Après avoir été remarqué en festivals, distribué en salles sous la houlette de ses producteurs, et nominé pour le Magritte du Premier film, De leur vivant sort en DVD. Un portrait de famille tendre et sensible à partir d’une prémisse scénaristique on ne peut plus simple : la mort d’une mère, mais aussi d’une épouse. Avec ce film, Géraldine Doignon nous invite à prendre la mesure de la difficulté de vivre un deuil ensemble : la perte d’un être cher impliquant toujours une remise en question personnelle, ainsi qu’un chamboulement profond au sein de la constellation familiale.
De leur vivant de Géraldine Doignon
Alors qu’Henri vient de perdre sa femme d’un cancer, ses enfants décident de vendre l’hôtel familial afin que le père vienne s’installer près d’eux, loin de ce lieu qu’ils pensent trop chargé de mémoire. Deux d’entre eux, Ludovic et Dominique, prennent une semaine pour faire le tri et s’occuper des visites. Mais Henri ne voit pas les choses sous cet angle et s’enferme dans sa douleur au lieu de leur parler. C’est alors que l’apparition d’une hôte impromptue, une jeune femme enceinte qui cherche un endroit pour la nuit, brise le quotidien statique de cette semaine décisive et amène peu à peu la famille à se rapprocher.
Premier long métrage, De leur vivant s’ouvre sur une construction un peu figée : des plans fixes, une lumière trop blafarde pour être réaliste, la netteté d’image parfois dure, qui peut donner un effet-série B… Le découpage narratif lui-même semble manquer de finesse, entre autres des gros plans sur une alliance qui caractérisent Henri avec insistance. Sans oublier les extraits en Super 8 diffusés au générique, certes émouvants, mais devenus le passage obligé des films de famille pour les réalisateurs de cette génération.
Cependant, réussissant au fur et à mesure que le film avance, à s’éloigner des évidences aussi bien cinématographiques que scénaristiques pour dévoiler son propre point de vue sur l’importance du tissu familial, la réalisatrice tire sa force de la pudeur des portraits psychologiques qu’elle dépeint. Elle réussit, peu à peu, à installer une ambiance attachante qui nous fait oublier les erreurs du débutant.
La force de son film tient tout d’abord dans le lieu de l’action. Traitée comme un protagoniste à part entière, la maison de maître impose aussi bien par sa taille que par la charge nostalgique qu’elle contient : tout droit sortie des années 60, elle n’est plus au goût du jour, mais va exercer un pouvoir sur tous les personnages au point qu’il deviendra finalement impossible de s’en séparer. L’intelligence de Géraldine Doignon est de créer le personnage déclencheur de la résolution, cette jeune femme qui amène la vie là où elle avait pourtant été reprise quelques jours plus tôt. S’inscrivant, involontairement peut-être, dans la tradition des légendes bretonnes où les futures mères allaient recueillir l’âme d’une ancêtre avant d’accoucher, Alice sera, au fil du récit, un relais spectatoriel au regard doux et attentionné. Observatrice délicate, elle recueille la souffrance d’Henri, l’écoute et le console, ce qui amènera notamment une très belle scène au cours de laquelle le père se livre sans pudeur à la jeune inconnue. La voie est ouverte à la nécessité de la parole réparatrice ; scène dans laquelle Raphaële Germser excelle.
Mais le film touche aussi par ses silences dans le jardin, ces plans vides où guette l’absence, le choix des gros plans où l’on sent la confiance instaurée avec les comédiens ainsi que les nombreux cadrages de dos qui indiquent avec finesse que la réalisatrice ne veut pas brusquer l’intimité de ses personnages. Et la caméra effleure la souffrance sans jamais la montrer à vif. Certains ont vu là une référence à Chabrol ou Bergman, mais, si la volonté de toucher à la justesse psychologique s’approche effectivement de celle de ces deux maîtres du huis clos familial, Géraldine met, elle, la vie en avant et non les esprits tourmentés. Le titre même du film en est le signe. Car, oui, chacun s’observe et se surprend au détour d’une fenêtre ou d’un couloir, certaines voix étouffées livrent des pensées qu’on croit inavouables mais en définitive, on comprend que se parler, c’est continuer à avoir le courage de vivre.
Film courageux lui aussi car filmé dans l’urgence de la création (Géraldine Doignon peinait alors à mettre en place L’Homme à la mer, son prochain long métrage) et projet mû par le besoin d’inviter à la réflexion, De leur vivant inscrit sa réalisatrice dans la lignée des jeunes réalisateurs d’aujourd’hui qui n’attendent plus de feu vert pour saisir une caméra.
Les bonus du DVD vous permettront de découvrir un making-of du tournage et des scènes coupées.