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Entrevue avec Dan Wiroth

Publié le 01/12/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Un automne roussi, pourri, irrégulier, avec lumière bas de plafond ou oblique. Les feuilles mortes tourbillonnent autour des mocassins à glands, des santiags aux talons biseautés, des sandales de cuir marron, des escarpins noirs, des westwoods, des Docs Martens délacés, des boots anthracite et pointues, des charentaises trouées... Pffff ! Un décor animé pour des photos agitées raccord avec les films de Dan Wiroth, un mec qui aime le mouvement. Au point de sauter du haut des escaliers de l'avenue des Arts sur le trottoir, en contre-bas, où votre serviteur enregistre, clic-clac, l'image floue, forcément floue, avec son Rolleiflex 6X6. Putain ! On dirait Batman dans un plan de Tim Burton, réalisateur fétiche de Wiroth.

Entrevue avec Dan Wiroth

Né en 1969 à Luxembourg-ville, Dan a résidé longtemps à Bruxelles avant de repartir à Luxembourg. A l'âge de sept ans, il découvre la silhouette de Charlie Chaplin grâce à un père sculpteur fasciné qui adorait l'emmener à la Cinémathèque du Luxembourg (dirigée par le regretté Fred Junck) voir les bandes du célèbre moustachu au chapeau boule et à la canne en osier. Et Walt Disney ? Dan le découvre, au même âge, à travers les magazines illustrés dans lesquels paraissent les séries dessinées de Mickey et Minnie, Donald et Oncle Picsou, Pluto, etc.

Daniel préfère, et de loin, se trouver devant la caméra que derrière. Vers l'âge de douze-treize ans, il veut devenir acteur, monter sur scène, faire de la pantomine et de la prestigitation. Mais tout bascule lorsque sa première communion le remet dans le droit chemin. En effet, il se voit offrir "un petit Rollei 35, minuscule, le plus petit appareil à l'époque, avant même que le Minox 35 ne fasse son apparition ; du coup, je photographiais tout ce qui était autour de moi, je faisais des instantanés de notre chien, de mon père, de ma grand-mère qui était pianiste et guitariste." Le virus de la pellicule a frappé : l'acteur se transforme en spectateur. Dan a la chance d'avoir un père ayant fait des études de peinture-sculpture à La Cambre. Sitôt achevées ses études secondaires, il suit le même chemin mais dans la section cinéma d'animation. Nous sommes en 1990, il a dix-huit ans. "Je savais que je voulais faire du cinéma expérimental. J'étais très intéressé par la technique cinématographique, par tout ce qui entoure la prise de vues, mais nettement moins par le dessin, à l'inverse de Benoît Feroumont qui était mon condisciple à l'ENSAV et avec qui j'ai été, dès le début, en compétition. C'était bien. On s'aidait beaucoup, on se poussait l'un l'autre, en s'obligeant à faire mieux. Lui dans le dessin et moi dans la 3D."

La Révolte est le premier film d'école qui soit sorti en 16mm, suivi de Berlin 2017 (qui a pour sujet la chute du mur de Berlin avec une ombre qui casse le mur, passe dans le trou et se retrouve dans un labyrinthe) et Ombres méfiez-vous. En 1995, c'est la réalisation de Crucy-Fiction présenté au Festival international du film de Bruxelles, un film qui a fait flasher Cinergie (qui lui consacre la couverture du magazine n° 97 ainsi qu'un long article dû à la plume de notre collaborateur Philippe Deprez) ; mais pas seulement, puisqu'il obtient une dizaine de prix et ouvre pas mal de portes à son auteur (notamment le Prix André Bosman qui lui a permis de gonfler le film en 35mm). Dan rencontre Arnaud Demuynck qui s'associe à Samsa Films pour produire Fragile, qui sort en 1997. " Un défi au niveau de l'animation. J'ai cherché un peu l'extrême des possibilités possibles. C'était un défi technique. Je voulais explorer les limites de l'animation. Jusqu'où peut-on aller, jusqu'où peut-on s'approcher des images de synthèse avec l'animation traditionnelle. On me dit toujours que je voulais animer l'impossible et pour moi le verre représentait l'impossible. Mon seul regret a été - bien qu'il ait obtenu une dizaine de prix - que le film n'ait pas été bien diffusé. Maintenant je me lance moins dans des trucs aussi complexes. Le verre, c'était vraiment très difficile. Les contraintes techniques étaient fortes : il fallait laisser refroidir le verre après chaque image (on le chauffait, on le pliait) et c'était très lent, d'autant que je ne pouvais pas le faire moi-même. J'étais très dépendant des souffleurs qui étaient sur le tournage. J'avais envie de prendre le verre moi-même et de le tirer dans tous les sens (rires) mais ce n'était pas possible, hélas ! Ensuite, j'ai fait un documentaire sur l'oeuvre de mon père, René Wiroth, en Béta-digital, Portrait d'artiste (16') grâce au Ministère de la Culture qui a permis de réaliser le film sur six artistes luxembourgeois. C'était un documentaire dans lequel il y avait de l'animation (notamment le violon de mon père). C'était une une très bonne expérience qui nous a rapprochés mon père et moi. J'ai mis du temps à le réaliser, c'était mon premier doc., ce qui implique une autre approche.
Je travaille beaucoup, pour survivre, avec des sociétés de production, en régie et en production sur des longs métrages. Depuis un an et demi, je collabore étroitement avec Peter Greenaway. J'organise les tournages d'une trilogie de longs métrages qu'il va réaliser à partir du 28 janvier 2002 et qui s'appelle The Tulse Luper Suitcase. Cela m'apporte beaucoup parce que ç'a toujours été ma volonté de mélanger l'animation à la prise de vue directe à la Tim Burton". Le réalisateur de Mars Attacks reste un modèle pour Dan qui aimerait passer au cinéma "live" sans abandonner l'animation. Il a un projet au stade terminal de l'écriture sur le sujet duquel il reste discret.

Era Mela Mela
, projeté au Festival de Namur et dont nous vous parlerons dans le numéro suivant du webzine, est "un mélange de "live" et d'animation. Il y a beaucoup de ralentis et d'accélérés réalisés avec une caméra Mitchell. Tout mon souci actuel est de mélanger l'animation au "live". C'est pourquoi je ne regretterai jamais d'avoir choisi La Cambre qui me donne sur le cinéma un regard différent. Mon nouveau projet est basé sur la vitesse caméra ; non seulement les vitesses de l'animation mais aussi les vitesses cinématographiques, les vitesses visuelles. J'aimerais accélérer ou ralentir imperceptiblement les plans d'un vieil homme (à 28 et 20 images secondes). C'est vraiment ce que je désire faire. Lors d'une prise de vue, lorsque je saisis le portrait de quelqu'un que j'avance dix centimètres en avant, en cut, c'est pour donner une attention particulière à cet acteur à ce moment-là. Les effets caméra m'intéressent énormément. La caméra parle. C'est un langage cinématographique que je veux expérimenter. De même que la lumière. Plutôt que d'être fidèle à une réalité commune, j'ai tendance à vouloir la changer, à être plus proche du surréalisme."

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