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Daens de Stijn Coninx

Publié le 01/12/1992 / Catégorie: Critique

On a toujours raison de se révolter 

Daens de Stijn Coninx

 

Daens est un films débordant de bonnes intentions, pétri à la chaleur d'hommes solidaires et qui, voulant répondre à l'urgence du temps - montée des nationalismes, des droites dures, de la papérisation à outrance de certaines parties du monde - le fait par un rappel des luttes ouvrières en Flandre au siècle passée et plus particulièrement par la mise en exergue d'un comportement exemplaire, celui du prêtre ouvrier Adolf Daens, fondateur du parti du peuple chrétien. 

Il y a un Adolf Daens à c^yé de chez nous, écoutons-le, voilà une des idées fortes qui sous-tend le film. 

Tiré du roman de L.-P. Boon, le film retrace la lutte quotidienne et parlementaire d'A. Daens en vue de rendre les pauvres moins pauvres et les riches moins riches, en un grand appel à la démocratie sociale dans tous les sens du terme. Révolté par les conditions de vie misérables et l'injustice qui frappent la classe ouvrière, Daens va se heurter tant à la bourgeoisie chrétienne et capitaliste d'alors qu'à l'autorité religieuse pour finalement, devant choisir entre son engagement ou son statut de prêtre, jeter sa soutane et radicaliser son combat. 

Comme on le voit, Daens est oeuvre forte, généreuse et qui ne manque pas de courage. Stijn Coninx y excelle à décrire la vie des travailleurs et réussit à faire pénétrer le spectateur dans cette ambiance prolétarienne fin 19ème, très justement reconstitutée. A l'aise dans les situations de la vie de tous les jours, il laisse sa caméra jouer le jeu du naturalisme à la flamande avec beaucoup de sensibilité et nous donne des portraits vrais de la misère et des hommes qui l'endurent. Sa saisie de l'atelier de tissage, la violence des machines, l'avilissement de l'humain, la révolte des femmes et la veulerie du contremaître, tout cela sonne juste.

De même, l'histoire qui unit la jeune Nette, catholique révoltée, et le jeune militant socialiste ainsi que les différents personnages d'enfants qui parcourent le film en une muette question, nous sont rendus avec finesse, émotion et poésie. 

Alors pourquoi Daens n'est pas le grand film qu'il aurait pu être ? Sans doute pour plusieurs raisons, dont la principale tient au caractère contradictoire du regard de Stijn Coninx, à savoir ce déchirement entre film militant, démonstartif, à message, en un mot propagande et cette peinture plus personelle, plus sensible, d'une condition de vie qui dépasse le simple propos du constat et touche à l'émotion du refus et de la lutte. 

S'attquer à l'oeuvre de L.-P. Boon demandait sans doute de faire un choix : ou la propagande ou la vision personnelle. Le mariage des deux suppose d'emblée le divorce. 

Ainsi, bien souvent, le film va-t-il avancer en boitant. Tantôt donnant la parole à cette poésie de la révolte et là nous sommes séduits, parties prenantes et de tout coeur avec le propos de Stijn Coninx ; tantôt au prêchi-prêcha du film historique à message, désincarné et à la limite du barbant. 

Ce défaut majeur se retrouve autant dans la direction d'acteur que dans la mise en scène qui, quand elle a affaire à la part historique, se dilue au profit d'une mise en plan très efficace, rationnellement, sans humanité aucune, se bornant à décrire très à plat une situation où ce qui se dit est le plus éclairant. 

A tel point qu'elle se lasse d'elle même et nous livre soudainement une partie de billard écclésiastique très chaplinesque et qui est l'unique risque dans le parti-pris de la narration autant que dans la conception de la mise en scène relève plus d'un cinéma de délassement, faisant la part trop belle à cette facilité qu'est le manichéisme. 

Il n'en demeure pas moins que, loin de toute idée militante ou de parti, Daens fait du bien. Et nous espérons que Stijn Coninx, en donnant la parole à Tijl Uylenspiegel, son prochain film, portera haut les risques et fera entendre ce chant de liberté et de révolte, cette fois hors de tout parti-pris et de toute idéologie.

Philippe Simon

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