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Entrevue avec Claude Diouri

Publié le 01/01/2006 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Portrait de Claude Diouri , Directeur de salle de cinéma , l'Actor's et le Styx

 

Ses moustaches sont célèbres dans tout Bruxelles, sa passion du cinéma de création tout autant. Ce que l’on connaît moins bien est son parcours des salles de son Maroc natal à celles du Styx et de l’Actor’s Studio. Son passage à l’IDHEC et son désir de réaliser des films de photographier la vie avec une curiosité inlassable et de la raconter la capter avec des mots puisqu’il va bientôt publier un texte dans le premier semestre de cette année. A curieux, curieux et demi, Cinergie a voulu en savoir plus.
Première expérience du cinéma au Maroc où il est né : « la première fois qu’on entre au cinéma en resquillant, on arrive au milieu du film. On ne voit pas l’écran blanc. On voit un western avec des chevaux qui entrent et sortent de l’écran, c’est impressionnant. On était toute une bande à être mordu. C’est créatif, récréatif et communicatif.»  Mais que faire pour perpétuer sa passion ? Inutile d’en parler en famille. Faire du cinéma, cela ne se fait tout simplement pas. Il faut étudier quelque chose de sérieux comme la médecine, par exemple. A force d’insister, Claude obtient gain de cause et étudie le droit et le cinéma à Paris, à la fin des années cinquante, une époque où le cinéma explore de nouvelles formes. Après sa dernière année de droit, il vient s’installer à Bruxelles.

 

Il commence par y monter une pièce de théâtre aux Beaux-Arts. En 1968, après avoir fait des photos de manifestations, de l’occupation à l’ULB, il fonde un journal de cinéma qu’il édite pendant un an : Trépied. Un an plus tard, il ouvre un endroit qui va devenir mythique et symbolique pour les cinéphiles : la salle du Styx, rue du Prince Royal« Autour de moi, il y avait, des Roland Lethem, Patrick Hella, Jean Delire, André Cavens, Luc de Heusch et pas mal d’autres qui s’endettaient pour faire des films que personne ne voyait. J’ai commencé par diffuser des films d’Andy Warhol, de Markopoulos, ce qui m’a valu l’amitié de Jacques Ledoux qui a cautionné mon travail. Il m’a dit : « Toi tu vas faire un jour du cinéma tel que nous l’aimons tous les deux ». Lorsqu’on lui parle des fauteuils en bois basculant des années 50, il s’esclaffe : « encore aujourd’hui les gens pensent qu’on avait des chaises. Non ! C’est vrai qu’on a démarré pauvrement mais pas à ce point-là. On avait une décoration folklorique parce qu’on faisait des séances de minuit consacrées notamment à notre cinéma qui restait dans les boîtes en fer. On ne connaissait que L’Homme au crâne rasé d’André Delvaux. Parallèlement  à Delvaux, il existait des films comme La Fée sanguinaire de Roland Lethem. Il y avait toute une génération qui évoluait dans l’ombre. Jean Delire a même essayé d’ouvrir une salle au Sablon. » Dur ! Et aujourd’hui encore. Claude signale que Le Nova fait le même travail que lui au Styx dans les années septante. » (rires).

 

On en vient à l’Actor’s Studio, lieu convivial, lieu de vie où toutes générations confondues peuvent discuter, choisir leur film et en rediscuter à l’infini. Un cinéma vivant qui possède une âme, une spécificité. Avec en plus, un avenir, lorsqu’on sait qu´à Paris, MK2 développe partout ce concept pour lutter contre le cinéma pop-corn. « Je ne suis pas une industrie, commente Claude Diouri, j’essaye d’apporter un peu de culture, tout ce qu’on peut communiquer aux générations à venir. Il faut leur laisser un héritage, c´est un point crucial. D’autant que pour eux, une grande partie de la connaissance se fait avec des images. On ne leur lègue pratiquement rien d’autre. » La durée est chose importante pour Claude. Le cinéma, pour lui, ne consiste pas à ne faire que du commerce, à diffuser des films à rotation rapide, censés rapporter un retour sur investissement ultrarapide. « Un film s’apprivoise comme une maison. L’Actor’s studio défend un film belge ou d’auteur jusqu'à ce qu’il épuise son potentiel de spectateur. Quand on enlève un film de l’affiche, on est quasi certains que seule une centaine de personne, à Bruxelles n’a pas vu le film. Je fais une programmation diversifiée qui convient à notre public, avec matinée scolaire, séances pour les jeunes, les seniors, avec collation à l’appui. On ne peut pas sortir onze films différents toutes les semaines. C’est impossible ! Personne n’a le temps – aussi riche fut-il – de voir une dizaine de films chaque semaine. On travaille. Même les blockbusters, qui font un one shot sont amortis après deux semaines. Ils récupèrent les copies. Ils les coupent à la hache. Pour moi, le cinéma ce n’est pas ça ! Les films ont une durée de vie plus grande, ils entrent dans l’histoire du cinéma. » Point d’achoppement avec votre serviteur, Claude Diouri ne croit pas à la pérennisation du numérique. Pour lui, l’offre en HD numérique est insuffisante pour alimenter le parc des salles de cinéma. Par contre, nous le suivons entièrement lorsqu’il nous dit que la pellicule (les dernières émulsions proposées par Kodak notamment la Vision 2 250d5205/7205) a fait des progrès considérables. Claude Diouri constate qu’il n’existe de la HD numérique que dans le registre des blockbusters, que les américains gèrent depuis les Etats-Unis.  « Cela me préoccupe, puisque je suis membre d’Europa salles. J’ai installé une salle de projection pour le numérique en 1,350K depuis un an, ce qui n’est pas encore de la Haute Définition qui demande au minimum 2K. La salle est utilisée par les producteurs pour visionner les rushes ou l’étalonnage de leur travail. Soyons sérieux, notre alternative consiste, en ce moment, à pouvoir projeter des DVD ! Ils pourront faire ce qu’ils veulent,  ils ne pourront pas entièrement néantiser l’analogique. C’est impossible.»

 

Claude Diouri a réalisé quelques courts métrages et est devenu coproducteur à la fin du siècle dernier : un rôle qu’il a refusé de continuer d’assumer. « Ou bien on est producteur ou bien réalisateur. Pas les deux à la fois. » Claude Diouri ne transige pas avec le souci de création. Il peint, il est photographe, et vient d’écrire un livre qui sera publié pendant le premier semestre de l’année 2006. Le bouquin aura quatre cents pages et racontera l’histoire d’un gosse de six ans et de son apprentissage de la vie. « Une histoire universelle ». La DV-cam a un problème de batterie comme pour donner raison aux propos de Claude Diouri sur le numérique. « Intarissable » le provoque Dimitra pendant la pause cigarillo, la réplique fuse : « Mais non. Il me chatouille donc je dois rire. »

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