Frédéric Sojcher, professeur de cinéma, écrivain et réalisateur, a remporté une quinzaine de récompenses pour ses films et a écrit une trentaine de livres sur les cinéastes, le scénario, la direction d’acteur, le cinéma belge et le cinéma européen. Ses publications ont toutes comme but de partager un savoir accessible à tous, en démontrant que les films transforment notre rapport au monde. Il revient sur son dernier film Le Cours de la vie, sur l’apprentissage de l’écriture scénaristique et l’amour du cinéma, les relations intergénérationnelles et les questions de transmission.
Frédéric Sojcher, Le Cours de la vie
Cinergie : Ce film est un cours sur l'écriture du scénario. Comment l’avez-vous écrit ? Et pourquoi avoir fait un film sur l’importance du scénario ?
Frédéric Sojcher : Je suis un amoureux du cinéma, et comme tous les cinéastes ou tous ceux qui veulent faire des films, j'ai toujours aimé transmettre cette passion.
La genèse du film est assez touchante. Mon professeur de scénario, Jean-Paul Török, est l'un des premiers à avoir écrit un livre sur le scénario. Il avait été le scénariste de Claude Sautet, pour le film Un mauvais fils et il est mort il y a quelques années. A son enterrement, je retrouve Alain Layrac, un camarade de classe de l’époque qui vient d'écrire un manuscrit sur la façon d’écrire un scénario. Intrigué, je le lis et j'ai un coup de cœur pour ce qu'il a écrit. Puisque je dirige une collection de livres sur le cinéma, je le propose à l'éditeur, ce qu'il accepte.
Mais j’avais envie d’aller plus loin, d’en faire un film. Alors, on le retravaille, on y rajoute d'autres éléments, une histoire d'amour, des personnages, des interactions entre la vie et le cinéma. J’avais envie qu’une femme incarne le professeur de scénario et j’ai pensé à Agnès Jaoui qui est non seulement, très bonne comédienne, mais également réalisatrice et scénariste.
Elle accepte et on réadapte le scénario à trois. On modifie tel ou tel dialogue qui ne lui convenait pas ou qui ne renvoyait pas à ce qu'elle pense de l'écriture scénaristique.
Noémie (Agnès Jaoui) est invitée par Vincent (Jonathan Zaccaï) devenu directeur d’une école de cinéma pour donner une masterclass sur comment écrire un scénario.
On comprend très vite que tout ce qu'elle dit dans son cours dépasse le contexte scolaire. Qu’elle fait allusion à une relation qu'elle a eue avec Vincent par le passé. Il y a du sous-texte et le but est de s'intéresser à leur histoire autant qu'au cours de scénario. Pour cela, il fallait créer en permanence des passerelles entre la vie et le cinéma. L'un alimente l'autre et réciproquement pour donner au film sa dimension tout public. Je ne voulais pas m’adresser qu’aux professionnels ou aspirants scénaristes. Je veux qu'un film soit conçu sans avoir besoin de code d'accès, des références cinéphiles par exemple.
Noémie raconte des choses très intimes comme la mort de son frère et comment cette mort a eu un impact sur toute sa vie. Pourquoi parler de la mort de son frère dans un cours de scénario ? Justement, tout ce que nous vivons, ce que nous ressentons, le cours de la vie que nous traversons tous, alimente forcément les histoires et la façon dont on peut les raconter. L'idée, c'est vraiment de savoir comment parler de l'intime pour atteindre l'universel. On a tous malheureusement dans nos vies connu des personnes qui disparaissent, et plus on avance en âge, plus c'est le cas, que ce soient des parents, des amis, un compagnon ou une compagne. Forcément, même s'ils racontent quelque chose de personnel, ça peut aussi toucher les autres. C’est pareil pour les histoires d'amour. On est quand même très nombreux à avoir eu une grande histoire d'amour quand on était adolescents ou jeunes. Que se passe-t-il si trente ans plus tard on retrouve la personne qu'on a aimée ? Pourquoi ça n'a pas marché ? Pourquoi on s'est quittés ? Est-ce que ça peut recommencer ? C'est toute la trame du récit. Un échange permanent entre scénario et vie. Avec un troisième axe, moins important en durée, mais très significatif pour moi, que sont les étudiants qui ne sont pas uniquement passifs, mais qui réagissent. On voit qu’eux aussi ont des histoires de vie qui sont reliées au scénario qu'ils veulent écrire.
Jean-Claude Carrière, un grand scénariste que j'avais eu la chance de rencontrer, m'avait dit quelque chose qui m'a profondément marqué : le propre de l'être humain, c'est le besoin qu'on a de se raconter des histoires.
Ça dépasse le cinéma évidemment. On retrouve ce besoin dans toutes les civilisations, de tout temps, comme si on avait besoin de l'imaginaire pour comprendre le réel.
C. : En quoi ce scénario résonne-t-il dans votre vie ? J'ai l'impression de retrouver dans ce projet autant le professeur de cinéma que vous êtes que le réalisateur.
