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Rencontre avec Fransix Tenda Lomba - Kelasi

Publié le 20/07/2020 par Dimitra Bouras, Constance Pasquier et Oscar Medina / Catégorie: Entrevue

Fransix Tenda Lomba, en résidence à l’Atelier Graphoui 

Fransix Tenda Lomba est un jeune artiste kinois. Sorti de l’Académie des Beaux-Arts, section peinture, il se définit comme artiste visuel, touchant la peinture, le dessin, la sculpture et maintenant, l’animation. Son projet a été sélectionné par l’Atelier Graphoui de Bruxelles pour une résidence qui devait se tenir en mars et avril 2020. Le confinement et la fermeture des frontières s’étant invités, Fransix Tenda Lomba a mis à profit son séjour rallongé pour finaliser son court-métrage d’animation, Kelasi (école en lingala).

Cinergie : Votre projet était-il déjà prêt avant d'arriver ou s'est-il concrétisé en étant ici sur place, dans les locaux de Graphoui ?

Fransix Tenda Lomba : Le projet était prêt sur papier. Je savais que j'allais raconter l'histoire du Congo. Au Congo, je pensais parler de l'école sous Mobutu, mais après les échanges avec l'équipe de Graphoui, je l’ai contextualisée dans l'histoire du Congo-Zaïre depuis l’indépendance.

L'éducation est le socle d'une société, sa cellule de base. Les différents dirigeants qui sont passés à la tête du Congo-Zaïre, notamment, le Maréchal, ont compris que c’est par l’éducation qu’ils vont imposer leur pouvoir. C'est pourquoi cette pratique est encore en vigueur aujourd'hui pour pérenniser leur pouvoir dans le temps et dans l'espace.

 

C. : C'est votre mère qui vous a inspiré la narration de votre film ?

F. T. L. : Oui, c'est ma mère, qui, comme toutes les mères, était ma première institutrice mais aussi parce qu’elle était directrice d'école primaire publique à l'époque du Congo-Zaïre. Voilà pourquoi je me suis permis de rallonger les lignes de ses cahiers. C'est ma façon de lui rendre hommage ainsi qu’à tous les enseignants et éducateurs de mon pays.

 

C. : Cette volonté de formater la pensée des enfants passait par la musique et la danse ?

F. T. L. : Totalement, c'est pourquoi je dis que la musique a un pouvoir fédérateur. Mobutu a sû mettre en place tout un programme "cosmétique" pour faire adhérer à sa vision. La musique avec les chansons que les enfants apprenaient à l’école disaient que Mobutu est quelqu'un de bien : "Nous chanterons et danserons pour honorer notre guide et lui affirmer notre affection".

Il n'y a pas un système profond qui caractérise le Congo-Zaïre, il n'y avait qu'un semblant de volonté de faire les choses, mais rien de concret et la musique était là pour pérenniser le côté “cosmétique”.

 

C. : Le dessin que vous avez utilisé pour ce film est une technique que vous utilisez généralement dans vos dessins ?

F.T.L. : Les dessins que j'ai utilisés dans ce film sont une écriture personnelle. C'est un travail que je développe depuis 4 ans. Je dessine sur les cahiers de ma mère. C'est un travail à la fois de fond et de forme. Je me mets d'abord à lire le contenu du document et puis, je dessine après. Les formes que vous voyez, avec les personnages remplis de lignes traduisent la vie de cette population qui a vécu plusieurs enchevêtrements de leur histoire politique avec 20 ans d'agression. Les lignes représentent chaque couche de l'histoire, du vécu de chacun, elles sont droites, courbes ou brisées. Le peuple Congolais est un peuple atypique, avec ce qu'il vit aujourd'hui et ce qu'il a vécu avant. C'est une façon pour moi de mettre en relief ces différents parcours. Voilà pourquoi mes personnages sont constitués de lignes enchevêtrées. C'est une écriture que j'ai adoptée, en m'imprégnant de l'histoire du pays post-coloniale et pré-coloniale.

 

C. : C'est du dessin au bic et au crayon sur le papier des cahiers scolaires ?

F.T.L. : C'est une technique mixte avec de l'acrylique, du stylo et du feutre. Mes personnages dessinés, je les ai découpés. J'ai détruit l'image que j'avais construite et je l'ai reconstruite avec des lignes superposées. C'est un travail ouvert à plusieurs supports et plusieurs techniques où on trouve des dessins, que je déchire et que je recompose, sur lesquels je passe avec du feutre, de l'acrylique, du sable, etc. Je ne me cloisonne pas dans une technique. Mais je garde cette même écriture plastique de la ligne, qu'elle soit posée sur le sable, si le contexte m'enchante, ou sur un livre. 

 

C. : Comment vit-on actuellement au Congo en tant qu'artiste peintre ?

F.T.L. : Au Congo, il n'y a pas de politique culturelle. Ce n'est pas une priorité. On s'organise en asbl pour pouvoir exister, ce qui nous permet de pouvoir répondre à des appels à projets venant de l’étranger. Il faut être courageux aujourd’hui pour être artiste au Congo.

 

C. : Le projet que vous aviez introduit à l’Atelier Graphoui entrait-il dans le cadre d’activités organisées autour de l'Indépendance du Congo ?

F.T.L. : Ce n'était pas ça l'idée. L'idée était de parler de l'éducation, de l'histoire même du pays mais via l'éducation. Mais effectivement, ça rejoint l'actualité. L'Indépendance a été proclamée mais elle n'est pas acquise. Je ne peux pas dire qu'il y a eu indépendance mais une continuité sous une autre forme. On ne peut parler d'indépendance que s’il y a un Etat et un système. Le Congo a actuellement d’autres problèmes que ceux soulevés par les icônes et les représentations de Léopold II, de la colonisation. L'histoire est comme ça, on ne peut pas la changer. On conduit une nation en regardant à travers le pare-brise et non dans le rétroviseur.

 

C. : Parlons du travail sonore du film. On entend votre voix et des commentaires tirés d'archives.

F.T.L. : Oui. Je me suis basé sur les images d’archives que j’ai utilisées pour créer mon animation, et dans le son, j'ai fait la même chose. J'ai rebondi sur ce qui a été dit par des journalistes ou des commentateurs. Et j’ai donné mon interprétation de ma réalité de Congolais de Kinshasa. Ma voix, c'est la voix d'un Kinois qui vit l'histoire du Congo. Le journaliste raconte des choses mais moi, je dis ce que je vis.

 

C. : Comment envisagez-vous la distribution de votre réalisation ?

F.T.L. : L'Atelier Graphoui va m'aider à la distribution dans les circuits classiques, mais j'avais également réfléchi ce film comme une vidéo-installation. Le film fonctionne comme un élément filmique à part entière, mais je l'avais imaginé comme un élément qui va s'intégrer dans une installation. J'avais réfléchi à une scénographie atypique. Ce serait une salle de classe avec 4 bancs sur lesquels on va déposer un catalogue des images du film et à travers deux fenêtres placées à l'avant de la classe, distantes d’un 1,50 m, les gens pourraient regarder le film, au même moment.

 

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