Cinergie.be

FIFO de Sacha Ferbus et Jeremy Puffet

Publié le 06/07/2018 par Bertrand Gevart / Catégorie: Entrevue

Stephan travaille dans un supermarché. Sa tâche quotidienne se résume au FIFO. C’est la théorie du first in first out, la méthode avec laquelle les entreprises et supermarchés gèrent les stocks. Ce jour-là, son collègue qui refuse de javelliser la nourriture se voit renvoyé. Un dilemme moral insoutenable se dresse devant Stephan. Va-t-il continuer à jeter la nourriture ? Va-t-il accepter de continuer son travail sur le long terme au profit d’un système qui le condamne chaque jour à accomplir cette violence quotidienne ?

C’est sans concession que les deux réalisateurs, Sacha Ferbus et Jeremy Puffet reviennent avec cette coréalisation sur les problèmes moraux et humains liés au gaspillage alimentaire.

Cinergie. : Quel est votre parcours ?
Sacha Ferbus : Après mes études secondaires, j’ai fait une série de petits boulots. J’ai travaillé dans la régie pendant deux ans. Ensuite, j’ai intégré une école de cinéma et j’ai été machiniste en parallèle de l’école. Je faisais des stages comme apprenti machiniste, et les tournages se sont enchaînés.
Jeremy Puffet : Moi j’ai intégré l’IAD après le secondaire. Durant ces études, j’avais déjà appris à manier une caméra, à expérimenter des choses. J’ai toujours travaillé au sein de l’IAD mais jamais en tournage pro.

C. : Pourquoi FIFO ?
S.F. et J.P. :
L’objectif de ce tournage, encadré par Benoît Mariage, était de créer une situation de violence non physique, une violence par la situation. Dans ce cas-ci, le personnage doit faire un choix entre son idéal et sa survie. Il compromet son idéal, et c’est là qu’émerge la violence : Il prive de nourriture des personnes dans le besoin. On pose un jugement sur ce qui se passe, mais la situation est complexe moralement.
Il y a une nécessité précise dans le film, il s’agit de la présence d’un choix moral, tous les films ne doivent pas avoir ça, mais pour nous c’était important car ça provoque une vraie force. On a écrit beaucoup de dialogues pendant les castings, en regardant les gens jouer.
Et puis, FIFO, c’est first in first out. C’est une technique de rayonnage, on met les produits récents et frais au fond et les anciens vers l’avant. C’est la logique aussi du premier arrivé premier sorti. Ça représente bien l’idée du film, l’un qui entre et l’autre sort. Valentin quitte son boulot alors que Stéphane est engagé sur le long terme. Stéphane a le choix justement. Mais il y a une nouvelle donnée, le travail à long terme, c’est déjà se projeter dans l’avenir. C’est une nouvelle donnée qui influe sur la psychologie et l’évolution du personnage.

C. : Pourquoi ne pas avoir développé la back story du personnage lorsqu’ils sont dans le bureau de la directrice ?
S.F. et J.P. :
Ça nous permettait de donner au spectateur de la matière supplémentaire. Pour comprendre son passé psychologique. Stéphane n’a pas le choix, son job, c’est sa survie. Lorsqu’il fait face aux personnes qui viennent lui demander de la nourriture, il fait face a lui-même, à son passé. En ouvrant cette back-story, on voulait justement créer plus de violence dans son conflit intérieur, sa situation lui permettant encore moins de dire non.

C. : Quelle est la genèse du projet ? Car c’est un sujet éculé, très médiatisé. Quelle a été l’urgence de traiter de ce sujet maintenant ?
S. F. : J’avais un ami qui travaillait au Delhaize et qui avait cette anecdote des pains. Pendant les deux dernières heures d’ouverture du magasin, ils cuisaient tous les pains afin que les rayons se remplissent et que cela influe sur l’envie d’acheter des clients. C’est beaucoup plus rentable pour eux de jeter 80 pour cent des pains que de les donner. La seule raison pour laquelle ils jettent, c’est le profit, sans aucune question morale. Et elle se pose encore plus lorsqu’on en arrive à javelliser cette nourriture qui est déjà à la poubelle. Je pense que le conflit peut se rapporter à beaucoup d’autres situations moins exacerbées. Soit on fait des choix pour soi, soit pour les autres. Mais jusqu’où puis-je être dans la sollicitude ? On a mis en scène la situation de manière assez directe, mais ce sont de petits choix que l’on fait au quotidien.

J. P. : Moi je n’avais pas entendu parler de javel. Effectivement, en plus du gaspillage de nourriture, il y avait un acte violent supplémentaire, mais aussi pour l’employé qui doit le faire. L’idée du film est née de ça.
S. F. et J. P. : Nous avions fait des recherches, nous nous sommes rendu dans des supermarchés pour observer le terrain. Regarder les gestes, entendre les paroles des employés. Le plus fou, c’est au moment du tournage, lors de la scène de javellisation, la poubelle était déjà javellisée. Des personnes qui n’étaient pas des acteurs sont venues nous demander s’ils pouvaient récupérer la nourriture, les accessoires de jeu donc, pendant qu’on tournait. La réalité a rejoint la fiction.

C. : Comment s’est déroulée la coréalisation au niveau de l’évolution du scénario, de la direction d’acteurs et des choix artistiques ?
S. F. et J. P. : Nous avons tout fait à deux, mais nous devions faire deux montages différents. C’est la contrainte de l’exercice à l’IAD. Vous collaborez pendant un certain temps et puis, ensuite, on vous demande de faire deux films avec les mêmes rushs. Sur le tournage, on faisait les choix ensemble. La mise en scène et la direction se sont très bien passées. On aime bien les films avec une image esthétique, avec un cadre posé, une image très travaillée. Ici, les lieux étaient difficiles, nous n’avions pas beaucoup de temps. L’esthétique est le résultat de la contrainte de l’exercice mais qui colle bien à la réalité, et nous avons d’ailleurs ajouter du grain dans l’image à la prise de vue.

C. : Qu’en est-t-il de votre expérience au Short Film Festival ? Le film est aussi présenté ailleurs ?
S. F. :
C’est le festival dans lequel je vais le plus. C’était génial de voir son film à l’endroit où les années précédentes, j’étais spectateur des films des autres étudiants ou autres cinéastes plus avertis.
S. F. et J. P. : Nous sommes approximativement à 100 sélections en festivals dans le monde et il a fait déjà quelques gros festivals dont le Fipa à Biarritz. Il avait été présélectionné pour les Bafta, mais également au FIFF. Il a été diffusé à la TV et racheté par une boîte de distribution.

C. : Quels sont vos projets ?
S.F. : Je viens de finir un documentaire sur une pyramide en Bosnie. Le sujet s’est vraiment imposé à moi dans le sens où je trouve cela extraordinaire. C’est une communauté qui pense avoir trouvé une pyramide dans une zone ravagée par une guerre communautaire et de religions. Ces gens démarrent une nouvelle croyance pour se reconnecter à un passé glorieux qui est peut-être fictif. Se créer un mythe dans un passé lointain dans un lieu où la violence et le passé sont encore très récents. C’est un film qui joue beaucoup sur le rapport entre le lieu et les personnes qui ont lancé cette nouvelle croyance.
J. P. : J’ai réalisé un film qui s’appelle Leni à 4 épingles. À chaque fois qu’il voit quelqu’un habillé d’une manière originale, il est pris d’une pulsion et a besoin d’enfiler le costume de la personne, de prendre son identité et de la tuer. Après avoir assouvi sa pulsion, il a une forte envie d’uriner. Une comédie grinçante donc. Je n’en dirai pas plus…

Tout à propos de: