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Comme tout le monde de Pierre-Paul Renders

Publié le 06/10/2006 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Foule sentimentale

cover du film Comme tout le mondeCinq ans après Thomas est amoureux, Pierre Paul Renders est à nouveau sous le feu des projecteurs. Son second long métrage, Comme tout le monde mélange comédie sentimentale et satire sociale autour de thèmes chers au réalisateur. Sur le ton guilleret d'une comédie faussement naïve, on y parle de la pression qu'exerce sur nous l'univers contemporain de la télé, de la pub, des sondages, pour nous réduire à un ensemble de statistiques mesurables et prévisibles. Et notre humanité dans tout cela ? Et les sentiments ? Et l'amour ? Quel respect de notre individualité dans un monde où les micro technologies permettent de nous espionner 24 heures sur 24 sans que nous en soyons conscients ? Ces questions, Renders les aborde sur le ton d'une comédie gentiment délirante, un peu à la façon d'un Lubitsch. Comme tout le monde, une comédie trop gentille, donc ? A voir… 
Dans Comme tout le monde, nous rencontrons Jalil, jeune instit en maternelle, gagnant d'un jeu télévisé dont le but est, à chaque question posée, de donner la réponse de la majorité des gens. Et il tombe pile à chaque fois. Un vrai phénomène ! Mais ce don fait de Jalil la cible rêvée des instituts de sondage et autres faiseurs d’études de marché. Pourquoi dépenser des millions en sondages douteux, déranger des centaines de personnes pour obtenir la réponse qu’une seule peut vous donner instantanément. Aussi, n’est-ce pas un hasard si, le soir où il gagne à ce jeu stupide, Jalil, qui depuis des mois cherchait à se loger, tombe soudain sur l’appart idéal. Et si, le même soir, une somptueuse créature lui tombe dans les bras.En fait, son appartement, qui appartient à la SOMADI, un institut de sondage peu scrupuleux, est truffé de micros et de caméras destinés à enregistrer ses moindres faits et gestes. Sa nouvelle amie, Claire, est une comédienne payée pour lui faire tester à son insu toutes sortes de nouveaux produits, pub et autres gadgets. Jusqu’au président de la République, en chute libre dans les sondages et désireux de savoir quoi dire aux français pour faire remonter sa cote, qui lui rend une visite inopinée. Jalil vit ainsi quelques mois paradisiaques, sans se douter qu’il est espionné 24h sur 24, et que ses moindres réactions sont notées et analysées. Mais, Claire se met à éprouver quelque chose d’incongru dans cet univers aseptisé : des sentiments. Elle est de plus en plus attirée par Jalil et commence à se poser de sérieuses questions sur le vilain rôle qu'on lui fait jouer. Jusqu'au jour où, n'y tenant plus, elle finit par tout avouer à son amoureux avant de disparaître dans la nature. Après un moment d’abattement, notre homme décide de combattre ses adversaires sur leur propre terrain. Il récupère, près de SOMADI, les enregistrements de ses faits et gestes et fait de son histoire un Reality Show que les TV s’arrachent. En quelques mois, il devient une vedette qui négocie chèrement son talent et son droit à l’image.  Mais il n’a pas oublié Claire et cherche à reprendre contact avec elle. Quand celle-ci voit le personnage médiatique et futile qu’il est devenu, elle s’enfuit à toutes jambes. Jalil et Claire, qui s'aiment, pourront-ils un jour se retrouver? photo extrait du film Comme tout le monde