F.S. : La transmission est un sujet primordial pour moi. Ça dépasse le cinéma, c'est une question de société. Comment faire pour qu'il n'y ait pas d'un côté les vieux et de l'autre les jeunes et qu'il n'y ait pas une frontière entre les deux, que ces deux générations se parlent ?
Il y a une formidable jeunesse, j'adore mes étudiants. Je prends un immense plaisir à rencontrer ces nouvelles générations et à voir ce qui les préoccupe. Par exemple, beaucoup de sujets sociétaux n'existaient pas il y a dix ans, sur la place des femmes, le genre, tous des sujets au centre de notre société actuelle. C’est intéressant que cette jeunesse porte ces sujets, mais en même temps, il est important de croire que l'ancienne génération n'est pas que négative, n'est pas qu'à rejeter. Comment peut-on faire pour qu'il y ait des passerelles entre les deux, que la transmission opère ? Dans le cours de Noémie, ça va dans les deux sens. Il y a à la fois la transmission, mais aussi l'écoute de la nouvelle génération. Un échange important peut s’opérer entre les deux. Comment l’ancienne génération peut-elle s’enrichir par l'expérience des générations nouvelles, par les nouveaux sujets portés par elles ?
C. : Stéphane Henon dans le rôle du restaurateur-scénariste amateur est surprenant.
F.S. : Oui, j'ai pris énormément de plaisir à travailler avec Stéphane Henon. C’est un acteur essentiellement connu pour son rôle dans la série Plus belle la vie. Je trouve très important de donner à des acteurs de séries des rôles dans des films de cinéma. En tant que réalisateurs et producteurs, on met les gens dans des cases alors que ce qui est merveilleux, c'est de leur proposer d'autres rôles, d'autres personnages. J'ai eu la chance dans mon parcours de rencontrer quelques cinéastes qui me sont chers, André Delvaux en Belgique, puis Bertrand Tavernier en France et aussi Bertrand Blier qui, un jour m'avait dit qu'il regardait systématiquement toutes les séries à la télévision, de préférence les plus mauvaises, parce que si un acteur était bon dans ce cadre-là c'était un très grand acteur.
C. : Il y a une très belle scène où les étudiants, au pied d’un superbe arbre, chantent ce qu’ils vivent. Une scène de comédie musicale, à la Jacques Demy.
F.S. : C'était l'idée du scénariste d'avoir ce moment chanté. Puis, c'était une grande chance que Vladimir Cosma accepte de faire la mélodie et qu'il me mette en contact avec Jean-Pierre Lang, le parolier qui a notamment travaillé avec Céline Dion ou Pierre Bachelet. Il a donné ce côté improvisé, mais en fait, cette chanson était tout à fait écrite, elle était prévue en amont du tournage.
C. : Comment s’est passé le financement du film ?
F. S. : C'est très curieux, car le film a failli ne pas se faire. Dix jours avant le début du tournage, on ne savait pas encore s'il y avait suffisamment d'argent pour le financer. Et dix jours avant le début du tournage, un coproducteur a amené la part de financement qui manquait pour que le film puisse se faire, in extremis, dans des conditions financières très légères. On a fait un long métrage en quinze jours de tournage, ce qui est très peu. Mais c'était un bonheur absolu parce que toutes les personnes présentes avaient envie que le film se fasse. Il y avait une sorte d'engagement chez les acteurs, dans l'équipe, de la part de la production. En termes de tournage, c'était la plus belle expérience humaine que j'ai eue jusqu'ici.
C. : Noémie dans sa masterclasse parle de persévérance et de confiance en soi.
F.S. : Pour moi, c'est le vrai sujet du film. Pour un cinéaste, le plus important, et c'est terrible à dire, mais ce n'est pas qu'il ait du talent ou pas, ce n'est pas suffisant. Le point commun, que ce soit en Belgique, en France et partout dans le monde, pour tous les cinéastes du monde entier, c’est qu’il faut se battre pour faire ses films, qu'il s'agisse de cinéma d'auteur ou de cinéma commercial, de blockbusters. Si on n'a pas de la pugnacité, de la persévérance, de la combativité, le talent ne suffit pas. C'est la différence avec un écrivain ou un peintre. On peut avoir une œuvre posthume d'un écrivain. Kafka, par exemple. Une partie de ses livres n'a pas été publiée de son vivant. Ça n'a rien enlevé à la qualité de ses écrits. Un cinéaste ne peut pas être posthume et doit trouver l'argent pour faire ses films au moment où il vit. Cela amène tout de suite à une autre question, celle de la confiance en soi. Pour se battre, il faut y croire. Il ne faut pas se dire que tout ce qu’on fait est nul, que ça ne vaut pas la peine.
Il faut un mélange de doute qui fait progresser et donne la capacité de recevoir des critiques constructives, et de confiance. Cet équilibre est très difficile à trouver. L'eau et le feu doivent se réunir pour faire un film.
Dans le film, le personnage d’Agnès Jaoui dit qu’elle a pu devenir ce qu'elle est comme scénariste grâce à la confiance que lui avait donnée l’amour de Jonathan Zaccaï, alias Vincent. Je ne fais pas seulement allusion à l’amour dans un couple, mais aussi à l'amour amical ou familial. On a tous besoin de cet amour pour croire en soi.