Sur une butte, au détour d'un chemin, à l'abri des regards indiscrets, une grande bâtisse, entre château et villa, surgit au milieu de jardins que l'on imagine volontiers librement fleuris d'herbes folles nonchalamment jetées ici et là. Ce lieu, sorti du passé, est témoin d'étranges allées et venues depuis quelques semaines. Transformé en hôtel de charme vieillot sur lequel le temps a déposé ses marques indélébiles, il fait l'objet des tractations, disputes, rencontres et discussions entre un père et ses enfants. Le père vient de perdre sa femme après une longue maladie et refuse de lâcher le souvenir de celle qui accompagna sa jeunesse et ses rêves, s'opposant à la logique cartésienne et mercantile de ses héritiers, adultes responsables. Histoire banale, qui se répète dans toutes les familles. Mais sous le regard de Géraldine Doignon, ce fait-divers prend des tournures de drame humain. Géraldine est une jeune réalisatrice qui se lance pour la première fois dans l'aventure du long métrage. Pour ce faire, elle s'est entourée d'amis, de gens qui lui sont proches et qui l'épauleront si nécessaire plutôt que de lui faire la leçon : Anthony Rey à la production (Helicotronc), Catherine Cosme, chef décoratrice, pour qui Géraldine a peaufiné l'écriture de son scénario de long métrage (Ciels), derrière l'appareil photo qui fait office de caméra, Manu Dacosse, et au cadre, Nicolas Boucart. Géraldine Doignon sait qu'elle peut compter sur eux, et l'atmosphère du plateau est décontractée. Devant l'objectif, Christian Crahay, dans le rôle du père, donne le ton du film; un homme fatigué par la vie, mais toujours habité par la chaleur du rêve. Un homme au regard troublé par son vécu dans lequel étincelle toujours la malice de la curiosité.
Sur le tournage de De leur vivant de Géraldine Doignon
Cinergie : Alors que tu es en train de réaliser ce film, De leur vivant, tu as déjà un deuxième long métrage en préparation.
Géraldine Doignon : Oui, car cet autre projet, Un homme à la mer, je l'ai introduit, il y a déjà plusieurs années ! Mais la recherche de financement est si lente et si longue, que je voulais rester active. J'ai donc écrit De leur vivant, un film à petit budget, pour pouvoir le réaliser rapidement, parce que j'étais impatiente, mais aussi parce que je voulais m'exercer avant de passer au long. Je n'avais réalisé que des courts jusque-là, et je craignais de ne pas être tout à fait prête. C'est comme ça que j'ai imaginé ce scénario dans un lieu unique, avec peu de comédiens, et un tournage de trois semaines. Mon dernier court, je l'ai réalisé, il y a quatre ans, et l'envie de me retrouver sur un plateau me tenaillait. À force d'écrire des projets qui ne se matérialisaient pas, j'avais l'impression d'être devenue uniquement scénariste et non plus réalisatrice ! J'avais envie de travailler avec des comédiens et avec une équipe. M'entraîner quoi ! Ce tournage a été très particulier. C'est un huis clos familial, qui tient exclusivement sur les comédiens et les dialogues. Pour le préparer, les comédiens ont beaucoup travaillé avec moi. Grâce à la légèreté de tournage, nous avons pu nous permettre d'inventer au moment même, d'improviser, et c'était très agréable, pour moi comme pour les comédiens. Lors de mon dernier court métrage, j'ai eu l'impression d'avoir trop figé les choses, et d'avoir, par conséquent, bloqué le jeu. J'ai eu besoin d'expérimenter tout le contraire, et maintenant je me sens prête à me lancer dans quelque chose d'intermédiaire.
C. : Maintenant que tu viens de terminer De leur vivant, tu vas pouvoir te lancer dans le tournage de Un homme à la mer ?
G. D. : Je veux d’abord m’occuper de ce film. Même si De leur vivant est un low budget, écrit et réalisé comme tel, on va tout faire pour le montrer, essayer de le faire sélectionner dans des festivals, le vendre et le distribuer. Je ne veux pas le cacher dans les tiroirs. J'en suis très fière ! Aujourd'hui, il y a de plus en plus de films qui se font comme cela, mais il ne faut pas les mettre dans une catégorie de cela va moins bien marcher parce que ça a été fait avec moins de moyens.
C. : Mais ne crois-tu pas qu'en utilisant moins de moyens, avec une caméra qui n'est pas de la pellicule, cela influence la qualité du film ?
G. D. : En tant que spectatrice, quand je vais au cinéma, le principal, c'est le scénario. Alors que cela soit des films Dogma danois, que j'aime beaucoup, ou une superproduction américaine, cela n'a aucune importance pour moi. Il faut avant tout que la forme soit en adéquation, en harmonie avec le fond. C'est pour cela que je le répète, ce film De leur vivant, je l'ai imaginé low budget dès sa conception.
C. : Est-ce le peu d’argent investi dans ce film qui t'a permis de te libérer et ne pas ressentir la pression que l'on peut ressentir sur un premier long métrage ?
G. D. : C'est ce qui m'a décidé à faire un low budget. Etre sur un plateau, et ne pas ressentir la pression; se retrouver entre amis et expérimenter, comme dans un laboratoire. Après cette expérience, je vais essayer de retrouver la même spontanéité sur mon prochain tournage tout en ayant des budgets, un financement plus lourd, et une grosse équipe.
C. : Le tournage est prévu pour bientôt ?
G. D. : Si tout va bien, pour le printemps 2011.
C. : Tu as filmé De leur vivant avec un appareil photo. Pourquoi ?
G. D. : Le budget étant minimum, j'ai acheté un appareil photo qui filme, un Canon Eos 7D. Je suis très contente du résultat, de la qualité de l'image et de la profondeur de champ. La souplesse de la caméra m'a permis de faire attention à la mise en scène, et m'a poussé à m'adapter aux comédiens. J'ai fait beaucoup de plans-séquences pour essayer de couvrir totalement l'action, et d'être au diapason avec eux. Je ne vais certainement pas utiliser la même méthode pour Un homme à la mer, parce que je voudrais tourner en pellicule, mais, grâce à ce film-ci, j'ai beaucoup appris sur la mise en scène. J’ai voulu m'adapter à ce que font les comédiens, les laisser vivre, les laisser envahir l'espace. Cette expérience m'a confortée dans mon choix de mise en scène souple et rapide, préférer la caméra à l'épaule au travelling, peu importe le budget.
C. : Grâce à ce film, tu as également réuni ton équipe !
G. D. : C'est important pour moi d'être entourée d'une bonne équipe, mais surtout de personnes avec qui je m'entends. Certain sont des anciens confrères de l'IAD. On s'est retrouvé, et j'aime savoir que l'on grandit tous ensemble ! Avec tous les autres aujourd’hui, on forme réellement une famille, on est devenu de vrais amis.
C. : Il semblerait que le thème familial te tienne particulièrement à cœur.
G. D. : Il est clair qu'un de mes thèmes de prédilection est la famille, depuis mes premiers films d'école. C'est le lieu d'apprentissage de toutes les relations humaines. On grandit tous en fonction de ses parents et de ses frères et sœurs. Dernièrement, j'ai vécu un décès dans ma famille, et je voulais en parler. C'est à ce moment-là que j'ai vu le documentaire de Vania Leturcq, Deuilleuses, qui m'a bouleversé. Dans ce film, une dame qui a perdu son mari d'un cancer parle de son deuil. Ses mots m'ont vraiment touchée. Son témoignage est la base de mon film.Ce qui m'intéressait, c'est que, tout au long de l'histoire, les uns et les autres vont essayer de se rapprocher.
Mes modèles pour De leur vivant, ce sont les films de Woody Allen, comme Ana et ses sœurs ou Intérieurs. On doit entrer dans l'intimité familiale d'une manière très forte.
C. : As-tu choisi tes comédiens en fonction de leur personnalité et leur façon de jouer, étant donné que tu leur as laissé un grand champ d'action ?
G. D. : Oui, en partie. Je vais beaucoup au théâtre, et ils m'avaient tous convaincu par leur jeu sur scène. Peu avait fait du cinéma avant, et pour moi, c'était important, parce que je voulais qu'ils habitent leurs personnages tout le temps. Ils ne connaissaient pas la technique du cinéma, et ils pouvaient tenir une scène très longtemps. Ces comédiens travaillent beaucoup en impro au théâtre, et ils ne scindent pas leur travail. Je savais qu’ils étaient très exigeants, très pointilleux sur les personnages et leur psychologie. Je leur ai fait confiance et, eux aussi.
Je me sens prête à entamer un long après avoir fait cinq courts qui, eux-mêmes, deviennent de plus en plus longs, parce que j'ai envie de développer les rapports psychologiques, l'humain, l'épaisseur des personnages, j'ai envie de développer mes histoires.
Entre deux prises, subjugués par la personnalité qui se dégage de Christian Crahay, nous lui demandons de bien vouloir nous accorder ses impressions sur son rôle.
Christian Crahay : Mon personnage est celui d'un père de famille qui a trois enfants, de grands enfants, il est même grand-père. Il a deux garçons et une fille. Il possède un petit hôtel de charme à la campagne qu'il a tenu pendant 40 ans avec sa femme, qu'il aimait beaucoup. Mais elle meurt, et le film commence avec l'enterrement de cette femme. Il est très affecté et complètement perdu au lendemain de sa mort. Les enfants viennent rejoindre leur père dans l'hôtel, fermé depuis deux mois à cause de la maladie de la mère. Ils sont là pour l'aider à envisager son avenir et celui de l'hôtel, croyant qu'il n'est pas capable de se prendre en charge. Ils lui conseillent de quitter l'endroit, de tout arrêter et d'aller s'installer à Bruxelles, pas loin de chez eux. L'idée des enfants est de vendre l'hôtel, ou, en tout cas, de trouver une solution. Le père est totalement opposé à cette idée. Arrive une dame enceinte, qui débarque comme ça comme par hasard, venant de Paris, et frappe à la porte de l'hôtel croyant qu'il est ouvert. On lui dit que l'hôtel est fermé, qu'elle doit chercher ailleurs. Mais à ce moment-là, le père apparaît et lui dit que si, il y a une chambre pour elle. L'histoire du film se prolonge grâce à cette femme, qui va permettre au père de s'exprimer, et par son intermédiaire, les enfants vont aussi oser s'exprimer, s'ouvrir. Un dialogue va pouvoir s'installer entre eux. Souvent, il faut attendre une maladie grave dans une famille ou un décès pour que les membres de la famille se rapprochent et osent parler.
C. : Ce n'est pas une histoire de conflit de générations ?
Ch. C. : Non, pas du tout, c'est une très belle histoire d'amour entre quatre personnages qui cheminent les uns vers les autres. C'est une histoire de passion.
C. : Vous qui avez une belle expérience au théâtre et au cinéma, comment vivez-vous ce tournage d'un premier long métrage à très peu de moyens ?
Ch. C. : Comme le film, c'est une histoire de passion. Les gens qui font ce film sont vraiment passionnés par le cinéma et portent ce projet d'une manière incroyable, aussi parce que l'histoire est forte et belle. C'est très excitant de travailler dans des conditions pareilles. Ici, il n'est pas question de gagner beaucoup d'argent ni de confort de travail. On est tous là au service d'une histoire, d'une réalisatrice, et c'est très tangible.