Cinergie.be

Le réseau Diagonale

Publié le 05/12/2006 par Katia Bayer / Catégorie: Dossier

Le réseau Diagonale. 

En vue d’amplifier la visibilité des films d’auteurs et de résister à la désaffection du public, un projet s’est conçu il y a un an : miser sur la solidarité entre les salles "art et essai". Neuf lieux sont concernés par ce réseau nommé Diagonale. A Bruxelles, il s’agit de l’Actor's Studio, de l’Arenberg, de Flagey, du Nova et du Vendôme. En Wallonie, du Parc (Charleroi), du Churchill (Liège), du Plaza Art (Mons) et du Forum (Namur). En dépit de leurs différences géographiques, sociales et économiques, ils souhaitent mener conjointement des actions efficaces pour faire primer un cinéma de qualité. Coup d’envoi de cette expérience inédite en Belgique autour du 13 décembre prochain avec la sortie nationale du dernier film d’Aki Kaurismäki, Les Lumières du Faubourg.

De plus en plus, les habitudes de consommation du public changent pour diverses raisons : uniformisation des goûts, concurrence des sources d’images alternatives, succès du DVD et du Pay-Per-View, abondance et régularité des propositions culturelles. Par ailleurs, les exploitants continuent à ressentir la concurrence des multiplexes qui défendent prétendument la diversité en faisant co-exister cinéma indépendant et commercial mais qui leur réserve un traitement inégal. D’un côté, les films grand public au succès quasiment garanti sont pourvus de séances et d’écrans supplémentaires afin d’engranger le maximum de recettes. De l’autre, les œuvres plus fragiles et moins formatées aux audiences plus restreintes sont éjectées rapidement de l’affiche. Ennuyeux quand on sait qu’elles souffrent déjà du manque d’écrans et de spectateurs dans les salles spécialisées dans l’art et essai.les gérants de salles sont animés par le même désir de valoriser, de défendre et de promouvoir les œuvres de qualité, européennes comme belges ?  Qu’à cela ne tienne : qu’ils se constituent en réseau ! Depuis un an effectivement, le concept, initié en fait par Henry Ingberg sous la précédente législature, est envisagé par les professionnels qui ont commencé à partager expériences, contacts et réflexions autour du cinéma d’auteur. Le président de Diagonale a été nommé (André Ceuterick, responsable du Festival du Film d’Amour de Mons et du Plaza Art), une boîte de com’ (Egérie Research) s’occupe déjà de la promotion et un budget (100.000 euros) a été accordé par la Communauté française.
S'il est trop tôt pour connaître l’offre de l’association, on sait déjà que des actions collectives devraient permettre de mettre en valeur l’art et essai. Première expérience dans toutes les salles du réseau : la sortie simultanée et en exclusivité du nouveau Kaurismäki, Les Lumières du Faubourg (présenté en Compétition Officielle au dernier Festival de Cannes) autour du 13 décembre. Des copies du film seront mises à la disposition des cinémas associés à l’initiative et se verront accompagnées d’animations spécifiques dans chaque ville : rencontres, concerts, expos, projections, dégustations. Le succès de l’opération Kaurismäki sera évalué en fin d’année. Certes, le film, pointu, aura besoin de promotion et de temps pour que le public en prenne connaissance et décide d’aller le voir. Mais le principe de sortie et donc de communication synchrone plutôt que décalée devrait permettre au titre (et au réseau par la même occasion) de gagner en visibilité dans les médias.

Si la dynamique et le programme à venir de Diagonale doivent être encore imaginés, les distributeurs pourraient très rapidement être sensibilisés au poids que représente le réseau (en 2005, le marché cinématographique indépendant enregistrait plus de 800.000 spectateurs). Avec des potentielles conséquences positives : les salles recevraient en exclusivité les copies des films (qui n’iraient pas aux grands complexes) et les programmations pourraient bénéficier de plus de temps d’exposition et d’écrans. L’art et essai devrait ainsi gagner en visibilité et en reconnaissance. Et récupérer le public au passage ? En tout cas, l’idée intéresse déjà les flamands et pourrait être envisagée au niveau européen. Le combat collectif va peut-être prendre le pas sur l’individuel…

Les animations prévues autour du film Les Lumières du Faubourg :

 - Rétrospective de trois anciens films de Kaurismäki : La Fille aux allumettesAu loin s’en vont les nuages et L’Homme sans passé. Le 13 décembre à Flagey.

Au loin s’en vont les nuages et L’Homme sans passé. Le 15 et le 16 décembre au Forum (Namur).

- Projection de courts métrages de Kaurismäki : Rocky VI (1986), Through the Wire (1987), Those were the days  (1991) et These Boots (1992) suivie d’un concert. Le 15 décembre au Churchill (Liège).- L’Homme sans passé. Le 21 et 27 décembre et 1er janvier au Parc (Charleroi).

