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Galerie de Portraits de Marie André

Publié le 17/11/2021 / Catégorie: Critique

Marie André, une cinéaste autodidacte

Marie André a débarqué dans le cinéma avec l’ingénuité miraculeuse d’Alice. Elle avait envie de poursuivre ce « lapin blanc » sans bien savoir où il allait la mener. Il l’a conduite à faire un court métrage, « Les Pas Perdus », que l’on a pu voir au Festival des Films de Femmes et à celui du Jeune Cinéma, à écrire des scénarios et maintenant à filmer une vidéo « Galerie de Portraits ». Sa conviction a forcé et séduit les lieux où l’on trouve de l’argent : la Commission de sélection du cinéma belge et le Centre bruxellois de l’audio-visuel.

Galerie de Portraits de Marie André

Au départ, elle s’intéressait plutôt à la danse et au théâtre. Quand elle a eu la possibilité de suivre les ateliers de travail de Bob Wilson à New York, elle est partie, un de ses enfants sous le bras, et n’est revenue que lorsque le dernier franc était dépensé. Déçue en Belgique par la scène théâtrale trop conformiste, elle a pensé au cinéma. Faire l’Insas prend quatre ans, elle a 25 ans, elle n’a pas vu la nécessité d’entreprendre des études aussi longues : elle s’est mise à sa table de travail, a écrit un projet et convaincu le ministère de la Culture à l’aider. Il s’agit de quelques heures dans la vie d’une femme qui va à la gare chercher l’homme qui est dans sa vie. En fait elle attend autre chose. Elle ne sait pas quoi. Elle est seule. Le personnage est très statique, le film est tourné en plans fixes noir et blanc et cela se passe gare du Midi… C’est en travaillant qu’elle a découvert la machine cinéma et sa complexité. Heureusement, sans cela elle n’aurait jamais osé s’y lancer. Après son film, elle était dans un grand état d’exaltation. Elle était parvenue à vaincre toutes les difficultés et à mener à bien « Les Pas Perdus ». Dans sa lancée, elle a écrit un scénario de long métrage, inspiré par la vie de sa grand-mère russe qui a traversé le siècle d’une manière passionnante. Vaste fresque qu’elle voulait tourner sans faire de reconstitution historique coûteuse et qu’elle a (provisoirement) abandonnée. Elle continue l’écriture cinématographique. Elle sent que maintenant elle pense avec des images, qu’elle écrit directement d’un manière concrète et non plus littéraire. Mais devenir professionnelle demande un travail à temps plein. Il faut pouvoir ne faire et ne penser qu’à cela. Marie André qui a de jeunes enfants, n’a pas la disponibilité d’esprit, de temps et de mouvement indispensable. En attendant, elle a entrepris un projet moins lourd, plus souple dans l’organisation, une « Galerie de Portraits » tourné en vidéo. Cinq femmes (trois amies, sa fille et sa grand-mère) qu’elle filme dans l’espace qui leur est familier, dix minutes chacune. Il ne s’agit pas de raconter une histoire mais de faire une description affective, de communiquer d’une manière sensible une personnalité. Elle saisit des gestes, des silences, des attitudes, des mouvements dans un cadre quotidien. Ses modèles parlent ou pas, franchissent des portes, se définissent par les objets qui les entourent, inspirent un certain cadrage, un découpage particulier. On sait le rapport privilégié que les femmes entretiennent avec la maison (Leila Sebbar en a fait récemment l’objet d’un livre). C’est lui qui intéresse Marie André, ce rapport à l’intime saisi d’une manière picturale par tableaux successifs (gros plan, nature morte, portrait, fragment d’action). La vidéo la passionne, non que ce soit une technique simple (elle utilise le 3/3 pouce qui est un appareillage lourd et très sophistiqué), mais parce que la composition de l’image peut-être immédiatement contrôlée sur le moniteur. Marie André utilise la vidéo dans ce qu’elle a de plus intéressant et de plus spécifique, le rapport au corps, au moi, à l’espace comme un journal ou des notes intimes écrites en images.

 

Jacqueline Aubenas, « Voyelles » mars 1982

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