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Rémi Murez, réalisateur du film "Le Constat de la crevette grise"

Publié le 22/08/2022 par Fred Arends et Harald Duplouis / Catégorie: Entrevue

Prix Cinergie au dernier festival Millenium, Le Constat de la crevette grise de Rémi Murez questionne notre rapport à la mer, au poisson, à sa pêche et à sa consommation.

Cinergie: Pouvez-vous nous raconter la genèse du film, le contexte de sa réalisation et pourquoi avoir choisi ce sujet-là ?

Rémi Murez : Il s'agit de mon film de fin d'études que j'ai fait à la HELB. Le projet initial n'avait rien à voir avec ce qu'il est devenu. Il y avait déjà le thème de l'océan et de l'écologie mais il était difficilement faisable au niveau de la production car cela se passait en Afrique du Sud et en rapport avec le grand requin blanc. Du coup, on a trouvé des enjeux plus locaux avec la crevette et la mer du Nord. C'est avec cette envie de faire un film écologique en mer et suite à plusieurs ateliers d'écriture avec Sébastien Andres (professeur à la HELB, Ndlr) qu'est né le film. Les différents repérages, les rencontres, le tournage ont bien entendu modifié le cours du film qui pour moi n'est jamais une idée figée mais qui évolue tout du long. Il y a eu des choses aux repérages que nous aurions aimé avoir et qu'on a pas eu et inversement au tournage, nous avons eu des choses que nous pensions ne pas avoir.

 

C. : Il y a le mot « constat » dans le titre du film. Était-ce votre volonté de faire un état des lieux à un moment et ce, avec un engagement écologique ?

R.M. : C'était le but de faire un film écologique mais aussi social, de replacer l'humain au centre de tout ça. Comme j'ai l'impression qu'on va au casse-pipe d'un point de vue écologique, je voulais savoir ce qu'en pensaient les humains, ce qu'ils allaient pouvoir faire face à ces enjeux. Et au lieu de parler d'enjeux écologiques globaux, j'ai voulu parler de ces bombes car elles sont un bel exemple de ce qui se passe. On sait que ça va se casser la gueule mais on continue. Et le fait que ces bombes soient cachées, que personne ne les voit, cela fonctionnait bien. Et c'est au fur et à mesure des rencontres, des entretiens, que je me suis rendu compte qu'il n'y avait pas énormément de solutions car chacun est pris dans sa vie, dans son existence, son travail et ses propres problèmes. Et c'est en ça que c'est devenu un constat, mais c'est vraiment devenu ça au montage.

 

C: Vous construisez le film par étapes avec les différentes personnes que vous avez rencontrées, vous partez de la pêche et vous remontez la chaîne jusqu'à la vente en magasin. Cette structure existait-elle déjà en amont ?

R.M. : Oui et non. Il était clair que nous allions passer par la crevette et ses différentes étapes mais pendant le tournage et les repérages, nous avons rencontré beaucoup plus de monde que ce qu'on ne voit à l'écran; le but était alors d'avoir quelque chose de beaucoup plus éclaté. Il y avait un guide nature, des pêcheurs de crevettes à cheval, une jeune kitesurfeuse, de simples gens sur la plage. Je voulais quelque chose de plus déconstruit, pour qu'on puisse s'identifier au maximum de monde. Mais on s'est rendu compte que pour un court-métrage de vingt minutes, on arrivait à un ping-pong peu constructif. Et pour le message que je voulais véhiculer, c'était mieux d'aller droit au but.

 

C. : Les entretiens dont les différentes voix-off découlent ont-ils été menés après ou avant d'avoir filmé les personnages ?

R.M. : Pour les interviews, je voulais pas qu'on les voie en train de parler face-caméra car cela faisait vraiment plat dans le film. Etant donné que j'ai fait des études d'image, avec mon chef-op, on a vraiment voulu bosser cette image, raconter énormément par l'image; passer par des interviews, ça aurait fait flop. Tandis que prendre leur voix et la coller à eux en train de faire quelque chose, cela amène une idée nouvelle et cela raconte plus qu'un simple face-caméra. Je ne faisais pas les entretiens avant car je voulais qu'on aie fait les repérages, la journée de tournage pour qu'on se fasse confiance et qu'ensuite on fasse une interview. C'était d'ailleurs parfois assez long et dur car après une journée de tournage, on pouvait avoir de longues discussions jusque tard. De plus, je souhaitais qu'ils parlent dans leur langue maternelle. Je baragouinais un tout petit peu en néerlandais ou en anglais mais pour Wali, le Syrien, nous avons dû faire venir un interprète. Après, il y a eu le gros travail de transcription et de traduction et de travail sur le texte.

 

C.: Comment s'est déroulé le tournage, notamment celui en mer, de nuit, avec ces images de mouettes un peu ténébreuses, fantomatiques ?

R.M.: L'équipe et moi avons vraiment adoré. C'était une vraie chance de pouvoir filmer ce moment-là. Et le côté fantomatique dont vous parlez, c'était de faire vivre la menace des bombes sans pouvoir les voir. Au départ, on voulait les filmer, mais il n'y a rien à voir, c'est de la vase. Donc on a tenté, grâce à l'image et au son, de faire ressentir ce monstre de fer sous l'eau. Nous sommes donc partis de 16 à 18h en mer et ce qui est pratique, c'est que tous les 1h30-2h, les pêcheurs répètent la même action, leur vie est bouclée sur la remontée du filet. Donc, on a pu vraiment sélectionner parmi les nombreux angles filmés.

 

C : Il y a une certaine mélancolie voire une forme de résignation qui ressort des personnages. Avez-vous vu aussi cette résignation ?

R.M.: Oui c'est vraiment en ça que c'est un constat. La situation est choquante, il faudrait faire quelque chose mais que faire et comment faire ? Et des bombes, il y en a partout, de la Mer du Nord jusqu'au sud de la France et en Norvège, on parle de millions de tonnes.

 

C.: Pouvez-vous évoquer le premier plan du film...

R.M. : Oui, le jeune couple que l'on voit au tout début du film ne rentre pas dans le côté systématique du film qui est assez carré, en termes de grammaire. Le jeune couple qui ne nous parle pas et qui est filmé d'un seul plan permettait une petite folie onirique avant le début du film, le titre du film, la musique qui commence. C'est très simple, très épuré et puis on entre dans un monde très lourd, chargé, rempli de béton, de métal, d'animaux qui hurlent. En fait, cette image est le constat que l'on aurait aimé poser.

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