- Vernissage, projection des courts [Rocky VI (1986), Through the Wire (1987), Those were the days  (1991) et These Boots (1992)] et d’un documentaire : Cinéma de notre temps : Aki Kaurismäki (Guy Girard, France/Finlande – vidéo – 53’). Et présentation de For the Living and the Death, long métrage réalisé par Kari Paljakka (Finlande – 2005 – 35 mm – 99’) et produit par Sputnik Oy, la sociéte de production de Kaurismäki. Le 14 décembre au Nova.

- Animation musicale et dégustation de produits finlandais. Le 15 décembre au Plaza Art (Mons)

- Avant-première du film, en présence de l’actrice principale, Maria Järvenhelmi (le 6 décembre) et conférence de Peter von Bagh, journaliste écrivain et biographe de Kaurismäki (le 13). Le tout au Vendôme.

Pour plus d’infos : http://www.cinemasdiagonale.be/

 

André Ceuterick, Président de Diagonale. Entretien.
Cinergie : Vous pourriez nous parler de l’expérience de l’AFCAE (l’Association Française des Cinémas d'Art et d'Essai) qui a influencé le projet Diagonale...

André Ceuterick, Président de DiagonaleAndré Ceuterick : La France est le dernier pays en Europe à avoir véritablement un réseau de salles qui défend le cinéma d’auteur, le cinéma art et essai. Mais elle a aussi une industrie culturelle par rapport au cinéma. Patrick Brouiller gère l’AFCAE et fait un travail magnifique sur un réseau énorme. Je crois que celui-ci couvre 400 ou 500 salles et qu'il est soutenu par des gens comme Tavernier ou Téchiné. Nous [avec Diagonale], on essaye de monter quelque chose avec neuf salles. J’aimerais que Tavernier vienne un jour dire : «c’est bien ce que vous faites en Belgique francophone. Ça nous intéresse parce que c’est un foyer de résistance pour le cinéma d’auteur. Parce que moi, Bertrand Tavernier, je me bats depuis 30 ans là-dessus en France!»

C : Est-ce que chacun conservera son identité dans le projet?
A.C. : 
Ce n’est évidemment pas seulement une stratégie médiatique; avoir la caution de ces réalisateurs signifie aussi que votre travail est reconnu. Ça n’a pas été facile de se mettre tous d’accord mais on y est arrivé. On gardera chacun notre liberté, notre autonomie et notre identité. Mais de plus en plus, au niveau du réseau, on va mettre en place des synergies, des structures de solidarisation d’événement. Par exemple, à Liège, ils ont énormément de contacts avec des groupes qui jouent de la musique de film. On va essayer de faire tourner ça partout. (…) J’ai mis un an à solidariser les acteurs. J’ai dit : « ne nous disputons pas. Puisque vous avez cette démarche culturelle, ne réagissons pas comme ceux qui n’ont qu’une démarche économique. » Chacun doit vivre, c’est très clair, mais nous, on a un projet de société par rapport au cinéma. Donc, défendons-le ensemble.

C : Comment allez vous procéder avec le film de Kaurismäki ?
A. C. : Pour Bruxelles, le film va sortir dans deux salles art et essai : le Vendôme et l’Arenberg. Ça, c’est très important : c’est la première fois qu'il y a vraiment une exclusivité par rapport à une sortie en Wallonie et à Bruxelles. Le problème des distributeurs art et essai, c'est qu’ils ont 2-3 copies maximum sur le territoire qu’ils font tourner. Parfois, je reçois un film qui est en exclusivité à Bruxelles et à Liège, et qui vient 6 semaines après à Mons et à Charleroi, pour aller ensuite à Namur. Maintenant qu’on a mis ce réseau en place, le film va débarquer dans toutes les villes en même temps.

C : Qu'envisagez-vous à ce stade pour attirer le jeune public ?
A. C. : Il y a deux éléments. Le premier, c’est l’opération « Ecran Large sur tableau noir » gérée par les Grignoux. C’est un programme magnifique que la plupart de nos salles accueille. Thierry Abel gère ça pour Bruxelles, Jean-Marie Herman [fait de même] pour l’ensemble de la Wallonie. Moi, je fais 15.000 ou 16.000 spectateurs par an uniquement sur ce programme. D'autre part, certaines salles ont des initiatives qu’on est en train d’essayer de partager. Par exemple, les « Samedis de l’Arenberg », c'est une initiative géniale! Je dis ceci : « vous avez une idée, partagez-la avec les autres et on sera plus fort ensemble. »

C : Combien de temps prévoyez-vous avant d'évaluer les effets de la collaboration ?
A. C. : J’espère qu’à la fin de mon mandat, dans trois ans, j’aurai vu si ça prend ou pas. Je pense que ça commence à avoir des effets mais il y a encore beaucoup à faire.

C : L’idée, ce sera d’examiner les chiffres au niveau national et pas spécialement salle par salle.
A. C. : Oui, c’est ça. Ce sera de voir ce que les 833.000 spectateurs de 2005 vont devenir en 2008. L’idée, c’est d’atteindre le million.

Tout à propos de: