigure. Son autoportrait est à peine esquissé et déjà brouillé – référence à la peinture et au dessin qu’elle souligne dans la bande son – histoire toute personnelle, trop personnelle, qui est niée dans son individualité.

Loin d’être une attitude négative, le morcellement du montage permet à l’image et au son d’être les supports, non pas d’une, mais de toutes les histoires. Il y a un travail sur le flux sonore, sur le flux visuel, une création d’équivalence qui annulent la signification particulière que l’on colle habituellement sur tel son ou telle image.

Parfois, dans l’équivalence et dans l’absence de temps, émergent des bribes d’histoires, des lambeaux de musique, mais les répétitions, les inversions, les arrêts nous empêchent d’aller plus loin dans la reconnaissance. La signification n’est que la reconstitution de la signification. Ce n’est que cela et c’est tout cela.

« Nous approchons sans doute ici, dit encore Maurice Blanchot, de l’essence de la solitude. L’absence de temps n’est pas un mode purement négatif. C’est le temps où rien ne commence, où l’initiative n’est pas possible, où, avant l’affirmation, il y a déjà le retour de l’affirmation. Plutôt qu’un mode purement négatif, c’est au contraire un temps sans négation, sans décision, quand ici est aussi bien que nulle part, que chaque chose se retire en son image et que le « Je » que nous sommes se reconnaît en s’abîmant dans la neutralité d’un « Il » sans figure. Le temps de l’absence de temps est sans présent, sans présence ». 1

C’est aussi cette mort de l’événement qui est à la base de l’écriture vidéo.

 

Eric de Moffarts, Vidéodoc n°65, nov-dec 1983

 

 

Tout à propos de: