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Entrevue avec Nacho Carranza

Publié le 01/01/2004 par Matthieu Reynaert / Catégorie: Entrevue

Le mois dernier, Cinergie consacrait un dossier au tournage du nouveau court-métrage de Nacho Carranza (Retour en Patagonie), Marelle, ainsi qu'un "gros plan" à son directeur photo Patrice Michaux. Ce mois-ci, nous avons voulu en savoir plus sur le parcours de cet exilé argentin et sur son rapport au cinéma.

Nacho Carranza

 

Nacho Carranza n'a pas grandi comme un cinéphile en herbe. Enfant, comme la plupart des argentins, il est bercé par les westerns et les films policiers américains, loin de son cinéma national (très sage) ou d'expérience plus singulières. Ceci dit, il remarque que l'Argentine est un gros consommateur de films et que certaines gloires européennes comme Bergman y ont été reconnus bien avant de l'être chez nous, et ce grâce à un circuit art et essai moins marginalisé qu'ici. Vers 18 ans, par la filière des ciné-clubs, Carranza découvre en compagnie de ses amis des films plus pointus, prend le goût de s'éloigner des conventions, notamment avec Bergman, Antonioni ou Godard (prononcez "godarde" à l'argentine!), des films qu'il savoure comme des objets rares et fascinants de liberté. "Mais j'étais encore occupé par mes études de droit et j'étais loin de penser que mon intérêt pour le cinéma irait si loin. Mes études finies, j'ai réalisé que ce n'était pas ça que je voulais faire". Il plaide quand même pendant deux ans puis, après un passage aux Etats-Unis, il intègre l'INSAS, en Belgique bien sûr, un pays qu'il ne quittera plus. En attendant sa naturalisation, Nacho Carranza n'a pas le droit de travailler en Belgique, ni donc celui de faire des films, mais il continue toujours d'écrire des scénarios et donne cours à l'INSAS ("La pédagogie occupe une grande partie de mon temps", déclare-t-il). S'étant frotté aux courts-métrages avant et pendant ses études de cinéma, il tourne "Le rêve de l'autre" en 1994.Puis un moyen-métrage documentaire qui compte particulièrement pour lui, Retour en Patagonie. "Le point de vue, un peu romanesque, était celui de quelqu'un qui revient sur la terre de son enfance, en l'occurrence moi-même! Aller tourner un film en Patagonie était une expérience magnifique et j'étais très content du film." De retour dans la fiction Nacho Carranza va travailler cinq ans sur un projet de long-métrage. Finalement, Un été sur la lune ne se fera pas. "C'était assez dur à encaisser, mais c'est la vie! Je ne suis pas d'un tempérament dépressif, donc pas de soucis! Je me suis mis à écrire autre chose." Autre chose aboutira cette année à la Marelle que vous connaissez déjà.

 

Le feu sacré pour Nacho? "On peut mettre ça en rapport avec une époque où j'étais militant (comme on le sait l'époque était très dure en Argentine). Je voulais une révolution, que les choses changent, que le monde soit plus juste. Finalement je me suis demandé si la révolution était vraiment viable, et ce qu'on pouvait considérer comme de réelles révolutions dans l'histoire de l'humanité plutôt que comme le cours normal de l'histoire. Il restait une façon de réagir, de regarder le monde avec un regard qui transforme. Avec le cinéma, on peut donner à voir d'une façon enrichissante. Et je crois qu'aucun être humain ne peut vivre sans ce qu'on pourrait appeler "un regard poétique". Je m'insurge quand on cantonne les artistes à une élite, qu'on en fait des gens à part. Moi, je suis persuadé que tout le monde rêve et que tout le monde aime raconter ses rêves et ses propres histoires. S'ils ne peuvent raconter, ils s'identifieront à quelqu'un qui raconte. Cela n'a rien à voir avec la classe sociale, la preuve est que le cinéma est ce qu'il est, on y passe notre temps à répondre aux grandes questions qui ne concernent pas seulement les philosophes ou les petits enfants: d'où on vient, où on va,... Et c'est tout naturel, il suffit de regarder le journal pour se poser ce genre de questions!" Il s'agit donc bien de raconter, et de se raconter, ce qui n'est jamais inutile d'après lui. Une affaire sérieuse, mais universelle. Alors à quels raconteurs a-t-il pût, lui, s'identifier? Dans ses préférences personnelles, Nacho Carranza révèle un goût pour le cinéma d'auteur et pour un cinéma où le pouvoir de l'image et de l'ambiance prend le pas sur la narration pure. "On entend toujours dire: le cinéma c'est une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire. Mes poils s'hérissent quand j'entends ces banalités. Une histoire et un film sont deux choses différentes, ce qui compte c'est la manière de raconter. C'est presque comme si il n'y avait que cinq histoires à raconter dans le monde: l'amour, la guerre, la naissance, le destin, la mort." Alors qu'il estime qui ce fait un bon film c'est une bonne réalisation, originale. Et ses films préférés sont ceux qu'il ne peut pas pitcher: comment raconter "Personna", "Profession reporter", "Cris et chuchotements" ou "Lost Highway"? "Aujourd'hui il faut explorer de nouvelles voix et ce ne sont ni les effets spéciaux, ni cette tendance démissionnaire de la bonne histoire à tout prix qui aboutit à des scénarios ultra conventionnels. Mais je ne me fixe aucune limite, un cinéaste très littéraire comme Truffaut me séduit aussi. C'est magnifique même s'il n'a pas été un génie de la forme." Tout de même, peu de jeunes réalisateurs contemporains l'enthousiasment vraiment, il fonctionne plutôt au coup de coeur ("Une liaison pornographique", "peut-être le meilleur film belge avec "Toto le héros", entre autres et surtout des premiers et seconds films comme "Lantana"). Quant à la situation du cinéma en Argentine, elle s'est améliorée. Aujourd'hui, nous raconte-t-il, une génération de jeunes cinéastes fauchés attire le public vers les films nationaux qui ont pris le parti de trancher avec les "sous-films américains" de l'époque de sa jeunesse, on peut parler d'une vraie industrie dans ce pays puisque l'Argentine produit quelques 80 longs métrages par an ("même s'ils ne sont pas tous très bon!"). "Je vais parfois voir les films argentins qui arrivent jusqu'ici alors que je n'allais jamais en voir là-bas!".

 

Le jour de notre entretien, Nacho Carranza venait d'achever l'étalonnage de Marelle et partait en quête de fonds pour le kinescopage (le film a été tourné en vidéo HD). Mais il pense déjà à l'avenir avec deux projets de longs métrages sur les rails! Tout naturellement, l'envie lui est venue de reprendre "Un été sur la lune" et il semble que le soleil sera au rendez-vous cette fois-ci, "tout n'a pas été perdu dans ce projet avorté, on peut développer les énergies et les rencontres." Puis, il y a "Charnel", un film à deux personnages, un homme et une femme, dont l'histoire se déroule sur la route et pour un tiers dans un hôtel. "Après le " low budget" de Marelle (30 000 euros) je me suis prémuni: je sais que je peux faire ce film avec deux francs cinquante si ça devait se compliquer!"

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