Métier : Réalisateur, Producteur
Adresse : 104, rue Theophile Vander Elst
Ville : 1170 Bruxelles
Pays : Belgique
Tél : +32 2 644 26 28
GSM : +32 495 27 26 28
Email : Cliquez ici
Site web : Cliquez ici
Licencié en philosophie.
Licencié en écriture de scénario ELICIT (ULB)
Compositeur et musicien du groupe « Berntholer » édité par Warner Distribution.
Cofondateur & Producteur de Lux Fugit Film
Producteur de Cinéastes Associés
Par une ruelle étroite et terrifiante
A. Eloge de l'Ombre
C'est à cause de la géographie, de la morphologie et de tant d'autres choses auxquelles on ne pense même pas... J'avais quinze ans. Je vivais dans une petite ville de province où l'unique salle de cinéma s'était fermée en même temps que mon enfance. Je souffrais d'un certain mal, commun aux adolescents, que l'ambiance maniaco-dépressive de la famille, que l'atmosphère étouffante de la cité aux boudins verts développait : le mal-être, appelé communément "mal dans sa peau". Or, pour ne plus avoir mal dans cette peau, à force de désespoir, je ne voyais qu'un moyen : en sortir...et devenir quelqu'un d'autre. Alors, comme dans une fugue répétée, comme une mue périodique, comme dans le film le Passager de Kiarostami, le samedi, je m'enfuyais sans qu'on le sache à la capitale, en stop ou en train, selon mes moyens. Ce n'est pas Bruxelles qui comptait mais ses salles obscures où je m'enfouissais avec délectation, car, moitié couché dans le velours, dans l'anonymat absolu, toute douleur soudain s'apaisait, je m'oubliais moi-même et j'oubliais le monde. Ce n'est pas tant, non plus, les films qui comptaient que l'impression hypnotique globale que procure le phénomène cinématographique. C'est pourquoi, tout me plaisait, sans discernement. Et je passais d'une salle à l'autre pour que le jour s'éteigne sans que je le voie, pour que ma conscience s'anéantisse dans un rêve perpetuel. La belle folie schizophrénique me faisait vivre perpétuellement dans un écran, entre des héros que je quittais de moins en moins, pour ne plus jamais redevenir Manuel Poutte. Pourtant, il s'est fait que ce devenir végétal de spectateur total, ce désir de passivité absolue fut empêché par une contrainte matérielle, que je transformai sans le savoir en outil d'émancipation : comme je n'avais assez d'argent que pour le billet d'une séance, il fallait toujours que je trouve le moyen de passer d'une salle à l'autre sans payer. Au fil du temps, je devins un spécialiste en la matière : je connaissais tous les couloirs et les arrières-salles de l'Eldorado, toutes les coulisses du Marivaux, le dédale du Métropole... et ce dernier avait toute ma préférence, vu qu'on pouvait y accéder très secrètement par une ruelle étroite et terrifiante, digne des meilleures séries noires américaines. Bientôt, je ne me contentai plus de profiter au maximum de mon billet régulier : ce qu'il me fallait c'était entrer sans payer, tromper la vigilance des ouvreuses, découvrir toujours de nouveaux couloirs, de nouveaux passages qui feraient de moi un rat, qui occupe une maison, la dévalise et qu'on n'arrive jamais à attraper. Peu à peu, le rôle de clandestin me plut davantage que celui de l'aliéné schizoïde, de sorte que les entractes devinrent plus palpitants que les séances... Jusqu'au jour où grâce à ma réputation d'aventurier citadin et cinéphage, une jeune fille posa ses yeux sur les miens et les ramena dans la p'tite ville de province.
B.Echo de la lumière
Ayant traversé quelques autres paires d'yeux, c'est deux ans plus tard, pendant des vacances dans le Midi de la France, que pour la première fois une salle obscure m'ouvrit le regard. Je garde un souvenir très précis d'une journée qui fut, je m'en rends compte aujourd'hui, celle d'une révélation ou d'un ravissement. Je sentais naître en moi, à cette époque, quelque velléité d'écriture. Mais j'avais toujours eu un problème avec la littérature, car elle m'apparaissait castratrice : selon moi, ou bien on vivait, ou bien on écrivait ! Pour écrire, il fallait sacrifier son existence, et ça, je ne le pouvais pas. Ce jour-là, un jour d'été un peu ennuyeux qu'il faut faire passer pour arriver très vite à la soirée dansante et aux filles du bord de mer, avec cinq copains, nous allons au cinéma au bourg d'Hyères. Nous ne connaissons pas le film qu'on projette mais on s'en fout : c'est Mon Oncle d'Amérique d'Alain Resnais. Le film au style narratif fragmenté rebute mes condisciples l'un après l'autre, et je me retrouve seul dans la salle, ébloui. En sortant, je suis étourdi, soulevé par un énorme enthousiasme (que je comprends seulement maintenant) : je découvrais que le cinéma est un art, pas seulement une illusion, qu'il parlait de l'existence, de la vérité, et pas seulement pour divertir, et que la vie dans toute sa complexité psychologique, émotionnelle, dans son intelligibilité, dans sa tragédie, dans sa fuite, en était le ferment. Ainsi, la contradiction entre la vie et l'art s'effaçait, et naissait en moi une nécessité nouvelle : représenter le monde pour le partager. je retournai dans la salle pour la séance qui suivit, et la suivante encore.
Et le lendemain, je revins...