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Stijn Coninx : Au delà du socialisme

Publié le 01/12/1992 / Catégorie: Entrevue

Daens, le dernier film de Stijn Coninx (Hector, Koko Flanel) est un film impressionnant, par la nature de sa mise en scène et la direction d'acteurs (4.000 figurants), un film à haut budget et de haute tenue. Daens, comme Je pese à vous des frères Dardenne, n'a pu se monter qu'avec des budgets des deux communautés de notre pays.

Stijn Coninx : Au delà du socialisme

Cinergie : Pourquoi tourner un film sur la fin du 19ème siècle à Alost, pourquoi réaliser une fresque sociale en 1922 ? 

Stijn Coninx : A la base, il y avait le projet de Robbe De Hert. L'idée initiale n'est donc pas de moi. J'ai longtemps travaillé comme assistant de Robbe et il y a trois ans, Dirk Impens (producteur de Daens et coproducteur de Je pense à vous) m'a appelé et m'a montré le livre et le scénario de Robbe. J'ai lu le scénario et tout de suite j'ai été très enthousiaste. Avant cela, je travaillais sur un scénario à propos d'enfants, nés de couples mixtes, enlevés par leur père pour retourner en Algérie ou au Maroc. Le côté social des choses m'attire, d'où mon intérêt pour Daens. Plein de choses m'intéressent, c'est pour cela que je m'attaque avec plaisir à des choses que je n'ai pas inventé moi-même. Je trouvais que cela valait la peine de faire Daens, dont j'aimais le scénario et surtout le livre. Alors on commence à réfléchir à ce que cela signifie aujourd'hui et comment on peut le faire. Pas seulement donc pour raconter une histoire, mais profiter de cette opportunité pour raconter et exprimer des sentiments, des émotions qui me touchent au présent. 

 

C. : N'est-ce pas difficile dans le cadre assez strict d'un film historique ? 

S.C : Non, je crois que quand, dans le film, on montre les conditions de travail des enfants, les spectateurs n'ont pas besoin que ce soit dans les sous-titres pour penser au Brésil ou à d'autres pays. Quand on voit les Bokken (milice patronale) qui cognent sur les grévistes et les gauchistes, ou d'autres scènes du film, c'est tout aussi limpide. Mais l'écriture du scénario ne s'est pas faite en se référant à ces réalités, au Brésil, à la Somalie ou à la Yougoslavie. Dance With Wolves n'était pas non plus une histoire qui se passe aujourd'hui, mais on comprend pourtant toutes les émotions, on comprend d'où ça vient. Tous les sujets, tous les thèmes dramatiques sont, et restent, universels. Le tout est de faire ce que l'on sent et de parvenir à le communiquer. 

C. : Le parallélisme entre le film et la situation actuelle de la faillite du socialisme, de la chute du parti social-chrétien en Flandre, est-il voulu ? 

S.C.: Quand on préparait le film, j'ai été fort influencé par ce qui se passe en Roumanie, la chute du mur de Berlin,.. La différence entre Robbe De Hert et moi, c'est que lui avait abordé le sujet en vrai socialiste. Il l'avait en projet depuis 15 ans, mais en 84, un membre de la commission de la sélection des films lui a dit que son projet était bloqué par son côté politique... Moi, j'ai de la chance de ne pas être catalogué politiquement et je ne veux d'ailleurs rien prouver au niveau politique. J'ai tenu à nuancer les personnages, ça ne sert à rien de dire "lui, c'est le bon" et 'lui, c'est le mauvais", ou alors, on aurait fait un western. Si on me demande s'il est parfait, je réponds non, parce que personne n'est parfait. C'est vrai aussi que ça nous a amené à ne pas dire que du bine de certaines personnes. Si on parle de Charles Woeste (le président du parti catholique de l'époque), il faut dire les choses qui se sont passées, mais il faut aussi rester honnête, et reconnaître qu'il a par ailleurs fait des choses positives. Certains personnages du film sont des compilations, des combinaisons de certains personnages du livre où il y en avait des centaines. Je voulais dire aussi qu'il fallait faire attention, le socialisme reste et restera quelque chose d'important, même si le mur de Berlin est tombé. Par socialisme, j'entends surtout le sentiment de solidarité à la base, et il y a des discours étranges où des hommes politiques de droite ou même d'extrême-droite parlent de solidarité et prétendent "aimer les gens". Je trouve cela dangereux de dire que les différences entre les partis politiques ne sont qu'une histoire de mots, de droite et de gauche. Boon était quelqu'un de connu comme militant socialiste, moi j'ai préféré ne pas insister sur le sentiment de partis mais sur l'idée centrale du livre, le contenu, la substance. Quand j'entends les réactions de gens qui ont vu le film, celles de Robbe De Hert et celles de la famille Boon 'l'auteru du livre), ils disent que c'est vraiment Boon et qu'il serait très content. Mais si on me demande, moi de quel parti je suis, je ne sais pas, vraiment pas. 

C.: Comment expliques-tu une telle différence de style entre Hector ou Koko Flanel et celui-ci ? 

S.C.: Cela dépend surtout du sujet. Daens est basé sur des faits historiques, à la différence de mes deux autres films qui étaient purement de fiction. Ici on a été obligé de partir du sujet pour trouver les images et faire que les gens croient à l'histoire. Dès qu'on avait choisi la fin du 19ème siècle, les images s'imposaient, mais il n'y a pas de film datant de 1892 ! On a donc cherché des documents, photos, peintures d'époque... Ce sont les seules sources, avec la littérature, pour comprendre et visualiser ce que l'on voulait raconter. Même si la structure du film est un peu différente du livre, le style est resté très réaliste. J'ai eu la chance de travailler avec un producteur, Dirk Impens, dont le premier mot a été qualité et pas fric. C'est assez exceptionnel. De temps en temps, j'ai presque dû le calmer, je voulais bien me concentrer que sur ce que je voulais raconter, mais il fallait que je sache si on pourrait payer tout cela. Il ne m'a jamais dit "Tu ne peux pas faire ça parce que ça dépasse le budget", il est venu me trouver, et il m'a dit : 15 semaines de tournage, 10 en Pologne et 5.000 figurants ! Au départ, ce n'était pas son métier d'être producteur, mais il aimait tellement Boon et le sujet qu'il a trouvé l'argent. Les éléments réalistes, naturalistes sont là pour recréer la force du texte. Beaucoup d'anecdotes du livre m'avaient vraiment choqué, comme ces gosses que l'on ramassait tous les matins dans les rues d'Alost morts froid et je tenais à ce que ces choses très fortes apparaissent à l'écran. 

Philippe Duprez

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