photo extrait du filmComme tout le monde est une histoire écrite autour d'une charnière. Dans la première partie du film, Jalil est l'instrument de la SOMADI qui l'espionne constamment et le manipule par l'intermédiaire de sa dame de cœur. Relevons d'emblée la chouette idée qui consiste à incarner cet archétype du français moyen par un jeune homme maghrébin, en plus instituteur en maternelle. Cette première partie est l'occasion, pour Pierre Paul Renders, de donner libre cours à son sens de la comédie enlevée et à son goût pour les technologies d'aujourd'hui. Il mélange, à plaisir, les images pellicules avec des prises de caméras de surveillance aux angles impossibles ou des inserts d'images télé, le tout bien représentatif de notre univers visuel contemporain. L'auteur se moque gentiment de manière pétillante de l'univers consumériste qui est le nôtre, avec un Jalil mené par le bout du nez dans ce monde clinquant de la consommation forcenée. Notre homme y plonge sans se poser de questions, avec de grands yeux émerveillés, d'autant plus encouragé que cela coïncide avec l'amour aveugle qu'il développe pour sa dulcinée. Le réalisateur nous fait partager cette vision acidulée d'un bonheur artificiel en nous plongeant dans un univers visuel proche de l'esthétique du media qui en est son vecteur privilégié : la télévision. Fausses pubs, situations proches de sitcoms (la famille de Jalil est proche du cliché, avec la mère volubile et possessive, le petit frère hâbleur et dragueur, etc …), cadrages serrés, décors fermés, et surtout l'emploi de ces couleurs clinquantes mais subtilement harmonisées qui sont l'apanage de la pub et de la TV commerciale. La parodie en est d'autant plus savoureuse. Mais à partir du moment où le film bascule, dès lors que Jalil est informé de la machination dont il est victime, on s'attend également à un basculement narratif et esthétique. On espère voir Jalil manifester quelque colère, de la révolte, lutter pour récupérer sa dignité d'homme. Renders, lui, prend le risque de dérouter son spectateur et poursuit sans rupture de ton. Au lieu de se rebeller, Jalil rentre dans le système qui l'a manipulé, devenant plus requin d'affaires que ceux qui l'ont utilisé à leur profit. La transformation de ce gentil jeune homme et de sa famille en société de production à succès dans un univers audiovisuel que l'on sait autrement plus piégeur est à la limite de la vraisemblance. On est dans le registre de la comédie doucement délirante, acceptons-le. Plus étrange est ce parti pris avéré de gentillesse, expurgé de tout cynisme grinçant, de toute rage destructrice. Le réalisateur n'aime pas, visiblement, les montées en régime dans le registre dénonciateur et préfère ménager son spectateur par le recours à une présentation plus subtile. Le film en ressort nimbé d'une aura de légèreté, pour ne pas parler de mièvrerie, qui tranche nettement avec la gravité des sujets abordés.  En perd-il pour autant son impact ? Le spectateur jugera.
Deux éléments néanmoins devraient le guider dans son appréciation. Le premier tient au personnage de Claire, sans doute le plus attachant des protagonistes de cette histoire, brillamment interprété par Caroline Dhavernas.  Si Jalil est le personnage principal mis en avant (Kahlil Jaddour, tout en tendresse, est également parfait dans l'interprétation de son personnage enthousiaste et naïf), Claire est la clé de cette histoire. Seul personnage à réfléchir sur ses actes et leurs conséquences, elle a le courage de se remettre en 

extrait du film comme tout le mondecause, sa réflexion est constructive et fait évoluer l'histoire. Une première fois lorsqu'elle choisit de cesser de jouer le jeu de la SOMADI et met Jalil face au choix d'accepter ou de se révolter contre sa position d'exploité. Elle provoque le glissement qui va pousser Jalil à prendre son destin en main. Devenu vedette, il devient lui-même vecteur de changement. Il n'est plus l'incarnation de tout le monde, il devient celui dans lequel tout le monde s'identifie. Ensuite, lorsque Jalil la retrouve mais qu'elle rejette le personnage futile qu'il est devenu : elle le pousse donc à évoluer une seconde fois. Grâce à elle, Jalil, qui a pris conscience de son pouvoir, se rend compte que le fait de simplement en jouir sans s'en servir pour faire bouger les choses le met dans une impasse morale. Jalil agit. Un glissement s'est opéré. De "Jalil est comme tout le monde", le postulat est devenu "Tout le monde est comme Jalil". Les femmes, dit-on, font bouger le monde. Mais si Jalil accepte d'agir uniquement pour être aimé de Claire, est-il vraiment devenu lui-même ? Est-il vraiment libre ?
Le second élément tient précisément à la forme adoptée par Renders et qui déroutera nombre de spectateurs. L'univers du film, très proche d'un sitcom télévisé est la forme parfaite pour convenir, aujourd'hui, à cet univers à la Capra. En choisissant de s'y tenir jusqu'au bout, le réalisateur ne nous adresse-t-il pas une fois de plus un clin d'œil à sa manière subtile ? Une dénonciation doucereuse de cet univers futile, vide et mièvre qui, selon le mot de Patrick Le Lay, PDG de TF1, sert à vider la tête des gens pour les rendre plus disponibles aux pubs de Coca-Cola. Dans ce cas, Comme tout le monde serait plus dérangeant que l'obligeante petite comédie anodine qu'on est à première vue, tenté d'y voir.

 

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